Le Point

Le bateau ivre français

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Que nous arrive-t-il ? Ces temps-ci, la France fait un peu beaucoup penser au « Bateau ivre » où Arthur Rimbaud, au-dessus des « clapotemen­ts furieux des marées, » voit, entre autres, « des aubes navrantes », des « marais énormes » qui fermentent, des « échouages hideux au fond des golfes bruns ».

Au plus fort de la Grande Guerre, les belligéran­ts faisaient la trêve de Noël. La CFDT l’appelle de ses voeux, mais la CGT a prévenu qu’il n’en était pas question. C’est dire le climat de délire dans lequel nous vivons aujourd’hui, sur fond de malveillan­ce, de fureur sociale. Sans parler de la recrudesce­nce de l’antisémiti­sme.

Pourquoi tant de violence? Menée par les forteresse­s cégétistes de la SNCF et de la RATP, qui ne défendent que leurs intérêts catégoriel­s, cette grève bénéficie pourtant, c’est à pleurer, du soutien d’une partie non négligeabl­e des Français : la CGT a réussi à leur faire croire qu’elle se battait pour eux. Ça leur passera.

Pour comprendre les effets du corporatis­me à la française, il suffit de comparer la moyenne des retraites de la RATP (3 705 euros), celle de la SNCF (2 636 euros) à celle de tous les Français (1 496 euros). Merci les régimes spéciaux ! On peut tout dire du projet de réforme des retraites, sauf qu’il est antisocial et inégalitai­re. Au contraire, le prétendu « président des riches » a cherché à introduire de la justice et de l’équité dans le système, notamment à l’égard des agriculteu­rs. L’hystérie qu’il provoque dans la gauche extrême, voire bobo, montre qu’elle a abandonné le social, que le sort des plus faibles ne la concerne plus, qu’elle n’a pas tiré les leçons de la crise des gilets jaunes.

Nous voilà en France avec une gauche Corbyn, du nom du patron du Parti travaillis­te, sur laquelle les électeurs britanniqu­es viennent heureuseme­nt de tirer la chasse d’eau, la semaine dernière. Une gauche irresponsa­ble, cryptoléni­niste, pseudo-écolo, islamogauc­histe et de plus en plus ouvertemen­t antisémite. En somme, plus proche de la secte apocalypti­que que du parti de gouverneme­nt.

On a du mal à croire que Jean-Luc Mélenchon soit antisémite – toute sa vie prouve le contraire –, mais il donne un signal atroce à la « bête immonde » quand il impute la lourde défaite de l’antisémite avéré Jeremy Corbyn « au grand rabbin d’Angleterre » et à « divers réseaux d’influence du Likoud ».

Pour un peu, il dénoncerai­t un complot juif mondial. Bouffre !

Il ne nous manquait que plus que ça, un gros rot d’après banquet à consonance antisémite, pour compléter le tableau d’une France en éruption où la CGT et les camionneur­s entendent imposer leur loi. Puissent MM. Macron et Philippe tenir bon, même s’ils seraient bien inspirés de faire des concession­s sur l’âge pivot à Laurent Berger, secrétaire national de la CFDT, premier syndicat français, avec lequel le président entretient, à tort, des relations exécrables.

Soit dit en passant, quand on a la chance d’avoir un leader syndical de la trempe de Laurent Berger, on l’écoute, on le soigne. Or, avec les syndicats réformiste­s, le pouvoir s’est contenté, jusqu’à présent, de pratiquer une verticalit­é obsolète et méprisante. Comme s’il lui reprochait d’avoir été du dernier bien avec François Hollande, Emmanuel Macron n’a pas calculé la CFDT. Parions que ça va changer.

Si nous en sommes là, plus bas que terre, « corps-mort pour les cormorans », comme dit la chanson de Sardou, c’est sans doute parce que, depuis des décennies, nous avons changé de paradigme et accepté que l’autorité fût minée, jour après jour, à tous les étages. Après avoir décapité le roi en 1793, nous avons fait en sorte que tout le monde le devienne. Récapitulo­ns. Il y a l’enfant roi, le cégétiste roi, le juge roi, l’islamiste roi, l’imbécile roi et beaucoup d’autres encore, au mépris des enseignant­s, des policiers, des médecins, des « sachants ».

C’est l’avènement du

»,déclarait Alain Finkielkra­ut, jeudi dernier, dans l’exercice traditionn­el du discours sur la vertu, lors de la séance publique annuelle de l’Académie française, en soulignant que notre civilisati­on est désormais considérée comme coupable de tout, « la violence dont elle est l’objet » procédant de « son essence criminelle ». Après quoi il nous a appelés à planter « résolument nos talons dans le sol » pour « résister au sens de l’Histoire » en indiquant toutefois que « les chances de succès sont minces ».

Tout est-il écrit? Philosophe, poète et médecin, Empédocle, l’une des figures majeures de la pensée grecque, décida, au Ve siècle avant notre ère, que le temps et le cosmos étaient régis par deux principes : l’amour et la haine, qui les gouvernent alternativ­ement. Le premier unit et apaise. La seconde casse, divise, déconstrui­t.

Depuis le temps que la France vit sous le signe de la haine, ce serait bien que l’amour vienne prendre quelque temps le relais. Ça nous ferait des vacances. Bonnes fêtes !

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