Ces « crapules » qui veulent la peau d’Édouard Philippe
« Bololo ». La gestion des négociations par le Premier ministre agace les macronistes de gauche.
«Laurent Berger m’a écrit pour me dire que notre tribune contre l’âge pivot était très bien ! » Jean-François Cesarini, député de La République en marche, plastronne. Et si l’aile gauche de la majorité, dont il est le leader, avait les clés du fameux « compromis » ? Fort de ses nombreux échanges avec le leader de la CFDT, l’élu en est convaincu, même si lui et ses camarades du « collectif social-démocrate », parfois à la limite de la fronde, sont loin d’être majoritaires. La joyeuse bande, souvent mise au ban tant elle agace les Marcheurs, s’est fendue de deux tribunes en une semaine dans la presse pour appeler à l’abandon de l’âge d’équilibre. Mardi matin, en réunion de groupe, leur chef de file, Gilles Le Gendre, a prévenu : « Les initiatives prises lors du collectif sont inopportunes (…). Il nous faut un minimum de capital éthique commun. » Ces néofrondeurs ont été rejoints par la présidente de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, Barbara Pompili, le candidat aux élections municipales à Montpellier Patrick Vignal et le dissident parisien Cédric Villani, pour ne citer qu’eux. S’il est toujours difficile d’établir où se situe la position médiane dans ce groupe pléthorique et morcelé, de plus en plus de voix se font entendre pour s’opposer à ce point de la réforme tant défendu par Édouard Philippe et, dernièrement, par le nouveau Monsieur Retraites du gouvernement, Laurent Pietraszewski. « Je sens une évolution chez les députés de la majorité, confirme la députée des Hauts-de-Seine Laurianne Rossi, l’un des trois questeurs de l’Assemblée. Nous sommes de plus en plus nombreux à faire entendre nos désaccords, à dire que les questions d’équilibre financier ne doivent pas dévoyer cette réforme. »
C’est durant les fêtes de fin d’année que les parlementaires LREM ont pris connaissance des fameuses « spécificités » accordées à plusieurs corporations (chauffeurs routiers, aiguilleurs du ciel, danseurs de l’Opéra et hôtesses de l’air). Un inventaire à la Prévert qu’ils n’ont guère digéré. Certains députés ont interrompu leurs congés de fin d’année pour interpeller directement Matignon et espérer limiter la casse, chaque concession étant vécue comme une entorse à la promesse originelle. Car, peut-être plus encore que l’âge pivot, objet de crispations intenses mais temporaires sur lequel un consensus sera sans doute dégagé, c’est le dévoiement de la dimension universelle de la réforme qui inquiète dans les rangs
des Marcheurs. C’est pour elle qu’ils avaient signé! Pour elle qu’ils acceptent « de batailler et de s’en prendre plein la figure par la CGT », souffle un parlementaire. «Ce que je vois sur le terrain, c’est que les Français ne comprennent pas bien le contenu de cette réforme, alors cessons de créer encore davantage de confusion », réagit Laurianne Rossi. L’un de ses collègues, pas franchement à l’extrême gauche du groupe, abonde : « Si on lâche la dimension universelle, si on va vers plus d’individualisation, j’aurai l’impression de m’être fait berner depuis le début. » Une remise à plat totale, voilà la première des ambitions du candidat Macron derrière lequel ils s’étaient engagés. « Les crapules ! peste un ministre de premier plan contre ces parlementaires à la mémoire courte. C’est d’une mauvaise foi sans nom. Nous avons toujours dit, dans tous les éléments de langage, qu’universalité ne signifiait pas uniformité. »
