La justice de meute, par Sébastien Le Fol
« La justice est une passion des hommes, qui ne peut se réclamer d’elle-même. (…) c’est une passion âcre qui ne se satisfait que dans la violence. Elle se moque bien de la vérité ! » Ainsi parle le procureur Maillard à Valorin, l’innocent qu’il vient de faire condamner à mort. Nous sommes dans la pièce de Marcel Aymé, La Tête des autres. Une satire de la justice française et des règlements de comptes d’après-guerre. Maillard, ce magistrat pétri d’infaillibilité, acharné à la perte de chacun, a fait des émules sur les réseaux sociaux. Sur Twitter (#Justiced’Exception2020) et Facebook, chacun s’improvise procureur, drapé dans sa « certitude morale ». Les comparutions sont immédiates, permanentes. Devant le tribunal numérique, de véritables victimes se font entendre. Elles ont notre empathie et notre soutien. Les faits qu’elles dénoncent parfois, comme la pédophilie dans le cas de l’éditrice Vanessa Springora, sont en effet inacceptables. À écouter la gravité de leurs accusations, on se demande : mais pourquoi l’institution judiciaire n’en a-t-elle pas été saisie plus tôt ? L’autre question, c’est le pouvoir que s’arrogent les juges improvisés. Et les curées lancées à tout propos et avec le même esprit sentencieux. Un jour est visée une ministre ayant pris quelques jours de congés à Marrakech. Un autre, une PME française se voit boycottée : deux de ses salariés ont été filmés, grimés en Noirs, lors d’une soirée privée. Quel but poursuivent nos nouveaux justiciers ? L’indignation tient lieu de plaidoirie. Tout le monde dénonce tout le monde. La cible du moment semble parfois le moyen de régler des comptes. La tête du coupable est disposée sur un plateau virtuel. On se succède pour la lapider. Comme si ce rituel était une manière, pour chaque accusateur, d’exhiber sa vertu. Ce tribunal du XXIe siècle agit sans Code pénal. La pire des peines qui y est encourue est la mort sociale. Votre réputation détruite. La justice de meute est passée. Qu’en est-il de celle des hommes ? En ce 60e anniversaire de sa mort, Albert Camus, qui s’interrogea tant sur la justice, la liberté et la vérité nous manque dans sa juste lumière
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