Le Point

Téhéran, et non Trump, a causé l’escalade

En Europe, un réflexe antiaméric­ain incite trop souvent à voir le régime iranien comme une victime.

- PAR LUC DE BAROCHEZ

Donald Trump a-t-il pris le risque de déclencher la troisième guerre mondiale en faisant assassiner le plus éminent des généraux iraniens ? L’idée circule, elle est pourtant erronée. L’escalade en cours a été provoquée par l’Iran, et non par les ÉtatsUnis, et les risques qu’elle mène à une conflagrat­ion généralisé­e sont minimes.

Depuis le tir de drone qui a tué Soleimani le 3 janvier sur l’aéroport de Bagdad, en Irak, les tensions entre les États-Unis et l’Iran – qui n’ont jamais cessé depuis la révolution islamique de 1979 à Téhéran et la prise en otage de 52 Américains pendant quatre cent quarante-quatre jours – ont atteint leur point d’incandesce­nce. Soleimani était l’architecte de l’expansionn­isme à bas coût mené depuis 2003 par la République islamique. Cette politique qui a conduit Téhéran à sacrifier le bien-être de sa population au profit de l’activisme à l’extérieur est contestée par la rue iranienne. On l’a vu lors des manifestat­ions de novembre, férocement réprimées par le régime.

En Europe, surtout dans les rangs de la gauche, un réflexe antiaméric­ain et anti-impérialis­te conduit souvent à se solidarise­r au Moyen-Orient avec ceux (Palestinie­ns, chiites, Iraniens…) qui sont perçus comme les victimes des États-Unis et de leurs principaux alliés régionaux, Israël et l’Arabie saoudite. Ce réflexe a poussé la gauche européenne à ignorer largement les horreurs de la guerre syrienne ces dernières années. Il a incité des commentate­urs à voir dans l’assassinat de Soleimani une faute de la part de Donald Trump, qui aurait ainsi, d’une part, pris le risque d’un conflit de grande ampleur et, d’autre part, éliminé un chef militaire qui était un rempart contre Daech.

Cette vision épouse l’idéologie du régime iranien qui se présente depuis sa fondation, en 1979, comme le défenseur des « opprimés » contre les « oppresseur­s » que sont les États-Unis et leurs relais locaux, au premier chef Israël. Elle est cependant fausse, à double titre. La guerre n’a pas été lancée par Trump mais par le président syrien Bachar el-Assad, il y a huit ans, contre son propre peuple, qui a eu le tort de vouloir secouer le joug tyrannique qui lui est imposé. Soleimani a aidé en Syrie à organiser l’un des pires massacres de l’Histoire. Loin d’être une action efficace contre l’État islamique, sa politique a au contraire renforcé les rangs de l’organisati­on terroriste en poussant dans ses bras des pans entiers de la population sunnite à partir de 2012.

Depuis sa fondation, la République islamique a toujours été un régime violent. Cette dernière décennie, Soleimani a contribué à transforme­r cette violence en un instrument de conquête impériale, en s’appuyant sur les forces chiites ou assimilées dans les pays voisins pour étendre l’influence de Téhéran en Irak, en Afghanista­n, au Yémen, au Liban et en Syrie. C’est cet expansionn­isme qui a poussé les États-Unis à se retirer en 2018 de l’accord sur le nucléaire iranien signé trois ans plus tôt. Depuis lors, l’Iran a pris la responsabi­lité de l’escalade. Il s’est engagé dans ce qu’il appelle une politique de « résistance maximale » contre la « pression maximale » que Donald Trump prétend exercer, par le biais de sanctions économique­s et diplomatiq­ues, pour contraindr­e Téhéran à renoncer à son programme nucléaire.

Ligne rouge. Ces derniers mois, l’Iran a ainsi abattu un drone américain, arraisonné des navires commerciau­x dans le Golfe puis bombardé des infrastruc­tures pétrolière­s saoudienne­s sans que les États-Unis réagissent significat­ivement. Interpréta­nt à tort l’inaction américaine comme une volonté d’isolationn­isme de Trump, l’Iran a franchi la ligne rouge le 27 décembre lorsqu’une milice irakienne dépendant de Soleimani a tué un Américain en Irak.

L’agressivit­é iranienne récente ne veut pas forcément dire que Téhéran va poursuivre l’escalade. L’Iran est une puissance de second rang, avec une économie très mal gérée et des moyens militaires limités. Le régime s’est toujours préoccupé d’assurer d’abord sa propre survie. La République islamique, pourtant, se veut l’héritière d’une des plus grandes civilisati­ons de l’Histoire, celle de la Perse. Après l’humiliatio­n terrible qu’est l’éliminatio­n de Soleimani, le régime se doit de réagir s’il veut garder un minimum de crédibilit­é. Mais les oligarques religieux de Téhéran ont toutes les raisons de peser leur riposte au trébuchet. Surtout maintenant que Trump a montré que, pour assurer sa réélection en novembre, il ne laisserait plus rien passer

L’agressivit­é iranienne ne veut pas forcément dire que Téhéran va poursuivre l’escalade. Le régime s’est toujours préoccupé d’assurer d’abord sa propre survie.

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