L’Europe face au Yalta de la 5G
L’Union européenne a les moyens technologiques de résister au partage du monde entre Américains et Chinois. En a-t-elle la volonté politique ?
Quand deux éléphants se battent, les fourmis meurent, dit le proverbe. Les Etats-Unis et la Chine sont engagés dans une compétition sans merci pour la suprématie numérique mondiale. L’Europe risque, dans cette lutte de géants, de perdre son indépendance technologique.
Un Yalta du numérique se dessine sous nos yeux. Les EtatsUnis ont décidé d’exclure Huawei, mastodonte chinois des télécoms, de leur futur réseau de téléphonie mobile de cinquième génération (5G). Ils font pression sur leurs alliés, notamment les pays européens, pour qu’ils les imitent. En face, la Chine vient de décider de s’affranchir en trois ans de tous les logiciels et matériels informatiques étrangers utilisés par son administration. Si l’évolution se poursuit, il y aura bientôt deux mondes numériques étanches sur la planète. D’un côté, celui dominé par les Américains, via Amazon, Google, Facebook, Microsoft et Apple ; de l’autre, celui qui sera aux mains des Chinois, avec Alibaba, Baidu, Tencent, Huawei et Xiaomi. L’Europe devra choisir son camp et y sacrifier son libre-arbitre. Les menaces proférées par l’ambassadeur de la République populaire à Berlin, qui vient de mettre en balance l’accès des constructeurs automobiles allemands à la Chine et l’accueil qui sera réservé à Huawei en Allemagne, donnent un avant-goût des difficultés à venir.
L’enjeu de la bataille autour de la 5G est décisif. Cent fois plus rapide que la 4G, la nouvelle génération permettra à une foule d’objets (voitures autonomes, drones, robots, etc.) de communiquer entre eux. Elle autorisera de nouveaux usages numériques, comme l’apprentissage autonome des machines et l’intelligence artificielle. Celui qui contrôlera le réseau aura la haute main sur la vie économique du pays et sur ses capacités de défense.
Huawei est au coeur du conflit, car elle est la seule entreprise qui maîtrise à la fois la construction des réseaux mobiles et la fabrication de terminaux, comme les smartphones, qui comptent parmi les plus performants. Ses ventes mondiales, qui ne cessent de progresser, dépassent 100 milliards de dollars par an. Son offre, s’appuyant sur un immense marché domestique guère concurrentiel, est attractive. Cela pèse lourd dans la balance, car la mise en place de la 5G est coûteuse.
Washington accuse Huawei, dirigée par un ancien ingénieur de l’Armée populaire devenu milliardaire, de liens inavoués avec l’Etat chinois et le Parti communiste. Les Américains n’ont cependant jamais apporté la preuve de leurs allégations, même s’ils avaient réussi, il y a dix ans, on le sait grâce aux révélations de l’ex-membre des services de renseignement Edward Snowden, à infiltrer le réseau de communication interne de l’entreprise chinoise.
Le risque d’espionnage est incertain, mais celui de dépendance, mis en relief par un rapport de la Commission européenne publié en octobre, est suffisamment fort pour pousser les Européens à prendre leurs distances avec le géant chinois. En France, un arrêté « anti-Huawei » paru le 10 décembre au Journal
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Deux fabricants peuvent concurrencer Huawei : le suédois Ericsson et le finlandais Nokia-Alcatel.