Piketty et la CGT, derniers adorateurs du dieu Macron
C’est beau, la foi. La CGT, qui estime visiblement que les régimes spéciaux de retraite peuvent durer indéfiniment, doit croire dur comme fer qu’Emmanuel Macron est vraiment Jupiter ou bien, pour se raccrocher à une tradition française, un roi thaumaturge. Pour permettre à certains employés de la RATP de partir à la retraite à 52 ans, le président de la République doit être un sorcier ou, a minima, le détenteur d’un trésor caché.
Cette espérance mystique est aussi celle de Thomas Piketty, brillant et querelleur économiste, qui a affirmé sur France Inter que la réforme des retraites, comme celle de l’assurance-chômage, permettait à l’Etat de « faire de l’argent ». On imagine immédiatement Macron en Super-Picsou, dormant sur son tas d’or, prenant des douches de pièces… L’image est amusante et légèrement trompeuse : le magot de l’Etat est avant tout un gros tas de dettes, et la puissance publique ne doit sa solvabilité qu’aux taux d’intérêt faibles, voire parfois négatifs.
Alors, évidemment, il y a les riches, réserve de lingots miraculeuse, à l’entendre. Sauf que le dernier « Portrait social de la France » de l’Insee montre que les inégalités n’ont pas augmenté en France ces dernières décennies. Le butin espéré ne serait pas si mirobolant. Mais cela ne suffit pas à décourager nos marchands de rêve qui appliquent au premier degré cette saillie de Cioran : « Nous n’avons le choix qu’entre des vérités irrespirables
et des supercheries salutaires. » L’économiste, comme la CGT
(lire l’excellent décryptage de Marc Vignaud p. 96), a donc fait le choix de ne pas voir que le roi est nu, parce que son royaume est fauché. Il faut reconnaître que le système politique français, assis sur le prestige et l’apparat, entretient facilement le mythe du président omnipotent. Outre son Etat providence inégalé en Europe, la France persiste, à rebours de ses voisins, à se comporter comme une grande puissance. C’est tout à son honneur, mais cela entretient aussi la légende de l’Etat enchanteur. Emmanuel Macron a probablement luimême contribué, par son style et ses propos, à ce malentendu. Dans son entretien au Point de la fin août 2017, en réponse à une question à propos de Valéry Giscard d’Estaing, selon lequel la France devait se résoudre à devenir une « grande puissance moyenne », il assurait que « la France doit redevenir une grande puissance tout court ». Tout en précisant immédiatement que rien n’était possible sans une ambition collective de l’Europe.
Cela tombe bien, la nouvelle Commission européenne vient d’entrer en fonctions. On attend donc avec impatience ce moment où MM. Martinez, Piketty et consorts iront demander à Ursula von der Leyen et ses collègues, dans les froids couloirs de Bruxelles, de faire usage de leur pouvoir de multiplication des pains afin de préserver nos régimes spéciaux
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L’économiste, comme la CGT, a donc fait le choix de ne pas voir que le roi est nu, parce que son royaume est fauché.