Réformes : s’est-il dégonflé ?
Trop occupés à acheter du foie gras et du saumon fumé, à réserver un BlaBlaCar pour tenter de rejoindre la famille et les amis, les Français n’ont guère eu le temps de prêter attention à cette statistique publiée le 20 décembre par l’Insee. La dette publique s’élevait fin septembre 2019 à 2 415,1 milliards d’euros, soit 100,4 % du PIB. La France a ainsi fait son entrée officielle dans le club très fermé et plutôt mal fréquenté des pays dont l’endettement dépasse la barre des 100% et qui compte en Europe, parmi ses membres, la Grèce, l’Italie, Chypre ou encore le Portugal. De façon peut-être plus parlante, la dette publique française, sous l’effet notamment des mesures de soutien au pouvoir d’achat prises pour répondre à la colère des gilets jaunes, a augmenté de 100 milliards d’euros tout rond au cours des neuf premiers mois de 2019. Soit, rapportée à chaque Français et sans que ceux-ci s’en rendent compte, une hausse de 1 492 euros, faisant passer le montant de cette dette « citoyenne » de 34 552 à 36 044 euros.
Dans ses voeux à la nation, Emmanuel Macron n’a bien sûr pas manqué d’évoquer les « bons chiffres » de l’économie française, en particulier les 500 000 emplois créés depuis le début de son mandat. Lui qui se dit très attaché à tenir un discours de vérité économique aux Français, il a en revanche curieusement oublié de mentionner cette augmentation de notre endettement qui contraste par exemple avec la baisse observée dans tout le reste de la zone euro,
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notamment en Allemagne, où le ratio dette/ ■
PIB a diminué de six points en deux ans et demi pour tomber à 61 %.
Le chef de l’État n’a même pas jugé utile de prononcer une seule fois le mot « dette », alors qu’il soulignait par ailleurs avec émotion le besoin de «solidarité entre les générations» et sa volonté de ne « pas trahir nos enfants, leurs enfants après eux, qui auraient à payer le prix de nos renoncements ». Lesquels enfants et petits-enfants vont pourtant hériter de ce fardeau financier d’intérêts à payer et de nos emprunts à rembourser, ce qui pénalisera durement et durablement leur niveau de vie. Le plus inquiétant est toutefois que l’omission d’Emmanuel Macron au sujet de l’état de nos comptes publics n’ait ému personne. Preuve que le pays tout entier s’accommode très bien de sa situation de surendettement et qu’il a collectivement renoncé à ce que l’État dépense moins. Suivant il est vrai en cela la voie tracée par le président lui-même, qui avait officiellement renoncé, fin 2018, à sa promesse de campagne de réduire de 120 000 le nombre de fonctionnaires durant son quinquennat.
Régimes spécifiques. Dans son allocution télévisée, Macron a utilisé à pas moins de quatre reprises les termes « renoncer » et « renoncement » pour expliquer, que contrairement à ses prédécesseurs, l’approche des échéances électorales ne l’empêcherait nullement d’« agir avec vigueur ». Mais cette insistance verbale a toutes les allures d’une figure de style laissant présager exactement le contraire. De fait, la réforme des retraites semble au fil des jours et d’après ce que l’on sait des négociations en coulisse se vider peu à peu de son contenu (lire p. 34) et s’éloigner de son double objectif initial : la création d’un régime universel et le retour à l’équilibre des comptes. Des régimes spécifiques vont remplacer les régimes spéciaux, et l’âge pivot est amené à connaître tant de dérogations qu’il ne devrait garder au final qu’un aspect purement symbolique permettant au gouvernement de sauver la face.
Tout le monde a bien compris aussi qu’en demandant
à Édouard Philippe de trouver « un compromis rapide » Macron a exigé de lui qu’il fasse le plus vite possible suffisamment de concessions à la CFDT pour que celle-ci se démarque de la CGT et appelle à cesser la grève. Quoi qu’il advienne, cette réforme n’aura rien d’une grande révolution : celle-ci aurait consisté d’une part à rompre une bonne fois pour toutes avec la logique malthusienne, en allongeant tout simplement jusqu’à 65 ans l’âge légal de départ à la retraite, comme l’ont décidé tous les autres pays européens ; d’autre part à introduire une dose de capitalisation au côté du régime de répartition, comme cela a été par exemple fait en Allemagne. Mais, sous prétexte de défendre l’exception du vieux modèle social français hérité du Conseil national de la Résistance, cette option a été écartée, et la capitalisation restera réservée, ce qui est tout de même un comble, aux fonctionnaires, avec la Préfon gérée par des dirigeants de FO et de la CFDT, et sera imposée aux hauts revenus supérieurs à 10 000 euros par mois. La solidarité et l’universalité ont vite trouvé leurs limites. Bref, le nouveau monde des retraites promis par le président risque fort de ressembler beaucoup à l’ancien : inéquitable, structurellement déficitaire et financé à crédit.
Il en va malheureusement un peu de même du paysage économique français pris dans son ensemble. Deux ans et demi après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les 35 heures sont toujours en place, la France reste la championne du monde de la pression fiscale et des dépenses publiques, le taux de chômage (8,5 %) y demeure deux fois et demi plus haut qu’en Allemagne (3,1 %), la balance commerciale continue de pencher dangereusement du mauvais côté (60 milliards d’euros de trou prévu en 2019), le déficit public de la France sera cette année le plus élevé de toute la zone euro, sans oublier, éléments du folklore national, un régime des intermittents du spectacle plombant de 1 milliard d’euros par an le budget de l’Unédic et une Cour des comptes décrivant régulièrement des exemples croustillants de gabegie d’argent public.
Il paraît hautement improbable que des réformes d’envergure de nature à bouleverser ce
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Le nouveau monde des retraites promis par le président risque fort de ressembler beaucoup à l’ancien : inéquitable, structurellement déficitaire et financé à crédit.