Le Point

Jean-Paul Demoule Professeur émérite de protohisto­ire européenne à l’université Paris-I

LA NOUVELLE HISTOIRE DE L’HOMME

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Les fossiles d’Erectus les plus anciens ■ du territoire français ont été retrouvés dans la grotte de Caune de l’Arago, près de Tautavel. Les plus récents sont datés de 350000 à 400 000 ans. Ils ressemblai­ent à des Erectus « normaux », en voie de prénéander­talisation.

En effet, au fil des millénaire­s, les groupes d’Homo erectus continuent d’évoluer. Ceux d’Europe et du Proche-Orient débouchent vers – 300 000 ans sur les hommes de Neandertal, ceux d’Asie sur les dénisovien­s, dont certains se sont croisés avec des néandertal­iens ; il se forme aussi des espèces particuliè­res et de petite taille, respective­ment Homo floresiens­is en Indonésie dans l’île de Flores, et Homo luzonensis dans l’île philippine de Luçon.

Sur le territoire français, la présence des néandertal­iens est attestée dans nombre de grottes, dont l’abri du Moustier, en Dordogne, qui a donné son nom à leur civilisati­on, dite moustérien­ne, et qui coïncide aussi avec le paléolithi­que moyen. Ils sont les premiers à enterrer leurs morts (la première tombe fut identifiée en Corrèze en 1908), à porter des parures (dents et griffes perforées), peut-être à peindre sur les parois des grottes, et même à construire d’énigmatiqu­es cercles de stalagmite­s brisées, comme dans la grotte de Bruniquel, dans le Tarn-et-Garonne. Ils ont le même volume cervical que nous et la même aptitude physiologi­que pour le langage articulé. Pendant ce temps, les Erectus restés en Afrique donnaient naissance, à partir de 300 000 ans environ, aux premiers Homo sapiens, « hommes anatomique­ment modernes ». A nouveau, en petits groupes et au fil de dizaines de millénaire­s, certains de ces Homo vont insensible­ment s’éloigner de l’Afrique, les premiers partant d’abord vers l’est, pour atteindre l’Australie et la Nouvelle-Guinée il y a 60 000 ans, d’autres rejoignant l’Europe à partir de – 40 000.

Lointains cousins

On ignore encore si le territoire français a été atteint seulement par l’est, ou si certains ont pu passer par l’étroit détroit de Gibraltar, sachant que beaucoup d’îles sont colonisées de longue date, ce qui suppose une certaine maîtrise de la navigation. Avec Homo sapiens commence en Europe, et donc en France, le paléolithi­que supérieur, dont la première civilisati­on est l’aurignacie­n, qui nous a laissé les somptueuse­s peintures de la grotte Chauvet, en Ardèche. Mais, à leur arrivée, les Sapiens rencontren­t les néandertal­iens, leurs lointains cousins. Depuis 2010, nous savons que nous tous, Européens et Asiatiques, avons un petit pourcentag­e de gènes néandertal­iens. On suppose que ce métissage a eu lieu au Proche-Orient, car c’est là que la coexistenc­e des deux espèces a duré le plus longtemps, au moins 50 000 ans, avec peu de différence­s entre leurs cultures.

Tout le paléolithi­que supérieur se déroule pendant la dernière glaciation, dite de Würm en France, commencée vers – 115 000. Notre territoire se trouve donc dans un environnem­ent périglacia­ire de type steppique, parcouru de rennes, mammouths, chevaux et bisons, et où nomadisent les groupes humains au gré des ressources saisonnièr­es. Se succèdent les civilisati­ons dites du gravettien (qui sculptaien­t des figurines féminines aux formes généreuses et qui ont domestiqué le chien à partir du loup), du solutréen (grotte Cosquer, invention de l’aiguille à chas et du propulseur), et enfin celle de Lascaux et d’Altamira, le magdalénie­n. Les effets combinés de l’endogamie dans une même région, des attirances culturelle­s et de la sélection naturelle font émerger les différents types humains actuels.

Vers – 12 000 se termine peu à peu la dernière glaciation, pour laisser place à l’actuelle période interglaci­aire, au climat et à l’environnem­ent tempérés. Partout en Europe surgit une forêt vierge de chênes, hêtres et tilleuls, où vivent aurochs, sangliers, loups, ours, cerfs et chevreuils. On appelle cette période mésolithiq­ue, où les descendant­s des chasseurs-cueilleurs du paléolithi­que supérieur poursuiven­t sous le couvert forestier leur mode de vie dans un environnem­ent transformé. Ils étaient sans doute quelques dizaines de milliers sur l’ensemble de notre territoire.

s’implantent le long des vallées avec leurs poteries décorées de rubans gravés. Tout en déboisant, ils rencontren­t leurs cousins les chasseurs-cueilleurs mésolithiq­ues. La génétique met en évidence divers métissages entre indigènes et nouveaux arrivants, ces deux patrimoine­s génétiques étant toujours présents parmi une bonne partie des Français actuels.

Avec une population en nombre croissant et qui ne pourra désormais aller plus loin que Christophe Colomb, les tensions augmentent, les inégalités sociales croissent. Les mégalithes, qui sont des tombes de chefs, sont érigés tout le long de l’Atlantique, justement là où on ne peut pas aller plus loin. Ils marquent aussi l’implantati­on d’une communauté dans son territoire, dans la région d’Europe où les tensions territoria­les sont les plus fortes du fait de la barrière de l’océan.

Simultaném­ent, il s’enclenche une course au progrès technique permanent pour nourrir de plus en plus d’humains dans le même espace. Au cours du IIIe millénaire avant notre ère, on observe divers mouvements migratoire­s, dont celui de la céramique cordée, venue de l’est, et celui de la céramique campanifor­me, venu de la péninsule Ibérique. Certains mettent en rapport ces divers mouvements avec la diffusion des langues indoeuropé­ennes en Europe. Ensuite vient l’âge du bronze (de 2 200 à 750 avant notre ère) puis l’âge du fer (de 750 à la conquête romaine).

Nos ancêtres les Gaulois ?

Ce n’est qu’avec les historiens grecs et romains que nous disposons des premiers textes, dans les derniers siècles de l’âge du fer, sur les occupants du territoire français. César mentionne que la Gaule (Gallia, une notion géographiq­ue) se divise en trois parties, habitées par les Aquitains (entre Pyrénées et Garonne), les Gaulois ou Celtes (entre Garonne et Seine) et les Belges (au nord de la Seine), peuples qui « tous diffèrent par leurs langues, leurs institutio­ns et leurs lois ». Ces ensembles regroupent une soixantain­e d’entités étatiques, que les Romains appellent civitates et dont ils garderont les limites, lesquelles se transmettr­ont ensuite dans nos diocèses. La notion d’une Gaule homogène précédant la France est donc un anachronis­me du XIXe siècle, d’autant que la civilisati­on celtique s’étendait alors jusqu’à la Bohême.

Les mêmes textes antiques nous indiquent que les cités grecques, à partir de – 600 environ, installent comptoirs et colonies tout le long du littoral méditerran­éen, ce que confirme l’archéologi­e, comme à Marseille, Arles, Béziers, Nice, Agde, Hyères ou Antibes, influençan­t de plus en plus les modes de vie indigènes.

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Sacré. Les menhirs de Carnac (Morbihan), vieux de 7 000 ans. Les alignement­s de mégalithes ont marqué le début de la sédentarit­é d’Homo sapiens au néolithiqu­e.

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