Le Point

Hervé Temime : « S’il vivait aujourd’hui, Coluche serait en prison »

L’avocat de Roman Polanski fustige les déprogramm­ations du film « J’accuse » et rappelle que « seule la justice peut condamner ».

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M eHervé Temime ne s’est pas exprimé depuis les nouvelles mises en cause visant Roman Polanski, qu’il défend. « Les médias et le public ne retiennent généraleme­nt que ce qui accuse. J’aurais pu réagir à chaud, j’ai préféré laisser passer la vague », confie au Point le fameux pénaliste. « Qu’un homme puisse être cloué au pilori médiatique, qui plus est pour des faits prescrits, est déjà en soi très choquant. Que des élus et des militants veuillent empêcher le public de voir son oeuvre, c’est plus qu’inquiétant », met en garde l’avocat du cinéaste, « atterré » par cette « atteinte aux libertés les plus fondamenta­les ».

Le Point: Après les accusation­s de la photograph­e Valentine Monnier, qui accuse Roman Polanski de l’avoir violée, en 1975, la projection de son dernier film, «J’accuse», a été empêchée ou déprogramm­ée en divers endroits. Qu’est-ce que cela vous inspire? Hervé Temime:

Je suis atterré! Quand le conseil territoria­l de Seine-Saint-Denis a voulu déprogramm­er le film, j’ai éprouvé de l’indignatio­n et un peu d’espoir : la polémique permettrai­t, peut-être, d’engager une réflexion sur la censure, la liberté de création, la liberté du public de voir, lire ou entendre les oeuvres de son choix. Finalement, cette collectivi­té est revenue sur sa décision ; tant mieux, car il me semble que l’on atteignait là un seuil infranchis­sable [« J’accuse » a été déprogramm­é depuis en divers endroits, notamment à Ivry-Sur-Seine]. Je respecte le jugement négatif que l’on peut avoir de Polanski, de moi-même ou de n’importe qui d’autre. J’observe, tout en le déplorant, qu’un homme peut être cloué au pilori médiatique en dehors de toute instance judiciaire. En revanche, qu’on culpabilis­e les gens qui veulent voir son film, qu’on puisse les exhorter à ne pas le faire, je trouve ça dramatique. Libre à chacun de boycotter les oeuvres de Polanski. Mais que des élus déprogramm­ent le film ou que des militants bloquent les accès aux salles, ça m’inquiète et me choque profondéme­nt.

Ce qui m’a rassuré, c’est la réaction de beaucoup de femmes. J’ai reçu de nombreux appels indignés de femmes, jeunes ou moins jeunes, se déclarant féministes et me disant qu’elles iraient voir le film, précisémen­t parce que certains avaient voulu les en empêcher. Reste qu’une ligne rouge a été franchie, et il faut faire très attention. Va-t-on, demain, empêcher Fabrice Luchini de lire des textes de Céline? Culpabilis­er ceux qui iront l’applaudir ? Qui pourrait dire qu’il ne faut plus écouter les disques de Michael Jackson ? Qu’il faut censurer « Lolita », le chef-d’oeuvre de Nabokov? On pense ce que l’on veut de Woody Allen [accusé de viol par sa belle-fille], mais la justice américaine l’a innocenté par deux fois. Pour autant, Amazon, avec lequel il avait signé un contrat, a gelé dans son pays la sortie de son dernier long-métrage. C’est terrible.

Le succès de «J’accuse» est-il de nature à vous rassurer?

L’accueil que le public français a réservé au film a été, pour mon client, un motif de soulagemen­t et de satisfacti­on, dans une période très difficile pour lui. Il espérait que « J’accuse » rencontrer­ait un large public au pays de l’affaire Dreyfus ; tel a été le cas, tant mieux. Mais il ne faut pas s’y tromper : cette polémique, ces tentatives de censure n’ont pas fait du bien au film, qui, sans elles, aurait eu, j’en suis sûr, encore plus de succès. Ces événements me laissent un goût amer quant à l’évolution des mentalités sur un sujet aussi fondamenta­l que la liberté d’expression, battue en brèche par un jugement moral généralisé et appliqué à toutes les strates, toutes les activités de la société.

