La chronique de Patrick Besson
Noël a vidé les larges trottoirs d’Unter den Linden. Les tilleuls illuminés de l’avenue brillent, solitaires, dans la nuit froide et mouillée de décembre. Chaque famille berlinoise est restée chez elle pour réveillonner. Nous sautons dans le bus 100, dont nous serons les seuls passagers jusqu’à l’Alexanderplatz, le terminus de la ligne. La place devenue un titre de roman (Berlin Alexanderplatz, d’Alfred Döblin, 1929), comme celle de l’Étoile (de Patrick Modiano,1968). Le marché de Noël est fermé, le Nordsee, sur la rue KarlLiebknecht, aussi. Les burgers au hareng Bismarck du Nordsee de Heidelberg en hiver 1981, avalés debout dans la rue piétonne. À l’époque, il n’y en avait qu’une. Il doit y en avoir plusieurs aujourd’hui, les piétons ayant la cote car ils ne produisent pas de dioxyde de carbone.
Le lendemain, visite du zoo. Yannis (6 ans le 24 décembre dernier) entame une relation passionnée avec une otarie charmeuse. Le panda, en pleine dépression, se cache des visiteurs qui se replient, pour le selfie, sur sa statue. Marché de Noël derrière l’église du Souvenir. Les Berlinois sont désagréables dès que je m’adresse à eux dans mon mauvais allemand. Ils me prennent peut-être pour un Russe, dont le peuple les a fait beaucoup souffrir au XXe siècle. Quand je m’exprime en anglais, sourires. Je n’ai pas essayé le français. Mais il y a un Serbe qui travaille pour Stern und Kreisschiffahrt, la compagnie des minicroisières sur la
Spree : quand j’ai quitté l’embarcation, il m’a dit : « Dovidenja .» En serbe : « Au revoir. »
Dîner au Lutter und Wegner, sur recommandation du Cartoville Berlin. S’y restaurent les parents des jeunes qu’on a croisés au marché de Noël du Gendarmenplatz. C’est la brasserie historique de Mitte. Après le risotto aux champignons d’Anne-Sophie, les fettucine de Yannis et mon tartare de harengs (je suis devenu très hareng depuis notre arrivée dans la capitale allemande, j’en prends même lors de nos petits déjeuners à l’hôtel Adlon), le serveur, avec la grâce fatiguée et un peu méprisante des employés des grandes maisons, nous demande si nous voulons ajouter un pourboire à la note. Je fais non de la tête et laisserai en liquide 10 % du montant de l’addition. Moins qu’un Américain avare, mais plus qu’un Parisien généreux.
Le temps de la colère anticommuniste est passé, place à la nostalgie du plein-emploi. À la sortie de l’île aux Musées, le musée de la RDA ne désemplit pas. C’est le contraire du musée du Mur de Checkpoint Charlie. Objets, photos et films de l’époque socialiste. On a même reconstitué un appartement de Berlin-Est avec son ameublement qui ne ressemblait pas à grand-chose. La Trabant est la vedette de l’établissement : tous les enfants veulent la conduire. Elle est à leur taille. À croire que tous les Est-Allemands étaient menus. Depuis, ils ont grossi et ont été obligés d’acheter des Mercedes-Benz pour pouvoir s’asseoir au volant
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