Algérie : le blues des patrons
Présidentielle. A quelques jours de l’élection censée enterrer la fin du « sytème Bouteflika », la situation économique et sociale du pays s’aggrave.
Les fauteuils sont disposés en cercle pour favoriser la confidence, les téléphones mis en mode silencieux pour être là « à 100 % », un verre de vin pour chasser les tensions de la journée… La semaine tire à sa fin. Dans une villa mauresque d’Alger, une dizaine de chefs d’entreprise se retrouvent, comme ils ont l’habitude de le faire une fois par mois, pour discuter de la situation économique et voir comment, dans un environnement particulièrement hostile, s’entraider.
« Mes clients ne savent plus quoi inventer pour ne pas me payer », explique l’un d’eux, qui officie dans la communication. « Je passe ma journée à établir des devis, mais je n’ai aucune commande ! » plaisante son voisin. « Je me suis déjà débarrassé de cinq employés, je vais devoir en sacrifier trois autres », se désole un autre.
Au printemps, quelques semaines après le déclenchement du Hirak – grand mouvement de mobilisation populaire qui a obtenu le départ d’Abdelaziz Bouteflika et qui aujourd’hui réclame la fin du système et rejette la présidentielle du 12 décembre –, ils étaient pourtant tous euphoriques. « On a cru que quelque chose de nouveau allait émerger, qu’on allait changer d’ère, entrer enfin dans le XXIe siècle », ironise une jeune start-upeuse. Puis les mois ont passé. L’assoupissement du ramadan et la torpeur de l’été ont eu raison d’une activité économique déjà poussive. Pour ne rien arranger, les arrestations de plusieurs capitaines d’industrie ont fini de tétaniser les milieux d’affaires. Ali Haddad, patron des patrons, à la tête du puissant groupe de BTP ETRHB, est parti le premier en prison, suivi par Issad Rebrab, 6e fortune du continent africain et patron de Cevital, premier groupe privé algérien, les frères Kouninef (BTP, télécoms, services pétroliers), Mahieddine Tahkout (transport et montage automobile), Mourad Oulmi et Hassan Arbaoui (montage automobile), Ahmed Mazouz (agroalimentaire et grande distribution), Mohamed Baïri (montage auto) et les frères Moussa et Abderrahmane Benhamadi (électroménager et électronique grand public). Ces arrestations menaceraient, selon les estimations d’économistes difficilement vérifiables, de 30 000 à 50 000 emplois directs, et ont perturbé tout un réseau de sous-traitance représentant 150 000 personnes.
Selon des données internes communiquées par des banques, 90 % des entreprises présenteront un bilan négatif à la fin de l’année. Cet été, Mouloud Khaloufi, président de l’Association générale des entrepreneurs algériens, avait annoncé que 60 % des entreprises exerçant dans le BTP avaient cessé leur activité pour cause de faillite. Une grande partie de l’activité du
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