2020, année de la Gardin
L’humoriste décapante qui décline toute promo est à l’affiche de deux comédies en ce début d’année. Portrait.
L’année 2020 sera celle de Blanche Gardin. Dans une carrière d’artiste, il arrive un moment où toutes les planètes se rejoignent, succès public et reconnaissance du métier. Ce n’est pas un hasard, juste une question de concordance des temps. Et de talent, bien sûr, qui finit par éclater au grand jour. C’est le cas pour l’humoriste inclassable et décapante de 42 ans, née de « père prof de fac [et de] mère traductrice, limite catalogue de la Camif », vedette numérique aux millions de vues sur YouTube et dont le nom est aujourd’hui sur toutes les lèvres et dans l’agenda des producteurs.
En quelques années, cette ancienne étudiante en sociologie passée par toutes les cases (éducatrice, flic, ébéniste, rebelle) a imposé un personnage, son personnage, celui d’une quadragénaire célibataire, vaguement bobo, qui pose un regard désenchanté sur les femmes, les hommes et notre époque un brin cynique. Après deux molières de l’humour (2018 et 2019), une tournée en France à guichets fermés avec sa Bonne nuit Blanche, jouée aussi à New York, elle quitte (provisoirement) la scène pour le cinéma. La voilà, en ce début d’année, à l’affiche de deux comédies : le cruel Selfie (en salles le 15 janvier), film à sketchs dans lequel elle joue avec Maxence Tual un couple d’influenceurs drogués aux réseaux sociaux, et le perché #JeSuisLà (sortie le 5 février), qui lui vaut un petit rôle au côté d’Alain Chabat, gentil baba tombé amoureux d’une internaute coréenne rencontrée via Instagram. Deux personnages à l’opposé dans lesquels l’actrice se glisse avec naturel, sans faire d’effets, avec ce style faussement distancié, sa voix neutre, son regard interrogateur.
Lauren Bacall. « On se connaît depuis longtemps. Je l’ai toujours trouvée très belle, avoue d’emblée Thomas Bidegain, l’un des réalisateurs de Selfie. Je sais que les cinéastes ne vont pas la chercher pour ça. Mais moi, j’avais envie qu’elle soit belle, photogénique. Elle me fait penser à Lauren Bacall : mêmes yeux clairs, mêmes pommettes hautes. » Dans ce sketch baptisé Vlog (blog vidéo) qui dénonce l’impact des réseaux sociaux sur notre quotidien, cet ancien scénariste de Jacques Audiard (Un prophète, 2009) pratique l’humour corrosif. Du sur-mesure pour Blanche Gardin et Maxence Tual, qui ont participé à l’écriture. « On voit ces parents d’un enfant incurable passer leur temps à filmer ses moindres gestes pour faire le plus de vues possible sur Internet, raconte Thomas Bidegain. On est dans le ton de la comédie à l’italienne, drôle et cruelle à la fois. Et Blanche est parfaite dans ce registre un peu barré. »
Question : comment, sans jamais jouer le jeu de la promo, devient-on Blanche Gardin, la reine du stand-up, celle que tout le monde s’arrache? Mystère. « Elle a un potentiel évident, répond Karl Zéro, qui l’a fait débuter dans Le Vrai Journal de Canal+, en 2006, où elle jouait au milieu d’un groupe baptisé Les Intermythos. Ils avaient l’air de bons alter[mondialistes] de l’époque, fans de José Bové, partisans du jeu collectif, sans ambition personnelle. Au milieu de ses copains, elle avait quelque chose de particulier et les bouffait tous. » Son style ? Percutant et cru. Moderne aussi. « Elle parle de sexe de façon directe, comme un mec, sans fausse pudeur, mettant de côté la féminité d’autrefois en jouant sur les travers féminins et masculins, note l’homme de télévision. Venant d’une femme, c’est très étonnant. »
Et si, aujourd’hui, le succès la bouscule, la perturbe, Blanche Gardin tente tout simplement de se protéger. « C’est quelqu’un de très fragile », reconnaît Karl Zéro, tandis que Thomas Bidegain salue, lui, sa volonté d’« échapper à la tyrannie des médias et à l’image que l’on voudrait donner d’elle. Blanche a un esprit singulier et elle prouve qu’on peut réussir sans jouer le jeu des médias ». C.Q.F.D.
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