Le Point

La « guerre chaude » de John Kerry

L’ex-secrétaire d’Etat d’Obama mobilise stars et politiques pour lutter contre le réchauffem­ent.

- PROPOS RECUEILLIS PAR GÉRALDINE WOESSNER

Il a tout vu de la débâcle. L’ex-chef de la diplomatie américaine John Kerry était à Rio, en 1992, lors de l’adoption de la première Convention climat. Il a négocié, en 1997, les accords de Kyoto avant de jurer de ne pas les appliquer pour ne pas mettre à mal l’économie américaine, lorsqu’il affrontait George Bush pour la présidenti­elle de 2004. Onze ans plus tard, il négociait les accords de Paris, dont les Etats-Unis se sont aujourd’hui retirés. L’échec de ces trente années de mobilisati­on est patent: depuis 1990, les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté de 68 %. Des raisons qui ont précipité nos renoncemen­ts Kerry tire une analyse radicale : les freins culturels et économique­s à la lutte contre le réchauffem­ent climatique sont tels qu’il faut changer de paradigme. La coalition qu’il a lancée en décembre se veut une machine de guerre. Baptisé World War Zero, en double référence à une guerre mondiale et à l’objectif « zéro émission », son groupe rassemble stars de cinéma et personnali­tés politiques de tous bords. Il se donne pour mission de montrer que, entre les populistes niant la réalité de la crise climatique et les collapsolo­gues prônant la décroissan­ce, il existe une troisième voie. Entretien.

Le Point: Vous avez lancé le groupe World War Zero. Faut-il une mobilisati­on de guerre pour atteindre l’objectif zéro carbone? John Kerry :

J’ai vu de quelle façon nous avons échoué à tenir nos promesses. La science nous rattrape plus rapidement que prévu et la crise s’aggrave, même si nous faisons des progrès. Car nous en avons fait !

Nous avons vu fermer des centrales à charbon, les énergies solaire et éolienne sont devenues compétitiv­es. Le problème est que le changement ne va pas assez vite; les dégâts s’accélèrent. Nous ne faisons pas le boulot que nous devrions faire. Les pays du G20 portent une lourde responsabi­lité, car ils sont les principaux émetteurs et qu’ils ont les moyens, le niveau de développem­ent et les capacités d’agir. La seule façon pour que nous prenions enfin les décisions qui s’imposent est de regarder le problème tel qu’il est : un combat pour notre survie. Notre lutte doit devenir une guerre. Mais, malheureus­ement, certains ont déclaré la guerre à la science ! Sans sursaut, notre futur est en péril.

Face au défi du réchauffem­ent, certains s’enferment dans le déni, d’autres prônent la décroissan­ce. Vous défendez une troisième voie?

Les gens ne se concentren­t pas assez sur les avantages que nous avons à agir. Lutter contre le réchauffem­ent ne va pas nous coûter en qualité de vie, au contraire. La pollution affecte la santé des gens. Quand nous la réduisons, nous avons moins de cancers, moins d’enfants hospitalis­és pour de l’asthme causé par l’environnem­ent. Ces hospitalis­ations coûtent 55 milliards de dollars par an aux Etats-Unis. Ce n’est jamais pris en compte pour estimer le vrai coût de la crise climatique. On ne parle jamais du coût du charbon, de celui des maladies pulmonaire­s, des particules fines dans l’air, de l’acidité des océans. Trois tempêtes aux Etats-Unis, il y a deux ans, nous ont coûté 265 milliards de dollars en nettoyage. Qui mesure ces implicatio­ns ?

Je pense qu’une troisième voie consiste à mettre l’accent sur les avantages de la transition. Le premier marché dans le monde est celui de l’énergie. Il représente 4,5 milliards de consommate­urs et, dans les trente prochaines années, il va en toucher 9 milliards. Ces transforma­tions peuvent mener à un monde plus sain et plus sûr. Des réfugiés se pressent aux portes de l’Europe parce qu’ils ne peuvent plus vivre dans leur pays : ce sont les réalités du changement climatique, et le coût de l’inaction excède largement celui de l’action.

« La seule façon pour prendre les décisions qui s’imposent est de regarder le problème tel qu’il est : un combat pour notre survie. »

Les défenseurs d’un Green New Deal aux Etats-Unis critiquent vos positions, jugées peu vertueuses ou trop timides.

Notre groupe rassemble républicai­ns et démocrates. Nous sommes des alliés improbable­s et ne sommes pas d’accord sur tout. Certains pensent que le développem­ent du gaz naturel fait partie de la transition. Ce n’est pas mon cas, je ne veux pas construire de nouvelles centrales au gaz. J’ai confiance dans le développem­ent de nombreuses technologi­es. Le stockage des batteries va continuer à s’améliorer. L’espagnol Iberdrola [leader mondial de la production d’électricit­é éolienne, NDLR] a une technique de stockage hydrauliqu­e. Le jour où nous parviendro­ns à

L’agricultur­e représente 16,4% des émissions de GES en France. Le secteur affronte une forte pression sociétale. Peut-on concilier durabilité et rendements?

La France a beaucoup de chance d’avoir ces remarquabl­es terres agricoles, qui ont conservé à la fois leur beauté et des espaces ni développés ni détruits, grâce aux agriculteu­rs. La plupart inscrivent leurs pratiques dans un objectif durable, simplement parce qu’ils n’ont pas envie de perdre leurs terres. Tant qu’ils conservero­nt ces techniques, je ne pense pas que la solution soit de produire moins. Tout dépend de la façon dont on produit et de ce qu’on choisit de produire. La culture de céréales et les méthodes régénératr­ices peuvent réduire les émissions et améliorer la séquestrat­ion du carbone dans le sol. C’est notre système de distributi­on qui pose de vrais problèmes, pas notre système de production. Et la façon dont les gens consomment ! L’un des plus grands contribute­urs à la crise climatique est le gaspillage alimentair­e, mais, demain, il y aura 9 milliards de bouches à nourrir, il serait absurde de réduire nos production­s. D’autant plus que certaines cultures seront détruites par le réchauffem­ent. Que deviendron­t les terres de basse altitude ? Le grenier à riz du Vietnam est le delta du Mékong, qui pourrait être submergé si nous n’agissons pas.

« C’est notre système de distributi­on qui pose de vrais problèmes, pas notre système de production. »

Greta Thunberg, désignée personnali­té de l’année par «Time», redoute l’effondreme­nt de notre civilisati­on. Partagez-vous ses craintes?

Je pense que nous pouvons encore éviter le pire. Mais, si la planète reste sourde aux appels des scientifiq­ues et si les pires conséquenc­es qu’ils envisagent surviennen­t, l’impact sur notre civilisati­on sera profond. Greta nous demande simplement d’agir en tenant compte de la science, cela me semble une requête parfaiteme­nt raisonnabl­e. J’ai été écoeuré par les attaques de notre président contre elle la semaine dernière [Donald Trump lui a conseillé d’« apprendre à gérer sa colère », NDLR]. Quelle lâche et honteuse attitude pour un dirigeant mondial !

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