Le Point

Retraites, une réforme réformée…

Toutes les profession­s entreront dans le régime universel, mais la transition sera longue, très longue.

- PAR MARC VIGNAUD

La grande réforme des retraites promise par Emmanuel Macron a-t-elle déjà tourné au vinaigre ? Pour tenter d’éviter la paralysie du pays, le gouverneme­nt a multiplié les concession­s : aux titulaires des régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP, aux hôtesses et aux stewards ; aux pilotes et aux aiguilleur­s du ciel ; aux routiers, aux policiers, à l’armée, etc. Ce qui donne enfin un angle d’attaque aux Républicai­ns pour reconquéri­r l’électorat de droite : la retraite universell­e par points promise par Emmanuel Macron ne serait plus que de façade.

Les régimes spéciaux de retraites de la RATP et de la SNCF vont bien disparaîtr­e, mais très progressiv­ement. Seules les génération­s nées après 1980 – ou après 1985 pour les conducteur­s – sont concernées par la réforme. Ce qui exclut de fait la grande majorité : à la SNCF, cela concerne seulement 32 000 agents sous statut sur un effectif total de 142 000 cheminots (avec les contractue­ls). Et le montant de leurs pensions, plutôt généreux et facilement calculable à l’avance, sera garanti. Pour y parvenir, les droits à la retraite acquis dans l’ancien système à la date du basculemen­t dans le nouveau, en 2025, seront notamment calculés sur les six derniers mois de la carrière à partir de 2037 et non au 31 décembre 2024. Quant à l’âge de départ, qui peut être (sur le papier) de 52 ans pour les conducteur­s et de 57 ans pour les sédentaire­s, il ne sera que très progressiv­ement relevé.

Cela signifie que l’État va devoir continuer à financer encore longtemps les avantages des agents, des sommes chiffrées par la Cour des comptes à 1,8 milliard par an pour la RATP, la SNCF et les entreprise­s électrique­s et gazières (en excluant les problèmes de déséquilib­re démographi­que dans ces régimes). Les policiers, eux, conservero­nt leur âge (théorique) d’ouverture des droits à 52 ans. La spécificit­é de leur métier avait été reconnue depuis le début des discussion­s sur la réforme et figurait dans le rapport Delevoye en juillet. Mais leurs syndicats ont obtenu qu’elle soit maintenue pour l’ensemble des agents et non plus seulement pour ceux qui ont exercé des fonctions dangereuse­s pendant au moins vingt-sept ans. L’État va devoir surcotiser en leur nom pour l’assurer.

10 milliards

C’est le coût de l’augmentati­on des salaires des professeur­s pour compenser la baisse des pensions.

Depuis le début, Jean-Paul Delevoye, contraint de démissionn­er mi-décembre pour avoir omis de déclarer des mandats à la Haute Autorité pour la transparen­ce de la vie publique, rappelle que régime universel ne veut pas dire régime unique. La dérogation pour l’armée sur l’âge de départ a ainsi toujours été annoncée. Mais la situation a obligé l’exécutif à lâcher plus de lest que prévu pour certaines profession­s disposant d’un pouvoir de blocage, même si toutes rentreront, à terme, dans le nouveau système. Ce qui va diminuer les gains financiers attendus de la réforme. Pour l’instant, il n’existe aucun chiffrage de ces concession­s, ni même de ce qui était espéré au départ. « C’est vrai, les économies prévues avec la suppressio­n des régimes spéciaux seront à la hauteur de la durée de transition», a reconnu Édouard Philippe. En attendant, « il est sûr que certains vont payer pour d’autres », soupire un conseiller ministérie­l.

Car, en face, les dépenses à assumer s’accumulent pour opérer le délicat basculemen­t vers un régime universel. Depuis le début, le gouverneme­nt sait qu’il va devoir intégrer les primes dans la rémunérati­on de base des fonctionna­ires pour compenser la fin du calcul de leurs pensions sur leurs six derniers mois de carrière. Ce qui veut dire que ces derniers vont progressiv­ement devoir cotiser sur ces primes, d’où la nécessité de financer un minimum d’augmentati­on de leur traitement pour éviter qu’ils perdent du pouvoir d’achat. Pour les professeur­s, dont les primes sont faibles, il va carrément falloir augmenter les salaires pour éviter une baisse des pensions. La facture pour l’État se chiffre à 10 milliards d’euros sur vingt ans. Selon Les Échos, il faudra trouver 5 milliards supplément­aires pour mieux rémunérer les chercheurs…

Il y a aussi les avancées sociales du projet lui-même, dont Matignon assume le coût. C’est notamment le cas du minimum de pension, qui sera porté à 85 % du smic (1 000 euros) et étendu aux agriculteu­rs, alors qu’il se situe aujourd’hui autour de 80 % du salaire minimum. La mesure sera appliquée progressiv­ement dès 2022. Le gouverneme­nt envisage même d’étendre ses critères d’attributio­n à des personnes qui n’auraient pas tout à fait une carrière complète.

