Site du tassili des Ajjer
Grotte de Lascaux
Il ne fait pas bon vivre dans les cavernes profondes. « Il y fait constamment froid et humide. Et, si l’on y fait du feu, on est vite enfumé », évoque Geneviève Pinçon, directrice du Centre national de préhistoire, à Périgueux. Pour cette scientifique chargée des fouilles du site dit du Roc-aux-Sorciers (Vienne), nos lointains ancêtres devaient avoir une bonne raison de s’installer dans ces lieux peu hospitaliers. Y ont-ils trouvé refuge pour se protéger des attaques d’animaux sauvages ? En ont-ils fait leur abri lors d’épisodes météorologiques rigoureux ? Réservaient-ils ces lieux à des réunions spécifiques ? Ces questions taraudent les paléontologues depuis plus d’un siècle et demi. Si la datation des oeuvres retrouvées dans ces grottes commence à se préciser, une interrogation demeure : pourquoi les hommes et les femmes de la préhistoire ont-ils pris le temps de décorer les parois ?
Certains chercheurs expliquent le spectaculaire essor de la représentation à la fin du pléistocène (environ 40 000 ans avant notre ère) en Europe, en Asie, en Afrique et en Australie par une mutation physiologique : la modification du volume de la boîte crânienne d’Homo sapiens par rapport à Neandertal et le développement de réseaux neurologiques associés. L’art émergeraitaveclanaissanced’hommes et de femmes « anatomiquement modernes ». « En d’autres termes, la représentation et l’expression symbolique seraient apparues, assez soudainement, lorsque les êtres humains auraient acquis des capacités intellectuelles leur permettant d’y accéder », résume l’anthropologue américain Randall White.
D’autres scientifiques ont une explication plus prosaïque. Pour l’archéologue australien Robert Bednarik, la multiplication d’objets historiés ne serait ainsi qu’une illusion tenant au fait que seules nous sont parvenues des oeuvres datant des débuts du paléolithique supérieur, la conservation d’artefacts plus anciens n’ayant pas été assurée.
Quoi qu’il en soit, la raison d’être de ces fresques continue d’intriguer. Les premières interprétations de l’art pariétal, réalisées par Henri Breuil (1877-1961), s’inspirent des observations ethnographiques faites au début du XXe siècle en Afrique et en Australie. Par comparaison avec ce qui a été relevé chez de nombreux peuples de ces deux continents, les représentations préhistoriques se retrouvent qualifiées de « totémiques ». S’impose alors l’idée selon laquelle chaque groupe humain établirait une relation privilégiée avec une espèce animale. En découlera la théorie d’un « art magique » lié à la chasse qui s’imposera, pendant plusieurs décennies, comme l’interprétation dominante. L’abbé Breuil (son statut d’homme d’Eglise n’y est probablement pas
comme pochoir, pouvaient résulter de la consommation de psychotropes. « Il est vrai qu’on raconte que l’oxyde de fer a un effet stupéfiant, mais je ne me risque pas à donner plus de crédit à cette idée, car je considère que les humains de l’époque n’avaient pas forcément à mâcher ces colorants pour les projeter. Ils pouvaient tout simplement utiliser des pailles pour les souffler », nuance Jean Clottes. Qui ajoute qu’il n’est nul besoin de drogue pour parvenir à des effets de transe. La musique suffit. Certaines percussions, notamment.
L’idée selon laquelle ces images peintes renverraient à des croyances magiques ouvre, en tout état de cause, des perspectives vertigineuses entrevues, dès les années 1960, par André Leroi-Gourhan, un autre grand nom de la « préhistoire de l’art ». Ces préoccupations spirituelles ont conduit plusieurs chercheurs à développer une théorie plus audacieuse encore. Tels les travaux de Chantal JèguesWolkiewiez, qui croit voir dans plusieurs oeuvres (notamment de la salle des Taureaux, à Lascaux) une sorte de planétaen
rium préhistorique ! Selon l’ethnoastronome, plusieurs fresques renverraient à ce que nos ancêtres observaient dans le ciel. Elles offriraient, en quelque sorte, un relevé primitif des constellations et une évocation du rythme des saisons. Des connaissances pointues, transmises de génération en génération, qui pourraient se greffer sur un système religieux plus élaboré qu’on ne l’imagine. Ce travail, approfondi outre-Manche par Alistair Coombs, de l’université du Kent, et Martin Sweatman, de l’université d’Edimbourg, suscite l’incrédulité dans la communauté scientifique française.
