Le Point

Le charme discret de So-Au

Le sud d’Auteuil serait-il en train de devenir l’hypercentr­e du cool postbourge­ois ?

- PAR GILLES DENIS

Longtemps, ce fut le triangle des Bermudes du 16e : quand on prenait le 32 (la ligne de bus de la bourgeoisi­e triomphant­e reliant les beaux quartiers), on ne s’aventurait pas entre la rue ChardonLag­ache, l’avenue de Versailles et le boulevard Murat. Bien avant le tramway, seul le PC permettait d’atteindre cette frontière de la capitale, ce no man’s land dont les repères – Parc des Princes, Roland-Garros, piscine Molitor – étaient connus des seuls sportifs. Un encadremen­t de compétitio­n qui camouflait un coin de Paris où se côtoyaient ateliers d’artistes, maisons de contremaît­res des usines Citroën et Renault et manifestes architectu­raux des années 1960. Certes, le quartier n’avait jamais été mal fréquenté. Certes, la proximité d’institutio­ns de la bourgeoisi­e comme l’école Notre-Dame-des-Oiseaux – naguère couvent des Oiseaux – lui assurait même une vraie respectabi­lité fleurant bon l’ennui distingué, les serre-tête de velours et les vieux blazers. Mais, depuis que JeanMarie Lustiger, futur cardinal-archevêque de Paris, avait fait ses classes à Sainte-Jeannede-Chantal, la paroisse locale, rien ne s’était passé autour de la porte de Saint-Cloud. Et puis, au tournant des années 2010, tout a frémi. Après avoir épuisé de bobos les 10e et 11e arrondisse­ments, après avoir embrassé les charmes un rien marlous du 19e, Paris secherchai­tunenouvel­lefrontièr­e.Comme New York avait trouvé en Bushwick son nouveau Brooklyn, la capitale jetait son dévolu sur ce sud d’Auteuil que nul n’osait encore appeler « So-Au » – pour South of Auteuil. Un retour en grâce ne devant rien aux édiles municipaux mais beaucoup à Franck Durand, inconnu du grand public mais qui, à la tête de l’agence qui porte son nom, est un de ces faiseurs de goût dont raffolent la mode et le luxe. C’est d’ailleurs en rachetant un titre mythique des années 1960 tombé en désuétude, Holiday, qu’il inaugure cette reconquête territoria­le. Plus que d’un magazine grand format, l’homme sait qu’il a fait l’acquisitio­n d’une marque à développer. Il en contrôle l’extension en créant sous ces nouvelles couleurs un café avenue de Versailles et une boutique rue Parent-de-Rosan, dans un immeuble années 1960 déployant mosaïques noires et acier. On y fait l’emplette d’un vestiaire branchic-bon genre, comme on disait en 2000, surfant sur la vague du preppy japonais, entre sweat-shirts à la palette sorbets et chinos beiges. Un temple vintage épice l’offre d’un brin d’authentici­té. Le tout se déploie à un jet de magazine de la maison qu’il occupe avec son épouse, Emmanuelle Alt, toute-puissante patronne du Vogue Paris. Un doux parfum d’entre-soi et le tour est joué : So-Au aspire à être l’épicentre du New Cool parisien. Entre-temps, un communican­t est entré dans la danse : Lucien Pagès, dont le bureau concentre tout ce qui fait la tendance – on y trouve Jacquemus, nouvelle idole mode, ou la griffe nipponne Sacai – faisant passer Comme des garçons pour la paléontolo­gie de la hype. Et les beautiful people de débarquer dans ce bout du monde, qui après un défilé de mode, qui pour un déjeuner healthy, qui pour shopper chez Beige – autre boutique de la galaxie BCBG décomplexé. La proximité du Parc des Princes contribuer­ait même à cette invasion – le PSG est devenu désirable depuis que la jeune styliste Marine Serre a signé une collection pour le club. Le 16e sud n’est plus un faubourg pour des Le Quesnoy un rien désargenté­s. C’est le « vrai Paris ». En très émergent tout de même. Fluctuat nec mergitur

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La boutique et le café Holiday, rue Parent-de-Rosan, repère d’un quartier devenu hype.
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