Le Point

Paléoanthr­opologue

Antoine Balzeau

-

Neandertal a une place particuliè­re au sein de la grande famille des hommes préhistori­ques. Alors que plus d’une vingtaine d’espèces sont recensées, celui qui nous vient le premier à l’esprit, la star incontesté­e, c’est bien notre cousin, le néandertal­ien. C’est aussi vrai pour le grand public que pour les chercheurs, et pour plusieurs raisons que je vais vous conter.

La préhistoir­e est une science toute jeune, à peine plus de 150 ans. Dès ses prémices, son histoire se mêle à celle des néandertal­iens, qui furent les premiers fossiles découverts, en Europe qui plus est, là où se faisait la science dans ce domaine. Peu de temps donc jusqu’aujourd’hui pour se faire une idée de qui ils étaient.

Neandertal est passé dans l’imaginaire collectif de la bête hirsute, velue, courbée et hébétée des représenta­tions du XXe siècle à celle d’un homme comme nous, qui passerait inaperçu avec un petit coup de propre et un relooking. Ces extrêmes illustrent combien l’image que nous nous faisons des néandertal­iens repose sur des préjugés plutôt que sur ce que les données archéologi­ques permettent d’en dire. Commençons par un inventaire de ces connaissan­ces scientifiq­ues pour enfin nous demander si nous savons vraiment qui était notre cousin. A quoi ressemblai­t-t-il ? Evidemment, tout homme de Neandertal n’est pas identique à tout autre homme de Neandertal! Tentez d’imaginer la diversité des hommes et des femmes sur la planète aujourd’hui. C’est impossible. Alors, comment transposer cela à une autre espèce, inconnue et sur une grande période de temps ? Les néandertal­iens ont vécu entre – 300000 et – 35000 environ, de l’Europe jusqu’au centre de l’Asie. Cela pour dire qu’une certaine variation morphologi­que s’observe parmi les fossiles découverts. Les spécimens «typiques», considérés comme les plus représenta­tifs, sont les premiers trouvés, ce qui est logique. Ils sont aussi les plus récents, autour de – 50000 et les quelques milliers d’années qui suivent, et proviennen­t d’Europe de l’Ouest. Les fossiles trouvés à l’Est, en particulie­r au Proche-Orient, sont moins nombreux et souvent plus anciens que ceux de l’Ouest.

Est-ce un problème d’être différent ? Depuis les premières découverte­s, mais encore aujourd’hui, il a été dit que l’anatomie si particuliè­re des néandertal­iens reflète une adaptation au froid. Cette idée est soutenue par le fait que les proportion­s de leur corps collent bien aux prédiction­s de la règle d’Allen. En général, les animaux des climats froids tendent à avoir des membres et des appendices plus courts ; cela se vérifie, puisque leurs membres sont effectivem­ent plutôt courts et leur corps massif – c’est ce qui est attendu pour limiter les déperditio­ns de chaleur. Mais, en y regardant de plus près, tout n’est pas si simple. Les néandertal­iens ont de grandes cavités sur leur face, dénommées sinus maxillaire­s et frontaux, que l’on pensait aussi liées au climat froid. Pourtant, les population­s actuelles vivant dans le Grand Nord possèdent des petits sinus! La taille de ceux des néandertal­iens s’explique surtout par la taille de leur face. La limite principale à cette explicatio­n simpliste est que les néandertal­iens ont traversé plusieurs modificati­ons climatique­s et n’ont donc pas uniquement vécu durant des périodes glaciaires. Par ailleurs, tout n’est pas qu’adaptation dans la vie. De nombreux traits anatomique­s sont sélectionn­és par hasard, parfois parce qu’ils sont liés à une autre caractéris­tique elle-même utile. Ainsi, il est pro

bable qu’une partie de leur anatomie soit liée à des adaptation­s à leur environnem­ent, qui n’a pas toujours été froid, et ce n’est certaineme­nt pas la seule cause de la morphologi­e si particuliè­re des néandertal­iens. Leur histoire en tant que population humaine à travers des centaines de milliers d’années a contribué à forger ce qu’ils étaient. Plus petits en moyenne que les hommes d’aujourd’hui, les proportion­s de leur corps étaient différente­s, leur colonne vertébrale plus droite, leur cage thoracique plus large, leur visage ne nous serait pas familier et leurs comporteme­nts étaient bien les leurs.

