ILS ONT FAIT LA FÉMIS
REBECCA ZLOTOWSKI Réalisatrice d’Une fille facile, avec Zahia Dehar (photo, à g.)
« Il y a une part masturbatoire, de transfert de libido dans le cinéma », a déclaré Rebecca Zlotowski, 39 ans, à la sortie, en 2019, d’Une fille facile. Ex-élève de Normale sup, diplômée de La Fémis en 2007, elle recueille, avec ce quatrième long-métrage où elle met en scène l’ex-escort-girl Zahia Dehar, un succès critique, mais c’est un flop en salles avec 80 583 entrées.
HUBERT CHARUEL Réalisateur de Petit Paysan, césar du meilleur premier film 2018.
« J’avais peur d’être considéré comme le “bouseux de la classe” ». Fils d’agriculteurs, diplômé de La Fémis en 2011, Hubert Charuel, 33 ans, rencontre avec son Petit Paysan, sorti en 2017, un succès surprise (547 000 entrées). Inspiré de son histoire familiale, le long-métrage reçoit le césar du meilleur premier film en 2018.
baskets, affairés, caméra à l’épaule ou rails de travelling sous le bras. Arthur*, 23 ans, en troisième année de prise de son, participe à l’exercice « effets spéciaux » de l’un de ses copains du département montage. « Mon père est agriculteur, ce que je fais ici est très, très flou pour lui », raconte-t-il en ajustant sa perche. Jeanne*, 25 ans, seule dans l’obscurité d’un studio, monte des images avec application. Avant La Fémis, elle a fait… Normale sup. « Mais je n’ai pas du tout le profil type des étudiants, s’empresse-t-elle d’ajouter, avant de louer la pédagogie unique de l’établissement. On choisit une spécialité, mais on se forme à tous les autres métiers, on comprend donc ce que font les autres intervenants sur un plateau, c’est beaucoup plus facile, ensuite, de travailler ensemble. » La Fémis est d’ailleurs connue pour ses bandes d’étudiants qui se constituent à chaque promotion et prennent, pour longtemps, l’habitude de travailler les uns avec les autres. « Des années plus tard, ils continuent de réaliser, de monter, de produire les films de leurs copains d’école », admet Nathalie Coste-Cerdan.
Marché chinois. A ceux qui lui reprochent de ne produire qu’un cinéma d’auteur décalé, inadapté aux bouleversements brutaux que traverse l’industrie cinématographique d’aujourd’hui, la direction de l’école rappelle qu’elle a lancé dès 2013 un cursus « écriture et création de séries », dont les anciens élèves commencent déjà à remporter de jolis succès. Quant aux mémoires de fin d’études de certaines de ses fortes têtes, comme celui, brillantissime, qu’une étudiante a récemment consacré à la meilleure manière pour le cinéma français de pénétrer le marché chinois, le CNC et la Rue de Valois feraient bien, à l’occasion, de s’en inspirer.
Dans la cour de la rue Francoeur, Medhi*, étudiant en section décors, tire sur sa cigarette en vitupérant. Il est en train d’achever un exercice « matière et paysage » qui consiste à reproduire, sur une surface de 2 mètres carrés, une portion de façade du quartier.
Les réalisations des apprentis décorateurs seront ensuite, pour l’essentiel, jetées. «Alors que les matériaux coûtent super cher! Le fric que cette école balance par les fenêtres, ça me rend fou. Et puis on dissèque tout, c’est trop intello, c’est l’enfer, s’agace Medhi. A ma dernière réalisation, quand une prof a visionné ce que j’avais tourné, elle m’a fait toute une analyse bidon sur ma contre-plongée, raconte-t-il en riant. En vrai, ma contre-plongée, c’était juste ma copine cheffe op qui fait 1,50 m, voyez… »
Le Normale sup du cinéma n’est pas près de se débarrasser de sa réputation d’intellectualisme, mais la nomination à sa présidence de Michel Hazanavicius est évidemment un tournant. « Ce n’est pas un secret, dans le paysage du cinéma français, je n’ai pas exactement la “couleur” Fémis, admet le réalisateur de The Artist et des hilarants OSS 117. Mais, attention, je ne vais pas transformer l’établissement en école de clowns. De toute façon, le cinéma qui est produit ici est beaucoup moins formaté qu’on ne le dit souvent. Je vais peut-être simplement décomplexer les élèves quant à un certain genre de cinéma, notamment la comédie, et contribuer à donner une autre image de l’école.» À vrai dire, le 2 octobre, quand les lumières s’étaient rallumées au plafond de la salle Henri-Langlois, lui aussi avait eu l’air bluffé. Notamment par le si joli court-métrage sur la maison, signé Clara Saunier, une diplômée du département montage. La contrainte consistait pour elle, sans rien tourner ou presque, à utiliser des images d’archives, en l’occurrence personnelles, pour démontrer son savoir-faire. « Franchement, vous demandez à des réalisateurs reconnus de se plier à cette consigne, huit sur dix, dont moi, se planteraient dans les grandes largeurs. Là, c’était merveilleux, non ? » Avis à ceux qui rêvent d’être intégrés à la prochaine dream team de la rue Francoeur : les trois mots proposés au choix pour le dossier d’enquête du prochain concours sont en ligne sur le site de l’école : le ciel, l’instant et la chair
■
Les prénoms des étudiants ont été changés.
« Une prof a visionné ce que j’avais tourné, elle m’a fait toute une analyse bidon sur ma contre-plongée. En vrai, ma contre-plongée, c’était juste ma copine cheffe op qui fait 1,50 m, voyez… »
Un élève