Le Point

Neandertal : du délit de sale gueule à la réhabilita­tion

Bien avant «Homo sapiens», notre cousin façonnait outils et bijoux, quand il n’était pas artiste.

- Par Jean-François Bouvet*

L’homme de Neandertal nous a légué des traces de son ADN, que, hormis les Africains, nous portons en nous : 2 % de notre génome est d’origine néandertal­ienne, ce qui montre que nos population­s se sont métissées – ou plutôt hybridées, car nous ne sommes pas de la même espèce. Faut-il y voir un lien ? La découverte fracassant­e, il y a une dizaine d’années, que Neandertal était partiellem­ent notre ancêtre a été suivie de toute une série d’autres conduisant à le considérer de manière plus valorisant­e pour notre pedigree.

Quelques décennies auparavant, le regard condescend­ant porté sur Neandertal était encore empreint des préjugés raciaux sévissant à l’époque de ses premières descriptio­ns, il y a plus d’un siècle. D’accord, cet homininé nous ressemblai­t, mais on le décrivait uniquement comme mal dégrossi et bas du front, bien loin de la perfection de notre espèce. Peu à peu, ce regard péjoratif a évolué ; on a découvert que notre cousin inhumait parfois ses morts. Mais ce sont bien ces dernières années qui ont été déterminan­tes pour sa réhabilita­tion. Elles ont mis en lumière d’étonnantes aptitudes, de nature à tempérer l’hubris d’Homo sapiens.

En 2013, la datation de lissoirs en os trouvés lors de fouilles en Dordogne révélait que, il y a 50 000 ans, les néandertal­iens assoupliss­aient déjà le cuir à l’aide de tels outils. Ils auraient même transmis la technique à l’Homme moderne avant de disparaîtr­e. En 2015, une parure trouvée en Croatie et faite de serres de rapace était datée de 130 000 ans : les plus anciens bijoux ne sont pas l’oeuvre de notre espèce mais l’oeuvre de néandertal­iens. En 2016, une mystérieus­e structure circulaire d’une grotte du Tarn-et-Garonne, composée d’un agencement particulie­r de stalagmite­s, se révélait être vieille de près de 178 000 ans, ce qui permet d’attribuer son édificatio­n à Neandertal. Or un tel travail en profondeur suppose l’emploi de torches pour progresser dans l’obscurité. En 2017, on apprenait qu’un néandertal­ien souffrant d’un abcès dentaire se soignait avec de l’écorce de peuplier, laquelle contient le principe actif de l’aspirine. En 2018, les peintures préhistori­ques – animaux, empreintes de main, motifs géométriqu­es – de trois grottes espagnoles étaient datées de 20 000 ans avant l’arrivée d’Homo sapiens en Europe et donc portées au crédit des talents artistique­s de notre cousin.

Bref, Neandertal gagne à être connu; là, comme souvent, c’est l’ignorance qui a conduit au mépris. Survivant à plusieurs glaciation­s et crises démographi­ques, il a réussi à occuper l’Europe pendant plus de 400 000 ans, alors que nous n’y sommes présents que depuis dix fois moins de temps. S’il est un cold case qu’on n’est pas près d’élucider, c’est bien celui de sa disparitio­n, il y a environ 35 000 ans. Après seulement quelques milliers d’années de cohabitati­on avec l’Homme moderne, notre proche cousin était rayé de la surface du continent européen

■ Docteur ès sciences.

Neandertal a réussi à occuper l’Europe pendant plus de 400 000 ans, alors que nous n’y sommes présents que depuis 35 000 ans.

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