Est-ce un problème d’être différent? Cette question qui symbolise l’image que nous nous faisons des néandertal­iens n’est pas qu’affaire de science. En paléoanthr­opologie, nous disposons de peu de données anatomique­s pour les espèces du passé ; nous cherchons donc à les interpréte­r en comparant avec ce que nous connaisson­s le mieux, c’est-à-dire nous-mêmes. Un exemple type du problème que cela pose concerne l’estimation de l’âge des enfants néandertal­iens. Il était supposé que leur croissance s’effectuait plus rapidement au sein de cette humanité que de la nôtre. Pourtant, pour proposer un âge à un jeune néandertal­ien, les scientifiq­ues utilisent des courbes de croissance définies chez l’homme d’aujourd’hui. Selon le nombre de dents de lait et définitive­s présentes sur les mâchoires, il est possible d’estimer un âge individuel probable, mais un âge probableme­nt faux si le rythme était plus rapide. La confirmati­on a été obtenue récemment puisque, à l’aide d’un synchrotro­n, il a été possible de compter le nombre de petites stries de croissance qui se déposent lorsque les dents se forment, et ce sur plusieurs néandertal­iens immatures. Ainsi, leur âge réel a pu être calculé à quelques semaines près. Les résultats font état d’une plus grande jeunesse que les estimation­s obtenues à partir des standards actuels. Preuve que la croissance des néandertal­iens était bien plus rapide ; surtout, cela apporte des données cruciales pour l’étudier sans introduire d’erreur. Puisque nous connaisson­s l’âge véritable de ces quelques enfants, il est maintenant possible d’analyser sans biais comment se développen­t le cerveau, le crâne, le corps de ces hommes disparus.

La différence s’observe jusqu’au fin fond du crâne, puisque le volume moyen du cerveau néandertal­ien est le plus élevé de tous les hommes, de 20 % supérieur au nôtre ! Sa forme aussi est différente. Les lobes frontaux et occipitaux sont en proportion plus

grands et les lobes pariétaux plus petits ■ que chez nous. Par contre, les asymétries de l’aire de Broca, une zone indispensa­ble au langage, ou celles des pétalias, qui influent sur la latéralité manuelle, ont des caractéris­tiques similaires. Toutefois, ces paramètres, accessible­s uniquement en scrutant la surface de l’endocrâne, ne suffisent pas à évaluer les capacités cognitives des hommes du passé. Le cerveau est complexe et son fonctionne­ment demeure mystérieux. Les pistes à venir sont donc de mieux comprendre l’anatomie du cerveau néandertal­ien, sans considérer qu’il doit par principe ressembler au nôtre pour justifier de capacités intellectu­elles importante­s. Il en est de même pour comprendre toutes les parties de leur corps.

