La magie Malick
Le réalisateur de « La ligne rouge » ressuscite la figure d’un objecteur de conscience dans l’Autriche nazie. Un hymne au courage et à la foi en l’homme filmé dans une nature sublime. Magnifique.
O n se souviendra longtemps de la beauté des champs de blé, vagues jaunes sous le soufle du vent. Du bruit soyeux de la faux dans l’herbe verte, aussi, où les corps fatigués s’étendent après le travail, pour se serrer d’amour en regardant, là haut, les montagnes noyées dans l’azur. On se souviendra longtemps de ce jeune père passant la main dans la chevelure de la femme qu’il aime, la sienne, ou jouant avec ses filles, éperdu de gratitude pour la vie. Comme si, un instant, l’Age d’or était revenu. La caméra embrasse tout dans une même étreinte, les accords de piano et de violon jouent avec le bruit des cascades, et il y a cette voix off qui nous dit : « J’ai fait un rêve, je pensais qu’on bâtirait notre nid là-haut. » On se souviendra, enfin, de la violence qui vient fracasser le rêve, prouvant que cette beauté et ce bonheur n’avaient pas de prix, et qu’il aurait fallu, peut-être, mieux les défendre. « Une vie cachée » est l’histoire, inspirée de faits réels (lire p. 126), d’un paysan autrichien qui refuse de prêter serment à Hitler dans une Autriche asservie. « Je ne peux pas faire ce que je crois être mal », dit son personnage, incapable de faire taire sa conscience même si ses semblables le font, comme un seul homme. « Qu’est-il arrivé à notre pays ? A cette terre que nous aimons ?
Huit ans après «The Tree of Life», couronné par une Palme d’or qu’il n’était pas venu chercher, et quelques films par trop expérimentaux, on croyait le mystérieux Terrence Malick (lire l’encadré) en panne d’inspiration, incapable de retrouver la grâce. Il renvoyait l’image insaisissable, silencieuse, floue d’un génie solitaire perdu dans ses rêves, son délire, disaient certains. « Une vie cachée » prouve le contraire, retournant à la source d’un cinéma ambitieux,
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plus classique au sens d’une tragédie grecque. ■
Terrence Malick raconte donc l’histoire de ce Franz Jägerstätter, exécuté par les nazis en 1943 pour avoir refusé de combattre pour le IIIe Reich. Sa foi, l’amour du prochain et de sa famille l’en empêchent. Au chaos de cette guerre qu’il refuse, il oppose une vie d’harmonie, rythmée par les travaux et les jours, le respect des saisons, auprès de sa femme et de leurs deux fillettes, que la caméra de Malick caresse au milieu de paysages grandioses. Sa fascination pour la nature explose à nouveau, transmise aux spectateurs par ce grand angle qu’il affectionne et qui donne aux images une beauté sidérante, toute de contemplation et de silence. Chez lui, cela tient du rapport quasi charnel. La lumière naturelle inonde l’écran, lui donne vie dans une sorte d’éblouissement permanent.
Ame. « Une vie cachée » est aussi une leçon de résistance. Tout ce bel ordre chavire en effet le jour où Franz – incarné par l’acteur allemand August Diehl (« Inglourious Basterds », « Le jeune Karl Marx »), magnifique comme l’actrice qui joue sa femme, Fani (Valerie Pachner) – est appelé sous les drapeaux et fait ses classes dans une caserne, à contrecoeur, comme étranger à cette agitation. Finalement démobilisé, il revient parmi les siens, retrouve ses habitudes à la ferme, mais se heurte aux villageois qui lèvent le bras à son passage en lançant un « Heil Hitler ! » auquel il ne répond pas. « Une vie cachée » est ainsi l’histoire d’un homme sans tache qui devient
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