Le Point

Musique - Lala &ce : la femme est-elle l’avenir du rap ?

Noire, homosexuel­le et passionnée par Nietzsche, Lala &ce rappe le désir sans se cacher d’être une fille.

- PAR ANNE-SOPHIE JAHN

Adieu les machos faisant voler des billets de banque sur les courbes plantureus­es de muettes créatures! Souvent plus percutante­s que leurs homologues masculins, les rappeuses de la nouvelle génération n’hésitent pas à leur voler leurs codes et leurs micros en crachant leurs rimes sur leur désir de succès, d’argent et de sexe. Surtout, elles prouvent qu’il n’est plus nécessaire de battre des faux cils, comme Nicki Minaj, pour vendre des disques de hiphop. La féministe Little Simz est ce qui se fait de meilleur dans le rap en ce moment selon Kendrick Lamar, et la New-Yorkaise Young M.A cumule près de 800 millions de vues avec ses vidéos dans lesquelles elle joue avec des gros calibres et des gros fessiers. En France, Lala &ce, ex-Lyonnaise affolant les fans de rap, y compris ceux des cités, fait émerger un autre type de féminité. « Je reçois parfois des vidéos de mecs de tess [cité,

NDLR] qui me disent : “Respect, meuf.” Ça prouve qu’ils passent au-dessus de certains préjugés », dit-elle depuis Londres, où elle s’est installée il y a cinq ans pour finir sa licence de gestion du patrimoine, et où, se sentant enfin libre d’exprimer son identité, elle est restée.

Les préjugés, la jeune femme – noire, homosexuel­le et androgyne – les a pulvérisés grâce à son flow lent enrobé et travaillé sur le logiciel Auto-Tune. Imitant Lil Wayne sous purple drank (un mélange de Sprite et de codéine très prisé des rappeurs outre-Atlantique), elle murmure des mots sensuels et gluants comme du sirop et nous plonge dans un monde au ralenti, ou slow motion. « Comme dans les scènes de combat dans Matrix, ça laisse le temps pour apprécier ce qui se passe », affirme-t-elle. A peine la comprend-on quand elle marmonne : « Elle a le boule tout rond comme un cohiba [cigare cubain, NDLR]. » « D’accord, je parle de sexe crûment, mais je le fais avec douceur, sans agresser, explique-t-elle. A l’origine, le rap est la voix des opprimés : les Noirs à New York, les jeunes des cités en France… Alors, il peut devenir celle des femmes queer qui vivent dans les quartiers. »

Voix grave. Elle-même n’en vient pas, des quartiers. Fille d’un père français professeur de sciences économique­s et d’une mère ivoirienne éducatrice de jeunes enfants, cadette d’une famille de sept enfants, passionnée par Nietzsche et le panafrican­isme, Mélanie Berthinier a étudié la finance et le marketing musical avant d’intégrer 667 grâce à Jorrdee, autre Lyonnais qui fait partie de ce collectif de rappeurs d’origine sénégalais­e spécialist­e du flow traînant. Elle est la seule fille du groupe. « Ma mère n’était pas très contente ! Je viens d’une famille classique qui n’avait pas une bonne image du rap », avoue-t-elle. Lala &ce, son pseudonyme, elle l’a tiré de Laoré, son prénom ivoirien, et d’ace, qui désigne, dans le tennis, la balle de service que l’adversaire n’arrive pas à toucher, comme une bonne phrase choc. De sa voix grave (qu’elle a longtemps tenté d’adoucir pour faire plus « féminine», avant de l’assumer en même temps que sa sexualité), elle déclare son amour aux filles, notamment à la joueuse de tennis Serena Williams, son exemple de femme noire forte. Ses clips sexy cartonnent. Son premier album, le bien-nommé Le Son d’après, sorti en juin chez All Points/Believe, montre une pochette de haschisch remplie de pétales de roses. La marque japonaise de jeans Edwin (dont Brad Pitt a été l’égérie) s’en est inspiré pour une collection.

En Côte d’Ivoire, où elle vient de donner des concerts, elle casse aussi les tabous de l’homosexual­ité chez les femmes africaines. « Ce n’est pas encore très accepté, mais ça va venir, assure-t-elle, confiante. Si le rap vient d’Afrique, là-bas, le hip-hop est considéré comme un genre musical pour les enfants. Néanmoins, c’est une scène qui se développe grâce à des groupes comme Kiff no Beat. J’ai envie de me plonger dans mes racines et d’avoir un son plus africain. » Des beats qui imprègnent son prochain album, dans les bacs cette année

Le Son d’après, de Lala &ce (All Points/Believe).

 ??  ?? Pseudo. Le nom de scène de Mélanie Berthinier, Lala &ce, allie son prénom ivoirien, Laoré, et « ace », ce service gagnant au tennis.
Pseudo. Le nom de scène de Mélanie Berthinier, Lala &ce, allie son prénom ivoirien, Laoré, et « ace », ce service gagnant au tennis.

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