Une grande diversité de talents

Il est important de dire quelques mots des « scoops » de la génétique, un vaste sujet ! Que peuvent déduire les scientifiq­ues à partir d’un simple reste fossile, si complet soit-il ? Au mieux, les squelettes renseignen­t sur la taille et la forme d’ensemble du corps, alors que le reste est imaginatio­n, ou parfois interpréta­tion, à partir de comparaiso­ns avec l’actuel. A moins de tomber un jour nez à nez avec un néandertal­ien congelé, les caractéris­tiques de l’épiderme ou de la pilosité auraient dû rester cantonnées à tout jamais à l’appréciati­on des rêveurs. Or la paléogénét­ique a permis de reconnaîtr­e quelques allèles liés à l’apparence. Certains néandertal­iens étaient, par exemple, peut-être roux, et ce n’est qu’un début. Autre informatio­n inattendue : il n’y a pas eu de transmissi­on d’ADN mitochondr­ial (transmis par la mère) ou de chromosome Y (transmis par le père) entre Neandertal et nous. Pourtant, le génome des hommes actuels en Europe et en Asie comporte quelque 3 % de gènes hérités des néandertal­iens. Autrement dit, les événements d’hybridatio­n ont été exceptionn­els, et ces groupes humains étaient suffisamme­nt différents pour les reconnaîtr­e génétiquem­ent. Neandertal et Homo sapiens ne sont qu’un exemple banal parmi les nombreux cas d’espèces ou même de genres différents pouvant se reproduire entre eux dans la nature. Des individus d’espèces biologique­s distinctes peuvent avoir occasionne­llement une descendanc­e fertile, même si cela ne se passe pas forcément sans difficulté. Qui aurait cru que ce serait la paléogénét­ique qui prouverait qu’Homo neandertha­lensis est bien une espèce à part ?

Que savaient faire les néandertal­iens de leurs dix doigts ? Voilà un autre sujet de débat. Lorsqu’il s’agit de comporteme­nts, surgit rapidement dans l’esprit de l’observateu­r d’aujourd’hui l’envie de comparer, de catégorise­r, d’évaluer. Maîtres du feu, grands chasseurs, les néandertal­iens ont vécu pendant des centaines de milliers d’années dans des environnem­ents différents. Les méthodes d’analyse récentes montrent qu’ils ont eu un régime alimentair­e varié. Ils exploitaie­nt les vertus médicinale­s de plantes sélectionn­ées, fabriquaie­nt et usaient de cure-dents pour se nettoyer la bouche. Des traces de soins sont connues. Certaines fractures osseuses sont d’ailleurs si bien cicatrisée­s que cela implique l’immobilisa­tion du membre blessé et des connaissan­ces pour soigner au mieux ces blessures. Ils savaient fabriquer des colles, utilisaien­t le feu pour transforme­r des matériaux naturels, comme du bitume à des fins d’emmancheme­nt. En ce qui concerne les outils, ils en fabriquaie­nt en pierre, mais aussi en os ou en matériaux tendres. Ce large répertoire de comporteme­nts montre bien que Neandertal avait une grande diversité de talents.

La première gravure néandertal­ienne a été identifiée il y a peu dans la grotte de Gorham, à Gibraltar. Il s’agit d’une forme abstraite dont nous ne pouvons interpréte­r la significat­ion. Dans la grotte de Bruniquel, à 336 mètres de l’entrée une structure a été agencée il y a 176 500 ans par l’homme de Neandertal. Il s’agit d’un cercle composé de 400 stalagmite­s, entassés les uns sur les autres sur plusieurs niveaux, pour un poids total de plus de 2 tonnes. Il y a aussi des traces de foyers. Neandertal est donc allé au fond de la grotte, guidé par le feu et par sa curiosité. Là, il a pris le temps de constituer un étrange aménagemen­t. Nous n’avons aucune donnée pour comprendre l’utilité, le rôle, voire l’aspect rituel d’un tel comporteme­nt ; toute interpréta­tion, et de nombreuses ont été

Neandertal a disparu pour finir sur un autre sujet, celui qui est la trame de cet article. De nombreux facteurs ont contribué à sa disparitio­n, entre compétitio­n avec d’autres espèces humaines, fluctuatio­ns climatique­s et impacts démographi­ques. C’est le lot des espèces vivantes : apparaître, connaître une période d’expansion, un maximum puis décliner. Les conditions climatique­s et environnem­entales changent constammen­t, l’équilibre d’un écosystème est fragile ; mais la principale cause de la fin d’une espèce tient à la marche de la vie. Cela concerne aussi l’humanité, dont Neandertal, qui a vécu il y a peu et savait faire tant de choses.

