Le Point

Comment résister à la Chine

En faisant passer leur liberté avant les avantages commerciau­x qu’ils peuvent obtenir de Pékin, les Taïwanais donnent aux Européens de quoi méditer.

- Par Luc de Barochez

«Aucune force ne peut s'opposer à la quête humaine de la liberté », proclamait, lors de son procès en 2009 à Pékin, l'écrivain et Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, décédé huit ans plus tard en détention. C'est bien là le talon d'Achille des autocrates : tôt ou tard, les peuples se révoltent contre l'oppression. Xi Jinping, l'homme fort de Pékin, avait terminé l'année 2019 par un humiliant revers à Hongkong, où ses tentatives de soumettre les citoyens au joug communiste ont fait long feu. Il a commencé l'année 2020 en perdant une nouvelle fois la face, cette fois-ci à Taïwan.

Les électeurs de l'île ont accordé massivemen­t un second mandat à la présidente indépendan­tiste Tsai Ing-wen, qui incarne la résistance aux empiétemen­ts de la République populaire. Ils lui ont offert, de surcroît, une majorité parlementa­ire solide. Les Taïwanais ont donné là une leçon : la fidélité aux valeurs démocratiq­ues et aux droits de l’homme est possible, même lorsqu’on a la Chine populaire pour principal partenaire commercial et qu’on est menacé directemen­t par elle. Les Européens, prompts à faire passer leurs intérêts mercantile­s avec Pékin avant la défense de leurs valeurs, peuvent y trouver matière à réflexion.

Il y a un an, Xi Jinping stigmatisa­it l'indépendan­tisme taïwanais et promettait de s'y opposer, au besoin par la force. Il espérait intimider les électeurs de l'île ; le retour de bâton est brutal. Instruits par les événements de Hongkong, les Taïwanais savent combien leur liberté est fragile et précieuse. En exerçant leur droit de vote avec le plus grand courage, ils prouvent que le peuple chinois, tout autant que les peuples iranien, russe, saoudien ou égyptien, n'est pas culturelle­ment inapte à la démocratie. Ils apportent un démenti incisif aux tyrans contempora­ins, qui prétendent que ce régime politique né en Occident devrait y être cantonné.

Depuis 1949, l'île n'a jamais osé se déclarer indépendan­te bien qu'elle le soit de fait, sinon de droit. Seul le soutien militaire américain lui a évité d'être avalée par la Chine. Sa démocratis­ation, à compter des années 1990, a développé parmi les habitants le sentiment d'appartenir à une entité différente. Aujourd'hui, quelque 57 % des citoyens veulent rompre les amarres avec le continent, et même 93 % parmi les électeurs de moins de 35 ans.

La République populaire, en revanche, considère toujours l'île comme une de ses provinces et maintient l'objectif d'une réunificat­ion politique. C'est pour elle qu'elle a inventé le concept Un pays, deux systèmes, dont on a vu les déboires à Hongkong.

Taïwan n'abrite que 24 millions d'habitants, ce qui est négligeabl­e à côté des 1,4 milliard de Chinois du continent. Mais mettre la main sur l'île permettrai­t à Pékin de s'adjoindre une économie dynamique, d'une taille comparable à celle de la Suède, qui maîtrise des technologi­es très avancées, par exemple dans les semi-conducteur­s, et qui jouit d'une position militaire stratégiqu­e en mer de Chine, entre le continent, le Japon et les Philippine­s.

Depuis que Xi Jinping est arrivé au pouvoir en 2012, la République populaire a intensifié sa campagne qui vise à isoler Taïwan, mêlant la carotte et le bâton pour modifier à son avantage le statu quo dans le détroit de Formose. Ce n'est là qu'un élément d'une politique impériale de plus en plus affirmée qui tire profit de la passivité occidental­e : Donald Trump est tout à sa guerre commercial­e et les Européens préférent détourner le regard.

La Chine s'appuie sur sa puissance économique pour mener une campagne mondiale qui cherche à imposer son capitalism­e totalitair­e, présenté comme une alternativ­e au modèle occidental de société libérale. Dans cette optique, la résilience de la démocratie taïwanaise est une source de vive contrariét­é pour le pouvoir pékinois. Liu Xiaobo, le héraut chinois de la démocratie, était persuadé que « la Chine deviendra[it], à la fin, un État de droit, respectueu­x des droits humains ». Sous le règne de Xi, on s'en éloigne chaque jour un peu plus. Mais les Taïwanais montrent qu'il n'y a là aucune fatalité

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Instruits par les événements de Hongkong, les Taïwanais savent combien leur liberté est fragile.

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