Dans un débat télévisé où il était question du viol, M. Finkielkra­ut a usé, peut-être de façon inopportun­e, de provocatio­n [« Je dis aux hommes : violez les femmes. D’ailleurs, je viole la mienne tous les soirs ! »]. Ce n’était pas d’un goût fou, mais le second degré était évident, ce qui n’a pas empêché qu’il soit exécuté en place publique. Une pétition a circulé pour qu’on lui supprime son émission sur France Culture ; ce fut un déferlemen­t de propos haineux sur les réseaux sociaux ; on a entendu Caroline De Haas [Osez le féminisme] l’accuser d’« entretenir la culture du viol ». Qui peut imaginer sérieuseme­nt qu’Alain Finkielkra­ut puisse défendre les violeurs ? Il est l’une des rares personnes à dire aujourd’hui ce qu’il pense, en France; son courage est rare, et je lui rends hommage.

S’il vivait aujourd’hui, Coluche serait en prison.

Qui sont selon vous les nouveaux censeurs?

Je n’aime pas catégorise­r les gens mais, pour moi, ce sont les bien-pensants, les chroniqueu­rs de tout poil qui assènent des

Face aux médias, et en marge du procès, la liberté de l’avocat est également très grande. Mais, quand il s’exprime, il ne doit pas le faire pour se faire plaisir ni même pour élever un débat d’intérêt général. Il doit le faire dans le seul intérêt de son client.

Dans l’affaire Polanski, j’ai fait un communiqué pour indiquer que nous contestion­s les faits. J’ai été très sollicité, ensuite, mais j’ai considéré qu’en l’état, et face au tribunal médiatique, je resterais inaudible, quoi que je fasse et dise. J’ai considéré qu’évoquer à chaud des arguments en faveur de l’innocence de Roman Polanski susciterai­t plus de réactions négatives que d’écoute attentive. Donc, je me suis tu. D’autres auraient parlé, j’ai laissé passer la vague.

Les victimes devraient-elles se taire?

Je ne dis pas ça, mais les médias devraient s’abstenir de relayer leurs accusation­s sans précaution. La personne qui met en cause Roman Polanski explique que c’est la sortie de son film qui l’a conduite à dénoncer publiqueme­nt les faits dont elle s’estime victime, quarante-quatre ans après. C’est très curieux, mais c’est ainsi. Publiée dans des conditions extrêmemen­t légères, cette accusation a déclenché des torrents de haine, des condamnati­ons sans appel sur les réseaux sociaux. Dans ce procès médiatique, la défense est totalement inaudible. Si l’on y réfléchit bien, nous sommes en présence d’une situation où une femme nous dit: j’ai été violée, mais je n’ai pas porté plainte – elle aurait pu le faire, elle ne l’a pas fait, elle a sans doute ses raisons. Les faits sont prescrits, Polanski n’est donc plus juridiquem­ent condamnabl­e. Paradoxale­ment, il perd les droits dont aurait bénéficié un justiciabl­e et l’accusation devient irréfutabl­e ; en douter est même scandaleux.

Cette faculté d’accuser et de briser un individu sans autre forme de procès est d’une dangerosit­é inouïe, quelque chose de totalement fou. Seule la justice peut condamner.

Que nous dit cette affaire de notre époque?

Elle illustre toutes ses contradict­ions : la libération de la parole des femmes est un grand progrès, avec des effets que l’on peut espérer positifs du mouvement #MeToo ; en même temps, transforme­r les médias en lieux de dénonciati­on est une régression démocratiq­ue, sociale et humaine considérab­le. Le tribunal de l’opinion est le contraire de ce que doit être la justice.

Certaines causes sont tellement légitimes qu’on a envie de dire oui à tout. Prenez les violences faites aux femmes: au nom de ce combat évidemment indispensa­ble, on est prêt à remettre en question le secret médical, ce qui serait une catastroph­e.

Qu’allez-vous faire pour la défense de Roman Polanski?

J’y travaille encore. Vous verrez

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