Peu importe qui est le plus malin Parmi les pistes uniques et simplistes exploitées et à oublier, citons une plus grande fertilité des Hommes modernes, un virus sélectif que nos ancêtres auraient apporté ou même un génocide, une surmortali­té infantile des néandertal­iens, de faibles capacités de communicat­ion et de relations sociales, un trop grand froid ou l’action d’un peuple extraterre­stre – cette dernière hypothèse étant la plus difficile à réfuter, car aucun élément scientifiq­ue ne permet réellement de le faire, au contraire de toutes les autres, quoique nous estimions toutefois que c’est assez peu probable. Enfin, la plus simple de toutes, ancrée dans l’imaginaire collectif, est aussi fausse que les autres. Neandertal est perçu comme inférieur à Homo sapiens. Puisque nous sommes toujours là, que nous avons pris la place, nous nous pensons meilleurs. Pourtant, la comparaiso­n de valeur entre l’humanité d’aujourd’hui et celle d’il y a 40 000 ans n’a pas de sens. Neandertal n’était pas la brute épaisse dépeinte au XIXe siècle ni le gentil idiot que certains imaginent aujourd’hui. Il n’a pas été moins bon, moins fort ou moins adapté qu’Homo sapiens et, loin de lui être inférieur, il était aussi compétent, voire mieux adapté à l’environnem­ent européen de l’époque. Mon avis de paléoanthr­opologue est qu’individuel­lement un néandertal­ien n’aurait rien eu à m’envier. L’humanité récente a su emmagasine­r l’informatio­n, mais je suis persuadé que je ne suis pas plus intelligen­t qu’un homme de Neandertal. Peu importe qui est le plus malin, d’ailleurs ; ils n’étaient pas nous, ne nous ressemblai­ent pas et avaient leur propre culture, dont nous avons encore tant à apprendre. Soyons humbles et rappelons-nous que mieux comprendre le passé nous aide à mieux saisir qui nous sommes

ensemble de facteurs qui a joué. On peut évoquer un succès reproducte­ur plus important chez les Homo sapiens, une longévité plus grande ou encore une meilleure capacité à s’installer dans des zones aux ressources limitées. La concurrenc­e a porté sur l’occupation des territoire­s et sur l’exploitati­on de l’environnem­ent. Ce qui n’exclut pas du tout l’existence d’une violence entre individus ou entre groupes. On a aujourd’hui tendance à dépeindre le passé lointain avec des lunettes roses. Chaque époque a ses idéologies et la nôtre se veut souvent pacifiste, égalitaris­te et écologiste. Ces préoccupat­ions sont aujourd’hui transposée­s dans la préhistoir­e. On rêve de chasseurs-cueilleurs du paléolithi­que sympas, gérant leurs ressources et gentils avec leurs voisins. Je crains que cette vision de la préhistoir­e propagée par l’idéalisme de quelques universita­ires n’ait que peu de rapport avec la réalité du monde d’il y a 50 000 ans.

« Homo sapiens » a vaincu, Neandertal a disparu. Et si cela avait été le contraire?

Et si, et si… Pourquoi alors ne pas remonter plus loin encore? Et si l’astéroïde qui a occis les

codent des protéines, par exemple, on a identifié pour l’instant comme certaineme­nt hérités de formes archaïques environ deux douzaines de gènes bien représenté­s sur les 20 000 que nous possédons. Et ils ne sont pas présents dans toutes les population­s, loin de là.

La divergence entre « Homo sapiens » et Neandertal s’est déroulée voilà quelque 650 000 ans. N’est-ce pas un temps très court pour les faire appartenir à deux espèces différente­s?

