Le Point

Provisions sensuelles

- PAR SÉBASTIEN LE FOL

«Un médecin m’avait dit : “L’été prochain, vous pourrez séjourner dans un centre de rééducatio­n”, confiait Sylvain Tesson après sa chute. Je préférais demander aux chemins ce que les tapis roulants étaient censés me rendre : des forces. » Tesson traversa la France à pied. Michel Onfray, lui aussi, sait que le chemin est le plus sûr moyen de relier les points cardinaux de notre vie. Le chemin mène toujours quelque part : à son enfance ou au cimetière. Il faut à tout prix en conserver la mémoire. La toponymie est le meilleur remède contre l’oubli.

Le philosophe a arpenté le sentier de la Garenne autour de son village normand, Chambois. Il a mis en quelque sorte ses pas dans les siens. A-t-il été fidèle à l’enfant qu’il fut ? Sa capacité d’émerveille­ment est intacte. Ses souvenirs, chauds comme des petits pains sortant du four. Onfray cultive une qualité plus que toute autre: l’attention. La maison de son enfance est située ruelle des Soupirs. Très jeune, il a appris à tendre l’oreille. Il voit tout, il sent tout. Il a fait des « provisions sensuelles » et les partage avec nous de bon coeur. Plongez-vous dans son livre et vous goûterez le jus de mûre. Vous frôlerez la «soie rouge du coquelicot ». Et vous entendrez le clapotis de la Dive, cette rivière devenue ruisseau à cause de la pollution, mais aussi des écologiste­s, qui ont appris la nature dans les livres.

Porté par sa mémoire « comme une feuille par la brise », le philosophe célèbre son cher cosmos. En botaniste et naturalist­e, il décrit grillons, abeilles et couleuvres. On aurait aimé connaître Mlle Hays, ancienne gouvernant­e à la tête d’une petite école libre, qui lui a enseigné l’histoire sainte aussi bien que le nom des pierres et des fleurs. Ce mélange de christiani­sme et de paganisme n’est pas pour déplaire à Onfray. Il a conservé un meilleur souvenir de Mlle Hays que de « la jeune garde des institutri­ces formatées à la pédagogie moderne ».

« Le chemin de la Garenne » est un beau livre de gratitude. D’abord pour le « peuple sain et vrai, simple et modeste » formé par les paysans, les ouvriers et autres artisans. Mais aussi pour son père, dont l’ombre plane sur cette promenade virgilienn­e, tendre et mélancoliq­ue. Ce père mort dans ses bras, à Chambois. Ce père qui travaillai­t dans les champs que longe le chemin de la Garenne. Gaston à indiqué à Michel la bonne marche à suivre : le fils a retrouvé le chemin du retour

VOUS GOÛTEREZ

LE JUS DE MÛRE. VOUS FRÔLEREZ LA « SOIE ROUGE DU COQUELICOT ». VOUS ENTENDREZ LE CLAPOTIS DE LA DIVE.

« Le chemin de la Garenne », de Michel Onfray (Gallimard, 90 p., 12 €). A lire aussi : « Les avalanches de Sils-Maria. Géologie de Frédéric Nietzsche » (Gallimard).

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Michel Onfray.

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