Le Point

Les maîtres du goût

Alors que Paris joue cette semaine les capitales du design avec Paris Déco Home et le salon Maison et objet, zoom sur six décorateur­s qui incarnent le style français.

- PAR MARIE-CHRISTINE MOROSI

Un vent nouveau souffle du côté de chez Colette – l’écrivaine et non pas feu le concept store de la rue Saint-Honoré. La lumière qui pénètre dans l’appartemen­t ouvrant dans l’axe parfait du jardin du Palais-Royal éclaire aujourd’hui des oeuvres de Picasso, Calder, Lucio Fontana… Mais le maître des lieux, le décorateur Jacques Grange, qui habite depuis trente ans la demeure de l’autrice du Blé en herbe, et ne quitterait pour rien au monde ses 140 mètres carrés, s’y sentait… à l’étroit. Aussi, quand l’occasion d’acquérir l’étage supérieur se profile, il est prêt. Dans cette perspectiv­e, il décide, en 2017, de se délester aux enchères de 150 pièces de sa collection d’art. Un succès : plusieurs lots, dont des sculptures du couple Lalanne, battent des records ; dépassant ses espérances, la vente lui permet de s’offrir l’étage convoité… et de démarrer une nouvelle collection.

Quand on a pour maîtres du goût des artistes comme Alberto et Diego Giacometti, Christian Bérard, Jean-Michel Frank, Louise Bourgeois, Emilio Terry ou Eileen Gray, on aime la découverte et les brassages. « J’ai pu acheter des oeuvres que je ne pouvais pas m’offrir auparavant: des dessins de Warhol, des céramiques grecques datant de 300 avant J.-C., un Keith Haring, un sublime cabinet portugais marqueté d’ivoire… » énumère l’architecte d’intérieur. Comme si elles avaient toujours fait partie du décor, ses acquisitio­ns s’accordent dans une mise en scène dont il a le secret. « Si j’incarne le goût français, c’est sans doute grâce à une énergie créatrice, car je conçois les intérieurs comme un accrochage, j’aime les mélanges, les opposition­s qui fonctionne­nt. » Et ses clients (fortunés) se fient volontiers à son oeil et à son expertise. Dans le monde feutré de la haute décoration, Jacques Grange appartient à la caste très restreinte des décorateur­s courtisés par les grands de ce monde, surtout s’ils sont aussi anti-bling-bling que lui. « Je suis très français car très classique. J’aime les maisons

« Je conçois les intérieurs comme un accrochage, j’aime les mélanges, les opposition­s qui fonctionne­nt. » Jacques Grange

confortabl­es où l’on se sent bien, je m’exprime selon les lieux. On ne peut pas exercer ce métier sans avoir goûté à des saveurs différente­s. » Ses voyages privés et ses chantiers l’ont mené dans le monde entier. Passionné par le Japon, la Chine, le Maroc pour sa lumière et son artisanat, il a découvert les trésors de l’Iran au temps de la splendeur du chah, s’est enthousias­mé pour l’Inde (son graal) et la peinture moghole, et se dit ébloui par l’art de travailler la nacre en Syrie.

Ce fringant septuagéna­ire a l’oeil qui frise en évoquant ses interventi­ons, qui lui valent une reconnaiss­ance internatio­nale – le magazine AD américain, la bible de la déco, vient de le désigner comme le décorateur le plus puissant du monde, et lui-même écrit un livre sur ses réalisatio­ns. « À mon âge, je veux bien travailler, mais je ne veux pas souffrir, et j’ai la chance d’avoir des clients charmants. » Voire « irrésistib­les », lorsqu’il évoque par exemple Francis Ford Coppola lui proposant le projet du Palazzo Margherita de Bernalda, dans le sud de l’Italie. Il a aussi signé les hôtels Cheval Blanc Saint-Barth, Mama, à Palma de Majorque, la Villa Maïa, à Lyon, The Mark, à New York. À dire vrai, les hôtels se

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