Les madeleines de Matzneff
Journal. Gabriel Matzneff est un styliste hors pair, un ciseleur de mots que les jeunes romancie(ère)s qui se piquent de révolutionner ou de rajeunir la littérature devraient lire, en commençant par «L’amante de l’Arsenal », le dernier volume de son journal qui couvre 2016 à 2018. Saint-Germain-des-Prés, Rome, les bureaux de Gallimard, les salons des appartements bourgeois ou des palais vénitiens, les tables de chez Lipp ou les villages de la côte amalfitaine, partout où il passe l’auteur ne voit que le beau et le digne d’intérêt. A 83 ans, Matzneff se promène dans le monde avec les yeux du gentilhomme du XVIIIe siècle à la curiosité débordante. Sa politesse à lui est de n’accorder que peu de place aux déconvenues de l’existence.
De ses amis, avocats, écrivains, diplomates, journalistes, il ne rapporte que des propos drôles, tranchants, intelligents. L’ouragan de médiocrité qui s’abat sur la planète semble épargner l’îlot qu’il habite. Il y a du Proust dans ce journal d’un monde bientôt englouti dont l’auteur tisonne inlassablement les derniers feux avec pour seul souci de construire une phrase musicale, de choisir le mot juste et d’afficher une érudition joyeuse. En refermant cet ouvrage copieux, on pense à la remarque de l’empereur d’Autriche s’adressant à Mozart après la première de « L’enlèvement au sérail » : « Il y a, je pense, trop de notes dans cette partition ! » Et à la réponse du divin génie : « Mais quelles notes voulez-vous que j’enlève?» Aucune, monsieur Matzneff, aucune
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« L’amante de l’Arsenal. Journal 2016-2018 », de Gabriel Matzneff (Gallimard, 432 p., 24 €).
au crible de plus de 4 000 témoignages. La palme du plus fréquemment blessé au combat revient au maréchal Oudinot – à 32 reprises. « Sa destinée était d’être blessé partout », disait le comte de Ségur. Celle du traître absolu est décernée au maréchal de Bourmont, passé à l’ennemi la veille de Waterloo. Une somme indispensable pour mieux connaître tant les militaires que la société qui les entoure, car, comme l’écrivait le capitaine Alfred de Vigny : «Telle qu’elle est, l’armée est un bon livre à ouvrir pour connaître l’humanité. »
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