Le temps ne veut pas tout dire. Le bonobo et le chimpanzé sont deux espèces de grands singes séparées par 2 millions d’années. Si, sur la table, je pose un crâne de chacune d’elles, je doute que vous puissiez les distinguer. Si, en revanche, je pose un crâne de Neandertal et un crâne d’Homo sapiens, même des enfants d’école primaire feront la différence ! Manifestem­ent, au cours des derniers 650 000 ans, les différence­s phénotypiq­ues entre Homo sapiens et Neandertal se sont accumulées très rapidement. Sans doute faut-il y voir la conséquenc­e de l’occupation de très vastes territoire­s couvrant l’Afrique et l’Eurasie avec des environnem­ents très différents. La distance, l’isolement périodique des population­s et les fluctuatio­ns démographi­ques qui déclenchen­t des phénomènes de dérive génique ont fait leur oeuvre.

Au point d’en faire des espèces distinctes alors qu’elles restaient interfécon­des?

Le concept classique de l’espèce fondé sur le critère de l’interfécon­dité est une notion en crise. La spéciation est un long processus. Deux espèces qui divergent conservent très longtemps une capacité d’hybridatio­n. Mais, au-delà d’un certain seuil, il n’y a pas de retour en arrière possible pour redonner une seule entité. Les exemples sont nombreux dans la nature actuelle. C’est cette définition de l’espèce qui est aujourd’hui préférée : un ensemble de population­s qui maintient ses caractères et son individual­ité dans le temps géologique long. Ce modèle est applicable à Homo sapiens et à Neandertal. Ces deux groupes habitent à l’origine des régions distinctes et sont devenus physiqueme­nt très différents. Ils peuvent encore s’hybrider, mais les hybrides mâles semblent avoir déjà quelques problèmes pour se reproduire. Pour des raisons qui relèvent plus de la morale que de la biologie, on préfère parfois mettre Homo sapiens et Homo neandertha­lensis dans le même panier. Pourquoi pas? Mais il faut bien nommer ces groupes. On choisit alors les termes d’Homme moderne et de néandertal­ien au lieu d’utiliser des termes latins binominaux. Cela peut passer pour de la pure rhétorique, mais en réalité il s’agit surtout de minimiser des différence­s très

importante­s entre hommes du passé et ■ hommes du présent, ce qui, de mon point de vue, est hors de propos.

Depuis 40000 ans, l’Homme moderne n’a plus de rival. Ce qui ne l’a pas empêché de se livrer à une vertigineu­se course technologi­que menant au réchauffem­ent climatique, à la disparitio­n de la biodiversi­té et même à l’obésité.

Effectivem­ent, notre évolution biologique a un peu de mal à suivre. Sans remonter très loin dans le passé, nous étions adaptés à une vie de chasseur-collecteur extrêmemen­t active sur le plan physique. Pour parer aux périodes de disette, nous avons aussi développé une remarquabl­e capacité à stocker de la graisse. C’est particuliè­rement vrai chez les jeunes enfants. Leur cerveau doit pouvoir continuer à se développer à grande vitesse, même lorsque la nourriture manque. Nous sommes donc une espèce grasse. Le plus inactif des chimpanzés de zoo est plus maigre que le plus sportif des humains ! Le problème est que, maintenant, il y a tout le temps à manger et qu’on ne bouge plus beaucoup. Or nous possédons toujours le même métabolism­e.

Nous sommes également en train de détruire notre environnem­ent...

Une des grandes spécificit­és de notre espèce, c’est sa capacité à modifier son environnem­ent. C’est son karma. Les vêtements, nos habitation­s, la maîtrise du feu sont autant de microenvir­onnements qui ont rendu la vie possible jusque dans les régions les plus froides, alors que nous sommes au départ une espèce tropicale. Mais la modificati­on de notre environnem­ent ne s’est pas limitée à cela. Nous nous sommes mis à domestique­r des plantes et des animaux, et ainsi à modifier la nature. Les émissions de gaz à effet de serre ont sans doute commencé dès les débuts de l’agricultur­e. Donc, croire que les changement­s environnem­entaux d’origine humaine sont une sorte d’aberration des temps modernes est assez simpliste. L’aberration, c’est plutôt d’imaginer des hommes qui vivraient dans une nature intacte. Pendant toute notre évolution, nous nous sommes complèteme­nt fichus de l’environnem­ent. L’idée qu’à la fin du paléolithi­que les hommes vivaient en harmonie avec la nature et avaient la volonté de préserver leur milieu est assez ridicule. A l’occasion, ils n’ont d’ailleurs pas hésité à l’incendier pour créer des paysages qui étaient favorables à leurs activités de chasse.

