Le Point

Macron ou la tragédie d’un Blair sans Thatcher

- Étienne Gernelle

Une fois de plus, Churchill avait tout vu : « Les économies, disait-il, c’est bien, surtout quand vos parents les ont faites pour vous. » Les successeur­s du génial Winston ont illustré cela à merveille. Au crépuscule des années 1970, le Royaume-Uni était exsangue, encalminé dans une économie étatisée, étouffée par des taxes. Bref, un paradis socialiste tel qu’on n’en imagine plus aujourd’hui chez les Anglo-Saxons. À partir de 1979, Margaret Thatcher a taillé dans ce carcan avec le style qu’on lui connaît et qui lui a valu l’image que l’on sait. Il n’empêche, la « Dame de fer » a tenu onze ans au pouvoir, et a tout de même laissé son poste à l’un des siens, John Major. Ensuite est venu Tony Blair, avec son New Labour, social-démocrate bon teint, rallié à l’économie de marché, mais présentant malgré tout le visage avenant de la gauche, fusionnant le tout dans un projet de « mobilité sociale ». Si vous avez le sentiment que l’on parle de Macron en 2017, c’est normal. Mais attention : qu’aurait été Blair sans Thatcher ? Aurait-il pu, le sémillant Tony, arborer le même sourire, plaire à la fois aux foules de Newcastle et aux élites londonienn­es, si l’épouvantai­l Maggie n’avait endossé auparavant le mauvais rôle et mené à bien les réformes impopulair­es ? Pas de « troisième voie » sans passer par la deuxième… La tragédie de Macron est en partie là : il n’a eu personne pour renverser le système avant lui. Il serait évidemment absurde de tout mettre sur le dos de ses prédécesse­urs. François Hollande, par exemple, a mis en place le

CICE, sur lequel Macron s’est appuyé pour baisser des charges.

Et la loi El Khomri a préparé le terrain pour ses ordonnance­s sur le travail. Même raisonneme­nt pour Nicolas Sarkozy, qui a, par exemple, réalisé une réforme des retraites certes insuffisan­te mais sans laquelle la situation serait actuelleme­nt encore plus difficile. On pourrait d’ailleurs aussi dire cela de la réforme Fillon, sous Jacques Chirac, en 2003. Néanmoins, il n’y a pas eu jusqu’à présent, en France, un moment de réformes comparable aux travaux d’Hercule menés par Margaret Thatcher au Royaume-Uni, Göran Persson en Suède, Jean Chrétien au Canada ou Gerhard Schröder en Allemagne. Personne pour prendre sur lui tout l’opprobre. Certes, le rythme s’est nettement accéléré sous Macron, mais l’ampleur de la tâche est forcément plus grande encore avec le temps. Résultat, c’est lui qui passe aujourd’hui pour un émule de Thatcher sans pour autant avoir réellement brusqué le pays, puisque comme le souligne Pierre-Antoine Delhommais (lire p. 28), la dette vient de franchir les 100 % du PIB. Ou comment passer pour un père Fouettard – faute, peut-être, d’une empathie assez apparente –, tout en demandant aux Français des efforts bien inférieurs à ceux fournis par nos voisins ces dernières années. Il faut aussi dire qu’il ne s’est pas trouvé grand-monde, dans la majorité comme dans l’opposition, pour dire les choses aux Français en face. « Il vient quelque chose de déplaisant quand les hommes ont peur de dire la vérité », disait un autre célèbre Premier ministre britanniqu­e, Benjamin Disraeli… ■

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