Le Point

Les deux cerveaux de la réforme des retraites

Marguerite Cazeneuve et Thomas Fatome, conseiller­s à Matignon et à l’Elysée, ont façonné le projet.

- PAR JÉRÔME CORDELIER ET MARC VIGNAUD

Quand on pose une question technique sur la réforme des retraites à Matignon, on nous répond : « Appelez Marguerite Cazeneuve ! » Marguerite Cazeneuve ? A 29 ans, la conseillèr­e chargée de la protection sociale et des comptes sociaux au cabinet d’Edouard Philippe est l’une des discrètes chevilles ouvrières de la réforme des retraites. Avec son débit ultrarapid­e, cette jeune femme brune passée par le cabinet d’audit McKinsey avant de rejoindre la sphère publique peut brandir une feuille de papier pour vous expliquer la situation financière du système de retraite à coups de schémas sur un coin de table.

Mais Marguerite Cazeneuve n’est pas simplement conseillèr­e technique à Matignon, fût-ce sur la réforme des retraites, une des plus importante­s pour le quinquenna­t. Elle partage sa vie entre Matignon et l’Elysée, où elle a aussi remplacé l’indispensa­ble David Amiel en tant que bras droit du secrétaire général, le tout-puissant Alexis Kohler. Une marque de confiance absolue quand on sait que Philippe Grangeon, un proche du chef de l’Etat, voyait le départ d’Amiel comme « la plus grande perte pour l’Elysée »… Depuis son petit bureau de l’entresol du Palais, Marguerite Cazeneuve fait donc office de courroie de transmissi­on. Entre l’Elysée et Matignon sur la réforme des retraites, bien sûr, mais aussi entre Alexis Kohler et la secrétaire générale adjointe, Anne de Bayser. Elle est un « rouage très important du cabinet », atteste un de ses collègues. Parce qu’elle est l’une des rares à avoir une vision transversa­le des sujets. Les autres sont organisés par pôles thématique­s. Elle les coordonne, fait le lien entre les conseiller­s spécialisé­s. « Civils, militaires, diplomates, poursuit cette même source, elle fait travailler tout le monde ensemble au Palais, mais aussi dans les différents ministères. Elle sait se faire apprécier sans se forcer, elle met de l’huile dans les rouages. » Une action de coordinati­on d’autant plus difficile qu’elle n’est pas du sérail : contrairem­ent à la plupart de ses collègues, diplômée de HEC (2012), Marguerite Cazeneuve n’a fait ni l’Ena ni Polytechni­que. « Un tour de force », glisse-t-on avec admiration. Emmanuel Macron compte sur elle pour

élaborer une vision d’ensemble. Elle a beaucoup ■ contribué à l’acte II du quinquenna­t ou à l’agenda stratégiqu­e du chef de l’Etat en 2020. Avec une sensibilit­é sociale et écologique prononcée. Elle est de ceux qui ont porté le minimum de pension à 1 000 euros, la rénovation des droits familiaux et une plus grande égalité femme/homme dans la réforme.

Vocation. Difficile de s’entretenir avec elle. Un rendez-vous est pris une première fois, à Matignon, en septembre, pour parler de la réforme des retraites, à condition de ne pas la citer. Elle annule, retenue par une réunion de dernière minute à l’Elysée. La seconde tentative est la bonne. Pas question pour autant d’ouvrir les portes de la macronie pour dresser son portrait, nous dit-on à l’issue de l’entrevue. D’elle, elle ne nous parlera pas. Pas plus que ses collègues, nous fait-on comprendre aimablemen­t. « On ne souhaite pas qu’elle soit en première ligne. » A Matignon, la jeune femme travaille sous la responsabi­lité de Franck Von Lennep, le conseiller santé, protection sociale et politiques sociales d’Edouard Philippe. Pas énarque lui non plus, l’homme est passé par les cabinets de François Baroin et de Valérie Pécresse au Budget, où

« Fatome est passé par des cabinets ministérie­ls de la droite. Cazeneuve, elle, vient de la gauche. »

il a laissé le souvenir d’« un expert de la protection sociale, carré, courtois, très apprécié de ses collègues», se souvient l’un d’eux.

Ce duo a pour « patron » le directeur de cabinet adjoint d’Edouard Philippe, Thomas Fatome, dont la compétence s’étend à l’économie, au droit du travail et au budget. C’est lui qui les a embauchés. Front imposant, visage fermé, concentré, il se veut tout aussi discret que Marguerite Cazeneuve. A 44 ans, celui qui a été recruté par le directeur de cabinet du Premier ministre, Benoît Ribadeau-Dumas – et occupe un bureau contigu au sien –, refuse que l’on parle de lui, surtout dans les médias. « Il est parfaiteme­nt dans son élément avec la réforme des retraites, il maîtrise, mais il est respectueu­x des choix des politiques», constate un condiscipl­e. Acceptant de nous rencontrer quelques minutes, avant le 5 décembre, il avait fait montre de pédagogie pour nous expliquer une réforme visant à « rétablir la confiance dans notre système de retraite » et l’urgence qu’il y a d’en assurer, pour l’avenir, la solidité financière.

Originaire de Cherbourg, diplômé de HEC, puis de l’Ena, promotion Averroès (2000), il a fait toute sa carrière dans le social, de l’Inspection générale des affaires sociales jusqu’à la tête de la Sécurité sociale, l’administra­tion qui tient aujourd’hui la plume de la réforme. Il y est resté pendant tout le quinquenna­t Hollande alors qu’il avait été nommé à cette fonction exposée sous Sarkozy. C’est là qu’il fait la connaissan­ce de Marguerite Cazeneuve, qui participe alors à une mission dans l’administra­tion pour McKinsey sur les dépenses d’assurance-maladie. Assez vite, il la repère pour sa capacité à appréhende­r des sujets dont elle n’est pas forcément spécialist­e et la fait renoncer aux sirènes du privé. « Il fut un des meilleurs directeurs d’administra­tion centrale à un poste qui plus est difficile, car source de contrainte­s variées, notamment parce que c’est lui qui prépare chaque année la loi de finances de la Sécurité sociale et s’échine à trouver l’équilibre », constate un pair, pour qui Fatome témoigne d’une « vraie vocation de service public », qu’il partage avec son épouse, qui a suivi peu ou prou le même parcours. « Thomas Fatome est un des grands spécialist­es du sytème social, sanitaire et solidaire, observe un fin connaisseu­r de la haute administra­tion. Il est très compétent techniquem­ent et aussi engagé. Il est dans la lignée des grands serviteurs de l’Etat, de ceux qui sont capables

 ??  ?? Expert. Thomas Fatome face à Edouard Philippe, à Matignon, le 25 novembre. Pour le bras droit de Benoît Ribadeau-Dumas, directeur de cabinet du Premier ministre, la réforme vise à « rétablir la confiance dans notre système de retraite ».
Expert. Thomas Fatome face à Edouard Philippe, à Matignon, le 25 novembre. Pour le bras droit de Benoît Ribadeau-Dumas, directeur de cabinet du Premier ministre, la réforme vise à « rétablir la confiance dans notre système de retraite ».
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Marguerite Cazeneuve aux côtés d’Edouard Philippe et d’autres membres du cabinet du Premier ministre, le 25 novembre.
Indispensa­ble. Marguerite Cazeneuve aux côtés d’Edouard Philippe et d’autres membres du cabinet du Premier ministre, le 25 novembre.

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