La vie simple : nouveau conformisme ou doux snobisme ?
Pour mieux vivre 2020, faut-il opter pour l’épure ? Y prétendre, sinon y aspirer, est déjà l’assurance de briller. A peu de frais.
Entre une exposition célébrant « de manière chromatique et non logique » les classiques d’APC, la marque de Jean Touitou posant « l’essentiel » en axiome de développement économique et le « bleu classique » déclaré couleur 2020 par Pantone ; entre le menu unique des restaurants qui ne laisse aucune place au choix et l’empreinte carbone devenue l’antienne par excellence des déplacements – tenter de convaincre un moins de 18 ans de grimper dans un avion est un nouvel Everest –, l’impératif catégorique de l’année qui s’ouvre serait la recherche de la simplicité. Comme une réponse posée à la complexité des idées et au chaos du monde. Il demeure que cette nouvelle norme peut se penser autrement que comme un dépouillement cistercien, un minimalisme zen ou une frugalité sceptique. On peut la pimenter de plaisirs, goûter les snobismes qu’elle procure et préférer au rigorisme des nouveaux Savonarole de la décroissance une épure jouissive, douce et un rien ironique. Dépouillée de tout, en somme, sauf d’esprit. La preuve avec les bonnes attitudes à adopter en guise de résolutions…
Bleu (je rêve in blue)
C’est à La Plaine-Saint-Denis, dans les studios de Luc Besson, que tout a basculé, un dimanche matin humide de septembre 2019. L’aréopage frigorifié de journalistes et d’acheteurs qui constitue ce que l’on appelle la « fashion crowd » – cet ensemble de nomades professionnels suivant d’une capitale à l’autre les présentations de mode – se trouvait réuni pour assister au défilé printemps-été 2020 de Balenciaga. Une promesse de pas de côté depuis que Demna Gvasalia s’est saisi des rênes créatives de l’honorable maison du rigoriste Cristobal Balenciaga.
Un décor bleu tenant de la Douma modeuse et du Parlement européen canal historique et une collection célébrant et dénonçant, d’un même mouvement, les codes du vestiaire pour finir en pied de nez par d’immenses robes à paniers or, argent et bleu. Un bleu sur bleu aux allures d’évidence et un manifeste débridé de simplicité détournée: le glamour se joue dans ces volumes gonflés et dans la violence brute d’un bleu qui ferait pâlir d’aise Michel Pastoureau (photo).
Quelques mois plus tard, la tendance se confirmait quand, dans un joli mouvement marketing, Pantone présentait sa « couleur de l’année 2020 ». Une référence complexe – 19-4052 TCX – pour un très simple « bleu classique ». La couleur malaimée de l’Antiquité, la couleur divine de l’ère moderne, la couleur de l’unanimisme contemporain chantée en son temps par Sophie Marceau et François Valéry, la couleur de la pluralité de sens devient la réponse aux vicissitudes de l’époque G. D.
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Normcore thermique
L’effet de look est passé de mode jusque dans les studios où le luxe mitonne ses collections de prêt-à-porter et d’accessoires. Les directeurs artistiques et les tendanceurs ne portent pas leurs propres créations, mais ils ne succombent pourtant à aucun minimalisme : le noir ne triomphe pas plus que le grège. Leur recherche de simplicité érige plutôt
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la fonctionnalité en chic absolu, ■ surtout si elle permet de faire face aux aléas météorologiques. Ainsi, un nouvel uniforme, sinon un nouveau conformisme, voit le jour: le K-Way marine – marque d’origine et forcément marine – se porte avec le tee-shirt blanc un rien technique – version Uniqlo plus que Fruit of the Loom, trop vintage et pas assez green – et le jean usé APC – brut avant l’heure et non lavé pour les plus extrémistes. Pour aller au bout de cette normalisation consentie, c’est la basket de Steve Jobs que les plus pointus osent au pied – la New Balance 990 en V3 (photo). Ne pas s’aventurer vers les versions les plus récentes, labellisées V4 ou V5, au risque du faux pas qui ne pardonne pas : celui menant vers le banal. G. D.
L’adresse chiffrée
Le chic serait-il dans le crypté pour initiés ? Les boutiques et lieux culturels reviennent en effet à l’épure pour leur adresse. Mots d’ordre ? Sobriété, chic et simplicité. A l’image de Chanel et Diptyque, qui apposent de simples numéros pour baptiser leurs produits – comme le mythique sac 2.55 (créé par Coco Chanel en février 1955), un numéro de rue court et précis doit permettre d’identifier telle ou telle adresse. Ainsi vont le « 24 Faubourg » pour Hermès, le « 24 Sèvres » pour Le Bon Marché, le « 86 Champs » pour le concept store réunissant L’Occitane en Provence et Pierre Hermé (photo), « Archive 18-20 » pour l’adresse mode prisée de la rue des Archives ou le « 107 Rivoli », la librairie du musée des Arts décoratifs. A. F.
