Le Point

La « poudre fulminante » des francsmaço­ns

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S’ils travaillen­t « au bien-être de l’Humanité », les francs-maçons se préoccupen­t aussi de leur estomac. « Le banquet fait partie du rituel », rappelle un gradé du Grand Orient de France. Les agapes peuvent donner lieu à des « travaux » en soi : ce sont les « banquets d’ordre », où les membres de la loge

« tirent sept canons » en l’honneur de la République, du grand maître, des

« frères et soeurs heureux ou malheureux »... Les coupes (verres) sont chargées de poudre forte (vin), voire de poudre fulminante (liqueur). « A la fin du banquet, on refait le monde », sourit un membre d’une loge de province. Plus huppés, les dîners du Cercle de Paris, fondé par Michel Baroin (père de François), se tiennent dans les Salons Hoche. Le Sénat ouvre régulièrem­ent ses salons aux membres de la Fraternell­e parlementa­ire. La Fraternell­e de la justice se retrouve, quant à elle, au Grand Bistro Muette, dans le 16e, pour ses « dîners du palais ». sombré sa salade de pigeon. Le poisson triomphe, la viande dévisse, surtout si elle est rouge – et en sauce.

Prière de se serrer la ceinture. « Les notes de frais sont scrutées », constate Christian Sochon. « L’addition moyenne est passée en quelques années de 250 à 120 euros, les boîtes sont devenues très regardante­s », confirme Mathieu Pacaud. « Même un palace comme le nôtre se doit d’être compétitif. Ce n’est pas seulement une question d’argent mais d’éthique, visà-vis du marché et des collaborat­eurs », décrypte le directeur du George-V. « Il peut nous arriver d’aller jusqu’à 400 euros par tête quand on veut faire plaisir à un client, tempère le dirigeant d’un groupe immobilier. Pour autant, donner à nos invités l’impression d’un “no limit” serait de très mauvais goût », nuance-t-il.

Ton temps tu compteras ; le poisson tu choisiras ; le fromage tu oublieras ; le vin tu t’interdiras : tels sont les nouveaux commandeme­nts du « business lunch ». Bien sûr, quelques Gaulois résistent. Jean-François Piège perpétue la tradition de la cuisine canaille (quenelles de brochet sauce Nantua, feuilleté de ris de veau aux morilles…) à la mythique Poule au Pot, qu’il a reprise dans le quartier des Halles, auréolée l’an dernier – il en fut le premier surpris – d’une étoile au Michelin. Mathieu Viannay, qui perpétue à Lyon la mémoire de La Mère Brazier, fait le plein avec son « menu affaires » à contre-courant (ballottine de colvert, pintade excellence, chou praliné). «Au travail, on fait ce qu’on peut mais à table, on force ! » clame cet iconoclast­e.

Mais combien d’adeptes du filet de sole pour un Guy Savoy qui, dans son restaurant du quai Conti, encourage ses clients à saucer leur assiette ? Combien reste-t-il de François Pipala (meilleur directeur de salle du monde en 2016) pour célébrer à l’Auberge du Pontde-Collonges la mémoire de Bocuse et son pot-au-feu en deux services, avec ses plats de côtes, ses jarrets, son boeuf à la ficelle, ses choux farcis de foie gras et son paquet de couenne ?

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