Le Point

Le double exploit « 1917 »

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Charlot soldat (1918, déjà !), A l’ouest rien de nouveau (1930), Les Croix de bois (1931), Les Sentiers de la gloire (1957),

Un long dimanche de fiançaille­s (2004)... Comme ces glorieux aînés, 1917 nous immerge dans la terreur des tranchées de la Grande Guerre, mais avec un « concept » en bonus : filmer en plan-séquence et presque en temps réel cette mission sauvetage confiée à deux jeunes soldats britanniqu­es, chargés de remettre à un bataillon perdu une lettre dont dépend le sort de ses

1 600 hommes. Deux jeunes visages explosent littéralem­ent à l’écran dans cette odyssée de vie et de mort au suspense haletant : Dean-Charles Chapman et George MacKay. On ira voir – et vivre – 1917 autant pour eux que pour le tour de force technique d’un film qui mobilise toute la puissance du cinéma et de ses artifices au service de son incroyable défi. En salles le 15 janvier.

chargé de guider les survivants de son bataillon ■ sur le chemin du retour, vers leur camp de base.

A peine âgé de 11 ans, Sam Mendes fut profondéme­nt marqué par ces souvenirs de guerre, dévoilés par son grand-père un jour de visite familiale sur l’île caribéenne de la Trinité, où le vieil homme, devenu romancier, s’était retiré. « Ses histoires ne parlaient pas d’héroïsme, mais bien plutôt de chance, de coïncidenc­e, et disaient à quel point la ligne séparant ceux qui survivent de ceux qui meurent était mince », poursuit le réalisateu­r. Ce n’est qu’au terme d’une longue pause après 007 Spectre que Mendes, en partie échaudé par le vote du Brexit, se décide à faire de cette mémoire familiale un film : « La plupart d’entre nous sommes nés en temps de paix, et nous arrivons au pic d’une culture très égoïste. Je crains que les tensions européenne­s qui existaient avant la Grande Guerre ne se reproduise­nt et j’aimerais qu’on se souvienne de cette génération d’hommes poussés au sacrifice ultime pour une Europe libre et unifiée. »

L’inquiétude de Spielberg. La dimension intime de son projet le pousse, pour la première fois de sa carrière, à écrire lui-même le script – mais avec l’aide précieuse de Krysty Wilson-Cairns, scénariste de la série Penny Dreadful, produite par Mendes. Le choix du plan-séquence s’impose à lui en même temps que celui d’une narration en temps réel : « Je voulais faire partager au spectateur cette sensation d’être prisonnier de l’action avec les deux héros [les soldats Blake et Schofield, joués par les inconnus Dean-Charles Chapman et George MacKay, NDLR], qu’il ressente chaque seconde à l’écran. Je ne voyais comme moyen d’y arriver que le plan-séquence », explique Mendes. On peut supposer aussi que l’ego du cinéaste fut titillé par l’envie de marcher sur les traces d’Alejandro Inarritu avec le plan-séquence unique de Birdman, ou de Christophe­r Nolan qui, avec Dunkerque, soumettait son film de guerre à un défi narratif cumulant trois chronologi­es distinctes. Steven Spielberg, dont la société Dreamworks coproduit 1917, se serait inquiété du parti pris d’une seule prise apparente : un choix qui contraint Mendes à filmer ses scènes dans l’ordre chronologi­que et donc, puisque l’action se déroule presque à 100 % en extérieurs, de prier pour que la météo ne varie guère. Avec Roger Deakins, mythique chef opérateur depuis plus de trente ans à Hollywood dont ni les frères Coen ni Denis Villeneuve ne peuvent plus se passer, le réalisateu­r souhaite ne tourner que dans la grisaille. Quand le tournage débute, le 1er avril 2019, dans le sud-ouest de l’Angleterre, un ciel radieux oblige l’équipe à s’en tenir à des répétition­s, en attendant les nuages.

Chaque jour, les comédiens, rodés par quatre mois de préparatio­n et de répétition­s dans un camp militaire, entament à pied un périple à travers des champs boueux, contraints de respecter au centimètre près un itinéraire préalablem­ent établi et calculé par les scénariste­s. Le réalisateu­r leur fait faire parfois jusqu’à 50 prises d’une même séquence et, à chaque “Coupez !”, Chapman et MacKay doivent parcourir plusieurs centaines de mètres pour revenir à leur position initiale et tout recommence­r. Problème : le mouvement permanent de l’unique caméra, qui opère souvent des rotations à 360 degrés autour des acteurs et balaie le paysage alentour, contraint les technicien­s à rester postés loin de l’action et à l’observer sur des moniteurs, depuis un van. « Quand je criais “Coupez !”, il me fallait parfois marcher près de 1 kilomètre pour rejoindre les acteurs. En même temps, ils étaient vraiment largués en pleine nature et vivaient la situation autant qu’ils la jouaient », explique Mendes. Pour pallier l’instabilit­é du sol due à la boue et pouvoir suivre en plan-séquence les comédiens, la caméra passera par tous les états: « Elle pouvait être montée sur un Steadycam, ou sur une grue, fixée sur une jeep, une moto ou même téléguidée : notre but était de donner l’impression au spectateur que la caméra pouvait tout faire. »

Terminé à peine six jours avant sa première projection publique, le 23 novembre, à New York, 1917

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