Cinétique
Depuis dix ans y émerge néanmoins une théorie encore plus audacieuse. Celle du « cinéma préhistorique » ! L’idée, formulée par l’archéologue Marc Azéma, est plus sérieuse qu’il n’y paraît. « Mes travaux se fondent sur l’observation de la représentation du mouvement sur les fresques de Chauvet, notamment », évoque le chercheur, également réalisateur de documentaires. « Il est désormais acquis que les auteurs des peintures pariétales sont parvenus à fixer des scènes dynamiques. Sachant que l’éclairage de l’époque, constitué de torches, était lui-même mobile, on se rend bien compte que le mouvement était omniprésent dans cet art dit préhistorique », poursuit le chercheur, qui s’apprête à publier un nouvel ouvrage sur le sujet. Il y détaillera des découvertes troublantes : des plaquettes d’os gravées qui offrent, sur chacune de leurs faces, des motifs complémentaires. « En Dordogne, à Laugerie-Basse, on a retrouvé un objet mobilier présentant d’un côté la figure d’un chamois debout et, de l’autre, celle d’un chamois couché »,
En quoi la grotte de Blombos est-elle exceptionnelle? Francesco d’Errico :
C’est le seul lieu au monde qui réunisse autant d’éléments de modernité : des outils en os façonnés avec des techniques spécifiquement conçues pour cette matière, des pointes bifaciales en pierre retouchées par pression après chauffage, des objets de parure couverts d’ocre, dont certains probablement chauffés grâce à un procédé particulier permettant d’en changer la couleur, l’utilisation d’ocre pour produire des pigments, des gravures sur ocre et des dessins réalisés avec un crayon d’ocre.
A quand remontent ces outils et parures?
Plusieurs couches ont été identifiées, allant de 70 000 à 110 000 ans. Dans les couches supérieures, les plus récentes, datant de 70 000 à 75 000 ans, on a localisé des restes d’une culture dite Still Bay, qui utilisait des pointes bifaciales
caractéristiques, des objets de parure composés de coquillages marins, des outils en os, de l’ocre rouge et des gravures réalisées sur ces fragments. L’analyse microscopique a permis de comprendre qu’avant de graver ces traits sur les fragments d’ocre les hommes avaient préparé cette matière en l’abrasant pour l’aplatir. On a même pu détecter leur manière de procéder : ils avaient tracé deux séries de traits avant de s’apercevoir, sur la droite, qu’une zone était un peu vide, si bien qu’ils sont revenus en arrière pour la remplir avec deux traits supplémentaires. En dessous, dans des couches datées de 100 000 ans, on a pu extraire un ensemble d’outils pour le traitement et le stockage de pigments. Il s’agit du seul site au monde où l’on a pu retrouver la panoplie entière d’outils – os, galets, ormeaux – servant à la fabrication de l’ocre. Une ocre liquide, comme le prouvent les lignes de dessiccation dans les coquillages. Ils abrasaient l’ocre et parfois ils la taillaient, avant d’écraser les petits éclats et de les ajouter au mélange.
Vous avez identifié en particulier un dessin abstrait tracé sur un fragment de silcrète (un matériau naturel dur) voilà plus de 73 000 ans.
Il s’agit de neuf lignes entrecroisées sur un morceau d’un outil utilisé d’abord comme meule pour broyer l’ocre puis réutilisé afin d’être gravé. Les deux groupes de traits entrecroisés rappellent des dessins gravés sur plusieurs morceaux d’ocre provenant des mêmes couches.
S’agit-il des plus anciens dessins abstraits?
Il semble que l’abstrait se soit développé avant le figuratif, puisqu’à l’heure actuelle les plus anciens dessins figuratifs ont été datés à environ 40 000 ans par un archéologue français, Maxime Aubert. Dans la grotte dite Lubang Jeriji Saleh, sur l’île de Bornéo, ce dernier a découvert des représentations animales attribuées à cette période. Ces représentations sont plus anciennes que celles de la grotte de Chauvet (évaluées à 37 000 ans). Le plus ancien motif abstrait gravé, que nous avons publié il y a quelques années, est le zigzag retrouvé sur une moule d’eau douce, tracé clairement par une pointe, daté à 54 000 ans et provenant de Trinil, à Java.
Quelle signification donner à ces dessins?
Nous l’ignorons. Plusieurs hypothèses sont en concurrence. L’une explique ces dessins par le fait que ses auteurs n’auraient fait que fixer sur
Aflanc de colline, sur un tumulus d’une quinzaine de mètres de hauteur, à 750 mètres d’altitude, se dressent en rond des colonnes où sont sculptés des animaux – ibis, scorpions, chiens, à moins qu’il ne s’agisse de loups… Au centre, sur deux colonnes plus hautes, sont représentés des hommes dont on voit clairement les mains et les pieds. Ces bas-reliefs évoquent un peu les sculptures aztèques du Mexique. Curieux, étant donné que l’on est dans la chaîne montagneuse du Germus, dans le sud-est de l’Anatolie, non loin de la frontière syrienne. Ce n’est pas la seule interrogation à propos de Göbekli Tepe, « le nombril du monde » en turc. Inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité, ce site d’une grande beauté – où les fouilles ont commencé en 1995 – aurait été érigé avant le début du néolithique, entre 9500 et 8000 avant notre ère, environ 5 000 ans avant les alignements de pierres levées de Carnac. Cela fait de lui le plus ancien des lieux de culte « architecturés » connus. De quoi exciter l’imagination de ceux qui rêvent de mettre une date sur l’origine de Dieu. Et si c’était le premier temple voué à une divinité ? Puisque c’est là, au coeur du Croissant fertile, que l’on a inventé l’agriculture, la poterie et l’écriture, pourquoi pas le concept du divin, et ce bien avant que les mythes mésopotamiens n’imaginent le déluge et une nébuleuse de dieux ?
Cela fait des siècles qu’en Occident, du moins, les hommes sont obsédés par la question des origines du monde, du premier homme, de la première femme et, bien sûr, du premier dieu. La découverte avec Darwin du principe de sélection naturelle a rendu cette quête des