Le Point

Après le bateau et le train, place aux tours du monde en avion, plus écologique­s et économique­s qu’il n’y paraît.

- PAR CHRISTOPHE MIGEON

«Une croisière en avion ? Tu plaisantes, j’espère ? » Tout à vos doux projets de baguenaude le long des fuseaux horaires, vous en aviez oublié votre douloureux bilan carbone. A l’heure où les Scandinave­s préfèrent rester à la maison plutôt que de risquer leur réputation à l’aéroport, il ne fait pas bon fanfaronne­r sur ses escapades aériennes. Le rouge au front, vous bredouille­z à votre interlocut­eur désormais menaçant que c’est le voyage d’une vie, que vous allez sérieuseme­nt vous mettre au compost en rentrant et jurez devant sainte Greta de ne prendre que des TER jusqu’à la fin de vos jours. Pourtant, votre situation n’est pas si désespérée. « Au risque de surprendre, notre voyage est ultraécolo­gique, souligne Guy Bigiaoui, PDG de Safrans du monde, spécialist­e du voyage sur mesure et de la croisière aérienne. Si nous ne l’affrétions pas, notre avion volerait au minimum une quinzaine d’heures par jour, tandis qu’avec notre itinéraire il est exploité trois heures en moyenne et reste au sol le reste du temps. Nous évitons ainsi la consommati­on de milliers de tonnes de kérosène. Je ne dis pas que nous ne polluons pas, tous les gens qui participen­t à ce voyage en ont conscience, mais il faut aller au-delà des réflexes médiatique­s et pousser le raisonneme­nt jusqu’au bout. » Le rêve de tour du monde et son convoi de fantasmes semblent bien plus forts que tout. Comment ne pas s’emballer à l’idée de rallier en trois semaines une dizaine de sites aussi mythiques que le Machu Picchu, l’île de Pâques ou la baie d’Along ? Un siège attitré pour tout le voyage, des hôtesses aux petits soins, des accompagna­teurs zélés comme des abeilles, les nuits d’escale sous la couette d’hôtels 5 étoiles, une valise qui vous suit comme par magie d’un hébergemen­t à l’autre… Non, décidément, Phileas Fogg peut aller se rhabiller. Las, les rêves ont un coût: en l’occurrence 25 000 euros pour un siège en espace Safrans, la plus simple des classes, 35 000 euros pour le club Safrans, qui s’approche de la classe affaires, et 50 000 euros pour les premières, qui jouissent à terre d’un programme de visites enrichi au sein d’un groupe de 20 personnes au maximum et de nuits en palace. « Les deux classes les plus chères sont les plus faciles à remplir. Chaque année, on y refuse des passagers et il est probable que l’espace Safran soit supprimé l’an prochain pour élargir notre offre en club et première », précise Guy Bigiaoui. De fait, le marché de la croisière aérienne semble en plein essor : en France, ni Safrans du monde, actif sur cette niche depuis 2016, ni TMR, l’acteur historique, qui en est à son 44e tour du monde aérien, n’ont beaucoup de mal à remplir leurs Airbus ou Boeing. Au point que l’an prochain Safrans, par exemple, propose en plus de son itinéraire classique trois tours de continents ainsi qu’un tour du monde aux escales plus insolites. D’autres sociétés, comme le prestigieu­x groupe Four Seasons, proposent de dispendieu­x circuits aériens – en gros le prix d’un studio parisien ! – avec le faste de leurs hôtels de bout en bout. Selon le même principe, la chaîne Aman a réaménagé un Airbus ACJ 319 en 16 minisuites dotées de salles de bains privées !

Quelle que soit la formule, l’avion demeure la clé de voûte du périple. En ce petit matin frileux d’octobre, 183 «tourdu-mondistes » prennent place à bord de l’appareil d’Air Belgium repeint aux couleurs de Safrans. On se pince lorsque la voix suave de la cheffe de cabine annonce : « Bienvenue à bord de cet Airbus A340. Destinatio­n, le monde… » Un tour du globe digne de ce nom s’effectuant toujours d’est en ouest – on ne cesse de reculer les montres, ce qui permet de mieux s’adapter au décalage horaire –, le premier vol traverse l’Atlantique jusqu’à Rio de Janeiro. Après avoir servi une mise en bouche au caviar allongée d’un verre de vodka, l’équipe encadrante se présente aux passagers : deux responsabl­es de l’achemineme­nt

des bagages, un vidéaste chargé de ■ réaliser le film souvenir, un médecin, un infirmier, un masseur, et bien sûr, la demi-douzaine d’accompagna­teurs, fringants et bien lunés, tous recrutés par Yann, le directeur de croisière. « Il faut des gens de terrain, autonomes, capables d’empathie. Ce sont eux qui connaissen­t le mieux les passagers, raconte cet ancien chanteur et comédien. L’important est de rester d’humeur égale en toute circonstan­ce. »

Un bar improvisé le temps du vol délie les langues et les sourires. Quelques coupes plus tard, les C trinquent avec les J, les A et les K s’échangent leurs livres de poche, tandis que les D étalent leur tableau de chasse de voyages lointains aux F qui entendent bien ne pas s’en laisser conter. On serait presque déçu d’entendre l’hôtesse annoncer la descente vers Rio.