Des réserves sur le message et, au-delà, des colères contre son principal émetteur, logé à Matignon. Alors, comme bien souvent dans cette majorité de Marcheurs, Édouard Philippe apparaît comme le fusible idéal. «Une facilité intellectuelle, une déloyauté», rétorque un conseiller ministériel agacé par les saillies publiques de « ces petits groupes » de parlementaires qu’on juge « minoritaires » au sommet du gouvernement. Pourtant, à en croire ces derniers, le Premier ministre n’est plus tout à fait en odeur de sainteté sur les bancs de l’Assemblée, sur lesquels flottent désormais un parfum de dégagisme. Une frange des parlementaires LREM, un peu plus large à mesure que ces pénibles mois défilent, émet des réserves décomplexées à propos du Premier ministre. «Il y a les pseudo-courageux qui signent des tribunes, mais, ce qui inquiète Matignon, ce sont tous ces députés anonymes et suiveurs, explique un membre du gouvernement. Ils ont pris des baffes avec les Gilets jaunes, ils ont trinqué à coups de menaces de mort et de permanences saccagées. » Et de constater : « Ils n’iront pas au charbon pour Édouard Philippe et son âge pivot, ils ne veulent plus. » Bien sûr, à la gauche de la gauche de la troupe, « ça fait très longtemps qu’on a des problèmes avec ce garçon », admet sans détour Jean-François Cesarini, pour qui le chef de la majorité se déporte de la ligne présidentielle affirmée lors des voeux du 31 décembre et devra donc « en tirer toutes les conséquences ». Il n’y a rien d’étonnant, non plus, à entendre plusieurs cadres du parti présidentiel – Marcheurs de la première heure venus du PS, revendiquant fièrement de porter au plus profond de leur chair l’ADN du mouvement – réitérer leur méfiance vis-à-vis de ces pièces rapportées de la Rue de Vaugirard. Mais on serait presque surpris de la radicalité avec laquelle certains cadres du groupe plaident pour une éviction dans les plus brefs délais, les mains jointes, regard tourné vers l’Élysée.
Devant un macroniste qui a passé des heures sur les plateaux à défendre la réforme, on ose : « Philippe, remercié à l’issue du vote de la réforme des retraites, vous y croyez vraiment ? » Et lui, sans sourciller : « Plus que ça, je l’espère. On est nombreux dans ce cas. Je pense que le Château lui laisse carte blanche jusqu’à ce que le texte arrive à l’Assemblée… et ce sera peut-être son dernier texte. » Un cadre du groupe LREM – convaincu que Matignon est à l’origine de l’affaire Delevoye – fulmine : « On a le sentiment que Philippe essaie de torpiller le quinquennat. Depuis le printemps dernier, avec lui, on va de difficulté en difficulté. Il a fait son temps. Comptez sur nous pour ne pas le protéger en janvier. »
Une fois présenté en conseil des ministres le 24 janvier, le texte de loi sera présenté à l’Assemblée pour un examen accéléré. Plusieurs députés l’affirment : s’ils luttent en amont, par voie de presse et en rencontrant de manière informelle les responsables syndicaux, c’est qu’ils savent que la bataille des amendements sera âpre. « Alors qu’on est de plus en plus aguerris à l’écriture d’amendements, ceux-ci sont de plus en plus rejetés par l’article 40, lié aux dépenses supplémentaires, ou pour cavalier législatif. C’est le début de la censure », glisse un cadre du groupe. Pour autant, un député bien informé ajoute que « certains conseillers élyséens et de Matignon se sont activés auprès de collègues pour leur dire de ne pas s’abstenir, de peur d’être trop courts pour accrocher une majorité ». Si les défections lors des votes ont en effet tendance à s’amplifier au fil des mois, s’opposer à la mère des batailles du mandat, donc à la sacro-sainte parole présidentielle, sera le Rubicon que peu auront l’audace de franchir. Un risque que des Marcheurs de la première heure ont rapidement fait remonter au chef de l’État, qui réunira les parlementaires de la majorité avant la fin janvier. « Attention, prévient l’un des grognards de l’Assemblée. Si c’est pour avoir une minute de câlinothérapie et une heure de leçon pour nous dire qu’on restera inflexibles, non merci ! »
« Les questions d’équilibre financier ne doivent pas dévoyer cette réforme. » Laurianne Rossi, députée