Au sud, un Islamistan si discret
Selon l’écrivain, le résultat du scrutin présidentiel menace l’Algérie, mais aussi le reste du monde.
L’Algérie a élu un président. Abdelmadjid Tebboune. Pas toute l’Algérie, mais une partie. Pas celle des grandes villes, comme Alger, mais l’Algérie rurale, celle, majoritaire, peu visible sur les scènes des médias ou des narcissismes révolutionnaires, ou dans le catalogue des passions vives, sincères mais parfois sans le discernement politique des grandes villes. L’élu au palais d’Alger est consensuel pour le régime, homme du sérail lui aussi, dont la biographie politique se résume à des postes de ministre pendant des années, à une disgrâce et à un retour en force. Un feuilleton de courtisan. Le nouveau président a aussi été élu par l’abstention, l’incapacité des protestataires à s’organiser, à négocier ou à se faire représenter. Il a donc été élu par défaut.
Le plus inquiétant n’est pas le mandat de Tebboune, c’est celui du numéro deux, Abdelkader Bengrina, 57 ans, bénéficiaire d’un pourcentage encore plus menaçant pour l’avenir. Celui-ci aurait pu faire face au gagnant dans un second tour imaginaire.
Cet homme est un ancien ministre de Bouteflika qui plaça à la tête du Tourisme un islamiste notoire. Bengrina est surtout un membre actif de cette nébuleuse islamiste qui, en retrait de la scène, a profité du soulèvement algérien pour tisser des fidélités provisoirement serviles avec l’armée et des politiques de micro-coups d’Etat pour s’emparer des syndicats et associations du pays, de l’éducation et de la justice, entre autres, pendant que des Algériens se battent, pacifiquement, dans les rues. Ce populiste sans charisme, qui a promis d’accorder des diplômes universitaires, de facto, à toute personne qui peut réciter par coeur le Coran, laisse lire, entre les pourcentages des voix, un possible devenir politique en Algérie. Celui qui, avec l’incapacité des démocrates à s’organiser ou à se remettre en question, va fédérer le populisme islamiste, conservateur, que l’Algérie fabrique avec des programmes télévisés de charlatans, des mosquées à chaque coin de rue et la reconnaissance d’une légitimité et d’une autorité faite aux théologiens, prêcheurs et imams. Un islamiste qui promet le paradis, déteste l’Occident,répètedesmonstruositésthéologiquesmoyenâgeuses et promet un califat à sa manière.
Numéro deux aujourd’hui, il prouve la puissance montante de son électorat, de cette Algérie que les élites urbaines veulent ignorer dans leur mise en scène révolutionnaire sur les places à Alger et le culte du martyr opposant. Abdelkader Bengrina ne sera pas président cette fois, mais il laisse lire l’avenir et la possibilité, un jour très proche, de voir son camp prendre le pouvoir et déclarer le premier territoire libre de cet Islamistan populiste qui se dessine. Un califat possible avec la démographie montante des « croyants », le réservoir politique négligé de la ruralité, qu’on réduit à un arrière-pays par mépris ou par imprudence et qui, avec la misère culturelle, l’enfermement, l’exclusion de la représentation, se fabrique sous les radars de la révolution permanente.
Dans le brouhaha du moment, et habitués à réduire leur analyse à leurs propres espoirs, certains chez nous vont décider du caractère secondaire de cette menace. Ils vont hurler à l’erreur sur la priorité et à la futilité qu’ils décident sur ce qui ne correspond pas au mythe dopant de la lutte contre la dictature. C’est pourtant avec la montée de ce populisme islamiste que s’annoncent un possible avenir au « sud », un problème d’avenir pour l’Europe et le monde dit « arabe », juste à côté. L’iranisation de l’Algérie, une alliance entre une armée puissante et un clergé montant qui peut lui apporter le bras politique qui lui manque, n’est pas à écarter. C’est faire preuve de naïveté et d’insouciance que de croire que la dictature en Algérie est seulement ce qui nous fait face. C’est aussi ce qui nous arrive dans le dos
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C’est faire preuve de naïveté et d’insouciance que de croire que la dictature en Algérie est seulement ce qui nous fait face.