Le Point

Boris Vian flingue encore

L’hyperactif avait laissé un polar drôle, sanglant, et inachevé. Six zozos de l’Oulipo se sont pris au jeu. Potache et joyeux.

- PAR SOPHIE PUJAS

«J’ai un sujet de roman policier, fanfaronne Boris Vian en 1950. C’est un sujet tellement bon que j’en suis moi-même étonné et légèrement admiratif. Si je le loupe, je me suicide au rateloucou­me [rahat-loukoum, NDLR] et à la banane frite. » Il s’attelle à la tâche, enthousias­te. Mais cet hyperactif laissera son grand sujet en plan au bout de quatre chapitres…

Cet inédit paraît aujourd’hui, et il porte bien la griffe du grand Boris, qui aurait eu 100 ans le 18 janvier 2020. Pas le singulier poète de L’Écume des jours mais son double, Vernon Sullivan, ce romancier américain fictif dont Vian se prétendit le simple traducteur, notamment avec J’irai cracher sur vos tombes, retentissa­nt succès au parfum de scandale paru en 1946. Ici, dans On n’y échappe pas, un vétéran, revenu de Corée avec une main en moins, découvre que ses anciennes petites amies sont trucidées une à une… Il décide de mener l’enquête. L’atmosphère Sullivan est bien là: sexe, sang et humour, mais aussi jazz, femmes fatales et privés mélancoliq­ues.

Il fallait oser: la version qui paraît aujourd’hui a été complétée par six membres de l’Oulipo: Marcel Bénabou, Eduardo Berti, Jacques Jouet, Clémentine Mélois, Olivier Salon et Hervé Le Tellier, dans une pluralité de génération­s qui dit bien l’aura de l’écrivain. « Vian, s’il avait vécu, aurait certaineme­nt fait partie des membres fondateurs du groupe, et c’est à ce titre presque amical que nous avons été sollicités, raconte Clémentine Mélois, née en 1980. L’écriture a ensuite été un travail collectif. » Cette experte en détourneme­nts de couverture (Cent Titres, Grasset) a également dessiné celle du roman en hommage au style très graphique des Sullivan, parus aux Éditions du Scorpion. « Secrétaire définitive­ment provisoire » de l’Oulipo, Marcel Bénabou raconte pour sa part: «Pour l’Oulipo, qui aime travailler sous contrainte, c’était évidemment un beau défi à relever que de se glisser ainsi dans le projet inabouti de quelqu’un que l’on aimait et que l’on considérai­t comme un proche ! D’autant plus qu’il s’agissait d’un roman policier, et que les oulipiens aiment bien ce genre littéraire, qui a ses règles et ses contrainte­s propres, avec lesquelles il faut essayer de jouer. »

de Vian et d’autres : le jeu est constant, sans empiéter sur le plaisir de l’histoire. Pour ce centenaire, une vaste correspond­ance inédite est à paraître, également chez Fayard, et des célébratio­ns autour de cet auteur, qui ne cesse de fasciner, s’organisent. « Il y a chez Vian une poésie, une jeunesse et une liberté qui n’appartienn­ent qu’à lui, et chaque nouvelle génération qui le découvre le sent d’instinct. Son héritage littéraire, explique encore Hervé Le Tellier, j’aurais du mal à le définir autrement que par une injonction à ne rien s’interdire et à ne pas céder devant les “agélastes” dont parlait Rabelais, ces pauvres gens qui ne rient jamais et prennent la comédie du monde au sérieux. » Quoi de plus nécessaire que de rire à nouveau avec Vian ?

Programme des célébratio­ns : https://centenaire­borisvian.com

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France