Le fardeau des heures de vol s’évanouit le lendemain sous les bras bienveilla­nts du Christ rédempteur avant un survol extatique de la côte en hélicoptèr­e depuis le Pain de Sucre. Et pour conclure la journée, un dîner-spectacle dans la maison de l’architecte Oscar Niemeyer, où les prunelles finissent de s’arrondir sur le rutilant plumage des danseuses de samba. Le matin suivant, on regagne sa place dans l’avion comme si l’on retrouvait sa chambre. Les neuf heures de vol pour Lima donnent l’occasion de faire connaissan­ce avec ses compagnons de jet-lag. Martine et Michelle se sont connues voilà deux ans lors d’un autre tour du monde et ont décidé de s’envoler à nouveau ensemble. « La croisière procure une vision kaléidosco­pique du monde qui peut parfois laisser un sentiment de légère frustratio­n. Mais il est toujours possible de revenir visiter les endroits qui nous ont plu. »

Dix destinatio­ns en un voyage. Il y a aussi Patricia qui n’avait jamais pris l’avion, Anne qui a emprunté sur quinze ans pour s’offrir son rêve, Yves, un ancien dirigeant qui aurait largement les moyens de voyager en première mais qui préfère la simplicité et la spontanéit­é de l’arrière de l’appareil, ou encore Vincent et sa femme, Valérie, dont le père avant de mourir leur a laissé un pécule pour voyager en sa mémoire. « Les passagers sont issus de milieux de plus en plus divers, résume Edouard George, grand manitou des opérations terrestres. Comme il permet d’investir d’un coup dans une dizaine de destinatio­ns, le voyage n’est en fait pas si élitiste qu’il y paraît. »

Après le raffinemen­t suranné du train de luxe Hiram Bingham – du nom de l’archéologu­e américain qui découvrit le Machu Picchu – et les vertiges du site, l’escale péruvienne suscite hélas d’autres émotions. Simple maladresse ou effets délétères du pisco ? Toujours est-il qu’un manutentio­nnaire de l’aéroport de Lima défonce la porte de la soute avec l’engin permettant d’embarquer les conteneurs de bagages ! Le temps de trouver un nouvel avion, et voilà l’île de Pâques condamnée à demeurer un mystère et l’étape polynésien­ne rognée de deux jours sur quatre. Un coup terrible pour les passagers et bien sûr pour l’équipe encadrante, qui s’échine à démêler l’écheveau de problèmes engendrés par le délai.

Finalement, la colère et les larmes s’estompent devant la promesse d’un voyage gratuit d’une semaine vers ces deux destinatio­ns mythiques ou de dédommagem­ents personnali­sés. « The show must go on » : le temps d’explorer le platier de Bora Bora, voici Cairns et sa Grande Barrière de corail, les essaims de jonques de la baie d’Along, les temples birmans survolés en montgolfiè­re, le marbre aveuglant du Taj Mahal et le fort d’Aqaba sur les bords de la mer Rouge pour un repas de gala. La croisière n’a pas fini de s’amuser

Y ALLER

Safrans du monde. Le spécialist­e de la croisière aérienne étoffe son offre en 2020 : un tour « classique » du 31 octobre au 21 novembre à partir de 25 000 €/pers. (– 2 000 € si inscriptio­n avant le 31 janvier), un tour d’Asie du 26 septembre au 10 octobre en 8 escales à partir de 17 500 €/pers., un tour d’Afrique du 9 au 24 janvier et un tour d’Amérique du Sud du 21 mars au 5 avril. Et pour 2021, un tour du monde édition spéciale du 20 février au 13 mars 2021. 01.48.78.71.51, www.safransdum­onde.com.

TMR. L’enseigne a été la première sur le marché de la croisière aérienne en France. Itinéraire en 8 étapes du 9 au 29 février 2020, à partir de 22 900 €/ pers., www.tmrfrance.com.

Four Seasons. Dans un Boeing

757 (50 pers.), 7 escales au départ de Dubai du 31 décembre 2020 au 20 janvier 2021, à partir de 146 000 €/ pers., www.fourseason­s.com.

Aman. 16 minisuites au coeur d’un Airbus ACJ 319 pour un voyage de 22 jours en mars 2021. Un Bombardier Global 5 000 (12 pers. seulement) est prévu pour 4 périples asiatiques, www.aman.com/ expedition­s/private-jet.

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L’hôtel Interconti­nental de Papeete, en Polynésie française. Toutes les escales de la croisière aérienne Safrans du monde se déroulent dans des 5-étoiles.

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