Neandertal : du délit de sale gueule à la réhabilitation
Bien avant «Homo sapiens», notre cousin façonnait outils et bijoux, quand il n’était pas artiste.
L’homme de Neandertal nous a légué des traces de son ADN, que, hormis les Africains, nous portons en nous : 2 % de notre génome est d’origine néandertalienne, ce qui montre que nos populations se sont métissées – ou plutôt hybridées, car nous ne sommes pas de la même espèce. Faut-il y voir un lien ? La découverte fracassante, il y a une dizaine d’années, que Neandertal était partiellement notre ancêtre a été suivie de toute une série d’autres conduisant à le considérer de manière plus valorisante pour notre pedigree.
Quelques décennies auparavant, le regard condescendant porté sur Neandertal était encore empreint des préjugés raciaux sévissant à l’époque de ses premières descriptions, il y a plus d’un siècle. D’accord, cet homininé nous ressemblait, mais on le décrivait uniquement comme mal dégrossi et bas du front, bien loin de la perfection de notre espèce. Peu à peu, ce regard péjoratif a évolué ; on a découvert que notre cousin inhumait parfois ses morts. Mais ce sont bien ces dernières années qui ont été déterminantes pour sa réhabilitation. Elles ont mis en lumière d’étonnantes aptitudes, de nature à tempérer l’hubris d’Homo sapiens.
En 2013, la datation de lissoirs en os trouvés lors de fouilles en Dordogne révélait que, il y a 50 000 ans, les néandertaliens assouplissaient déjà le cuir à l’aide de tels outils. Ils auraient même transmis la technique à l’Homme moderne avant de disparaître. En 2015, une parure trouvée en Croatie et faite de serres de rapace était datée de 130 000 ans : les plus anciens bijoux ne sont pas l’oeuvre de notre espèce mais l’oeuvre de néandertaliens. En 2016, une mystérieuse structure circulaire d’une grotte du Tarn-et-Garonne, composée d’un agencement particulier de stalagmites, se révélait être vieille de près de 178 000 ans, ce qui permet d’attribuer son édification à Neandertal. Or un tel travail en profondeur suppose l’emploi de torches pour progresser dans l’obscurité. En 2017, on apprenait qu’un néandertalien souffrant d’un abcès dentaire se soignait avec de l’écorce de peuplier, laquelle contient le principe actif de l’aspirine. En 2018, les peintures préhistoriques – animaux, empreintes de main, motifs géométriques – de trois grottes espagnoles étaient datées de 20 000 ans avant l’arrivée d’Homo sapiens en Europe et donc portées au crédit des talents artistiques de notre cousin.
Bref, Neandertal gagne à être connu; là, comme souvent, c’est l’ignorance qui a conduit au mépris. Survivant à plusieurs glaciations et crises démographiques, il a réussi à occuper l’Europe pendant plus de 400 000 ans, alors que nous n’y sommes présents que depuis dix fois moins de temps. S’il est un cold case qu’on n’est pas près d’élucider, c’est bien celui de sa disparition, il y a environ 35 000 ans. Après seulement quelques milliers d’années de cohabitation avec l’Homme moderne, notre proche cousin était rayé de la surface du continent européen
■ Docteur ès sciences.
Neandertal a réussi à occuper l’Europe pendant plus de 400 000 ans, alors que nous n’y sommes présents que depuis 35 000 ans.