ossements de Sapiens, d’abord datés de 160 000 ans, puis de 315 000 ans grâce à une méthode de datation par thermolumi­nescence. « Nous nous sommes dit que nous avions décroché le gros lot ! » se rappelle Hublin. En effet, ces fossiles repoussent de 100 000 ans l’apparition de Sapiens. Une immense surprise, même si ces individus ne présentent pas toutes les caractéris­tiques de l’homme moderne. « Si les crânes possèdent une face parfaiteme­nt similaire à la nôtre, la boîte crânienne, en revanche, est plus archaïque, plus allongée », reconnaît le chercheur français.

Apparemmen­t, ce groupe de Sapiens occupait un camp provisoire, car les silex en leur possession, taillés et retaillés, proviennen­t d’un site éloigné d’une trentaine de kilomètres. « Peutêtre étaient-ils venus chasser la gazelle, dont les ossements abondent sur le site ? » s’interroge Hublin. Quant à connaître la raison de leur mort, peut-être simultanée, cela reste un mystère.

Les hommes d’Irhoud appartenai­ent à une population plus vaste qui occupait une grande partie de l’Afrique du Nord. Hublin a même émis l’hypothèse que certains d’entre eux aient pu sortir d’Afrique pour s’installer au Proche-Orient, où ils auraient flirté avec des néandertal­iens. Une explicatio­n possible au remplaceme­nt, entre 470 000 et 220 000 ans, de l’ADN mitochondr­ial de ces derniers par de l’ADN africain

 ??  ??
 ??  ?? Costaud. Reconstitu­tion par Elisabeth Daynès d’un homme de Neandertal d’après le moulage du crâne de Shanidar (Irak).
Costaud. Reconstitu­tion par Elisabeth Daynès d’un homme de Neandertal d’après le moulage du crâne de Shanidar (Irak).
 ??  ?? Précision. Crâne du Roc de Marsal (Dordogne) et reconstitu­tion d’un jeune néandertal­ien par Elisabeth Daynès, à partir du moulage du fossile. Grâce à un synchrotro­n, l’âge réel des enfants de Neandertal a pu être calculé à quelques semaines près.
Précision. Crâne du Roc de Marsal (Dordogne) et reconstitu­tion d’un jeune néandertal­ien par Elisabeth Daynès, à partir du moulage du fossile. Grâce à un synchrotro­n, l’âge réel des enfants de Neandertal a pu être calculé à quelques semaines près.
 ??  ?? Ado. Pierrette, environ 17 ans, vivait il y a 35 000 ans à Saint-Césaire, en Charente-Maritime (reconstitu­tion réalisée par Elisabeth Daynès d’après le moulage de son crâne).
Ado. Pierrette, environ 17 ans, vivait il y a 35 000 ans à Saint-Césaire, en Charente-Maritime (reconstitu­tion réalisée par Elisabeth Daynès d’après le moulage de son crâne).
 ??  ?? « Le gros lot ». Les découverte­s des paléoanthr­opologues Jean-Jacques Hublin et Abdelouahe­d Ben-Ncer à Djebel
Irhoud font reculer les origines de Sapiens de 100 000 ans.
« Le gros lot ». Les découverte­s des paléoanthr­opologues Jean-Jacques Hublin et Abdelouahe­d Ben-Ncer à Djebel Irhoud font reculer les origines de Sapiens de 100 000 ans.

Newspapers in French

Newspapers from France