Un lien sinon rien
S’il ne devait en rester qu’un, peut-être serait-ce celui-ci. Trait d’union entre une nouvelle garde de designers et les joailliers établis de la place Vendôme, le jonc distille son charme graphique. Intemporel, il prend la forme d’un clou chez Cartier, d’un serpent chez Bulgari, d’un bracelet ouvert, orné de cabochons, chez Piaget. Mais le poignet n’a plus l’apanage de cette tige en métal aux formes organiques. Remodelé pour explorer de nouveaux portés, le jonc ondoie autour de l’hélix (l’ourlet du pavillon de l’oreille) chez Repossi, tourbillonne autour du cou chez D’heygere et voltige entre les doigts chez Charlotte Chesnais (photo). Preuve que les règles de bienséance qui régentent le port du bijou évoluent. C. A.
Juste à l’heure
Pour trouver leur place dans un paysage horloger très concurrentiel, certains ajoutent des complications, des fonctions ou des matériaux nouveaux. D’autres se singularisent en supprimant le superflu. Ce fut le cas, dès 2001, de MeisterSinger, jeune marque allemande qui ôta de ses cadrans toutes les aiguilles, sauf une. Vestige d’un temps où le quotidien suivait le rythme du soleil, ces montres à monoaiguille firent des émules, au point d’inspirer, à présent, des grands comme Audemars Piguet (photo) ou Jaquet Droz. Plus qu’un parti pris esthétique, ces pièces dont l’aiguille unique affiche à la fois l’heure et la minute – à peu près – encouragent une autre lecture du temps qui passe. C. A.
Reprise en main
Longtemps rétifs à la boîte automatique, les automobilistes européens s’y convertissent peu à peu. Mais pas tous, comme en témoigne le retour récent de la boîte manuelle sur des modèles élitistes tels les Porsche 718 GT4 et 911 GT3 (photo). Et pour cause : si l’on achète une voiture de sport, c’est pour qu’elle procure le plus de plaisir possible. Alors, à quoi bon une boîte automatique ou robotisée – objectivement plus performante – si elle prive du plaisir simple de changer ses rapports au moment choisi ? Y. M.
La bravoure du jambon-beurre
Impossible de faire plus simple que ce morceau de bravoure tenant entre deux tranches de baguette ultrafraîches et croustillantes un canaille jambon à l’os et un onctueux beurre de baratte. Loin de la version à la viande imaginée en 1762 par lord John Montagu, quatrième comte de Sandwich, et plus proche de celle au lard des paysans français du XIXe siècle, l’irréductible jambon-beurre – le « parisien » –, qui a envahi les comptoirs en zinc après la Première Guerre mondiale, ne laisse aucune miette à ses congénères. Chaque année, plus de la moitié des sandwichs consommés dans l’Hexagone en sont. Le monument dans sa catégorie ? Celui du Petit Vendôme (5 €), à Paris 2e, préparé à la commande et pour lequel, chaque midi, la queue s’allonge dans la rue des Capucines. T. D.
Téléphone pas smart
A rebours de toute frénésie technologique, loin de toute surenchère de versions, le téléphone à simples fonctions pourrait bien affirmer son retour. Emblème en vogue de cette tendance ? Le Nokia 3310 (photo). Cette madeleine de Proust de la téléphonie fut lancée en 2000 et vendue à plus de 126 millions d’exemplaires avant d’être rééditée en 2017 chez colette. Inutile d’être diplômé de l’école Polytechnique pour appeler, envoyer un texto ou jouer à Snake. Le smartphone est mort, vive le mobile simple à fonction unique : appeler et être appelé. Le tout sans application. Mais non sans affectation. A. F.
Pied-à-terre
La tendance s’amplifiait chez les chausseurs en vue, la voilà adoubée par Virginie Viard chez Chanel. La créatrice prône en effet une silhouette plus en phase avec le quotidien des élégantes. Signe distinctif de cette modernité? Le plat. Bottines, ballerines, mules, sandales, mocassins… Un mouvement lancé par les dernières collections de la rue
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La fonctionnalité est érigée en chic absolu, surtout si elle permet de faire face aux aléas météorologiques.