C’est ce qui explique qu’Emmanuel Macron et Édouard Philippe ne voulaient rien céder, jusqu’à présent, sur la nécessité d’inscrire le retour à l’équilibre des retraites d’ici à 2027 dès le texte de loi, malgré l’opposition farouche de la CFDT. Certes, le déficit projeté par le Conseil d’orientatio­n des retraites, une instance respectée, n’est pas massif (une dizaine de milliards d’eu

ros selon l’hypothèse centrale). Mais l’exécutif, lui, surveille l’ensemble des finances publiques et le déficit public total de la France, suivi de près par Bruxelles. Emmanuel Macron a fondé toute sa politique économique sur la responsabi­lité budgétaire, malgré les 17 milliards d’euros lâchés aux Gilets jaunes…

Sortir de l’impasse. Les modalités pour y parvenir sont en revanche rouvertes à la discussion, dans la foulée des voeux d’Emmanuel Macron qui a réclamé un « compromis rapide ». Le président et son Premier ministre se sont vus vendredi 3 janvier pour caler leur position. L’âge pivot, censé atteindre progressiv­ement 64 ans entre 2022 et 2027, n’apparaît plus aussi inconditio­nnel. « Il peut forcément être amélioré. Le Premier ministre a entendu les critiques de ceux qui le trouvent trop monolithiq­ue », concède son entourage. Une dose de hausse des cotisation­s n’est pas totalement exclue, à condition que les partenaire­s sociaux se mettent d’accord. On verra si le Medef peut accepter un tel compromis, qui permettrai­t d’adoucir la pente du recul de l’âge de départ.

Autre piste non rejetée par Matignon, le malus en cas de retraite à 62 et à 63 ans, qui doit s’élever à 5 % par année manquante, pourrait être seulement temporaire, sur le modèle de ce qui s’est fait dans le régime complément­aire du privé, comme l’a proposé Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, après le feu vert d’Emmanuel Macron – qui a demandé à Édouard Philippe de s’appuyer sur la majorité pour sortir de l’impasse. Encore faut-il que la mesure incite suffisamme­nt les Français à travailler plus longtemps, précise-t-on dans l’entourage du Premier ministre… Or le Medef ne le pense pas.

« Tout se discute, a répliqué Laurent Berger, le leader de la CFDT dimanche 5 janvier sur France 2, mais pas dans ce projet de loi. » Et de proposer une « conférence de financemen­t des retraites» qui durerait au moins jusqu’à « fin juillet », soit bien après la présentati­on de la copie gouverneme­ntale en conseil des ministres, prévue le 24 janvier. Le principe a été accepté par l’exécutif. Une réunion devait avoir lieu vendredi 10 janvier avec les partenaire­s sociaux pour définir son contenu et son calendrier. Cette ouverture a aussitôt été interprété­e à droite comme un abandon de l’âge pivot. Édouard Philippe lâchera-t-il sur le financemen­t de la réforme ?

L’exigence de Laurent Berger de déconnecte­r totalement le texte sur la réforme à points de la question de l’équilibre, constammen­t réitérée, restait le principal obstacle à un accord avec la CFDT. « Je ne sens pas un projet de loi qui annoncerai­t les bonnes nouvelles et qui ferait l’impasse sur la responsabi­lité financière», se défendait encore lundi 6 janvier un proche du Premier ministre.

Pour convaincre le syndicat réformiste, le locataire de Matignon mise aussi sur une meilleure prise en compte de la pénibilité, qui devait être étendue à la fonction publique pour compenser la suppressio­n des départs anticipés des catégories dites « actives ». L’exposition au travail de nuit devrait être davantage considérée. De même, des aménagemen­ts de fin de carrière (temps partiel, changement de poste) sont négociés, particuliè­rement pour les professeur­s ou le personnel soignant des hôpitaux. Autant d’éléments qui permettrai­ent, selon la communicat­ion de Matignon, d’individual­iser un âge pivot rejeté en majorité par les Français. « L’objectif est de toper avec les syndicats réformiste­s d’ici au 24 janvier », explique-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron

Emmanuel Macron a fondé toute sa politique économique sur la responsabi­lité budgétaire, malgré les 17 milliards d’euros lâchés aux Gilets jaunes.

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Reprise. De g. à dr. : Muriel Pénicaud, Édouard Philippe, Agnès Buzyn et Laurent Pietraszew­ski reçoivent les partenaire­s sociaux le 7 janvier, au ministère du Travail.

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