Paléoanthropologue
Jean-Jacques Hublin
dinosaures à la fin du mésozoïque n’avait pas existé, ne seraient-ils pas devenus plus intelligents? Leurs descendants dans la nature actuelle, ce sont les oiseaux. Or certains d’entre eux, comme les perroquets et les corbeaux, sont des créatures aux comportements très complexes. Mais difficile de rejouer le passé ! Pour en revenir aux Homo sapiens, ceux-ci n’ont pas totalement remplacé les néandertaliens et les dénisoviens. En réalité, ce remplacement a connu des fuites !
Quelles fuites?
Des fragments d’ADN néandertaliens et dénisoviens qui se sont glissés dans nos chromosomes. C’est la grande découverte de la paléogénétique, qui conduit parfois aujourd’hui à surjouer un peu le rôle de cette hybridation entre Homo sapiens et Neandertal, et surtout son caractère romantique. Une fois de plus, cela satisfait un de nos fantasmes modernes d’un métissage généralisé dans le cadre de la mondialisation. En réalité, le legs génétique de Neandertal est très modeste : en Europe, environ 2 % de notre ADN – et 2 % qui, en grande partie, ne codent rien du tout. Pour parler des gènes qui
Aujourd’hui, notre maison brûle, justement, et l’humanité n’a pas l’air de réagir.
Nous parlons là d’une accélération majeure de ces changements dont les hommes ont pris conscience il y a seulement une génération ! Et, déjà, nous sommes en train de discuter des moyens pour l’enrayer. A l’échelle géologique du temps, c’est plutôt rapide. Désormais, ces changements deviennent perceptibles à l’échelle de la vie d’un individu. C’est sans doute ce qui rendra acceptables des mesures dramatiques. Les hommes s’en sortiront, comme ils l’ont toujours fait, grâce à leur ingéniosité et à leur capacité à innover. Et aussi grâce à leur grande capacité de coopération.
Comment s’est développée cette coopération ?
Une des clés du succès de l’espèce humaine est d’être une espèce sociale capable de développer des réseaux d’entraide très efficaces. Cette capacité s’est d’abord développée à une échelle familiale et dans des petits groupes de chasseurs-collecteurs. Plus tard, ces réseaux se sont considérablement étendus, renforcés par l’appartenance à des entités linguistiques, économiques ou encore fondées sur des croyances partagées. Nous n’avons pas de traces de tels réseaux chez Neandertal, ce qui a peut-être contribué à sa perte. Au fil des millénaires, ces réseaux n’ont cessé de se complexifier, avec l’apparition de l’agriculture puis des premières cités-Etats et de systèmes politiques complexes. Et nous en sommes arrivés aujourd’hui à un réseau planétaire qui se concrétise avec Internet. Pour le meilleur et pour le pire, chacun peut aujourd’hui échanger, s’informer et s’exprimer.
Quel avenir attend « Homo sapiens »?
Je suis plutôt optimiste. D’abord, parce qu’il existe chez l’homme un niveau d’altruisme qui surpasse grandement celui des autres espèces. Ensuite, parce que nous sommes des créatures biologiques ne pouvant vivre que dans l’environnement artificiel et social qu’elles ont créé. La culture, c’est la nature de l’homme et une partie de sa biologie. Notre succès adaptatif est fondé depuis très longtemps sur les modifications que nous avons imposées à notre milieu proche. Nous prenons conscience aujourd’hui que ces modifications peuvent aussi nous mettre en danger. Nous préserver, c’est certainement la meilleure des motivations pour mieux gérer notre environnement. Cela peut sembler un peu cynique, mais c’est la nature de l’homme
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Un jour de 1961, un groupe de mineurs du gisement de barytine du massif de Djebel Irhoud, près d’Essaouira, travaillent au creusement d’une nouvelle galerie quand un effondrement se produit. Le remplissage d’une grotte située plus haut dans le massif se vide brutalement, avec tout un assemblage d’os et de silex taillés. Dans le sédiment rougeâtre, un crâne humain est remis au médecin de la mine. Informé de la découverte, Emile Ennouchi, professeur à la faculté de Rabat, vient le recueillir. Après l’avoir attribué à un homme de Neandertal âgé de 40 000 ans, il entame des fouilles qui livrent un second crâne d’adulte et une mandibule. Plus tard, un humérus et un fragment de bassin d’enfant sont découverts sur le site par deux archéologues français, Jacques Tixier et Roger de Bayle des Hermens.
Les deux crânes sont apportés au célèbre paléontologue Camille Arambourg, professeur au Muséum national d’histoire