Le Point

Le Joker russe

Lauréat du Grand Prix d’horlogerie de Genève, l’autodidact­e Konstantin Chaykin élabore des montres d’avant-garde.

- PAR HERVÉ GALLET

Banlieue de Moscou. Une impasse anonyme entre des barres d’immeubles sans charme. Konstantin Chaykin aime la discrétion, même s’il fait tout pour attirer l’attention. Avec une méthode très simple: être l’un des horlogers les plus créatifs, comme l’attestent les 77 brevets obtenus pour ses inventions affichés à côté de son bureau. Un quadragéna­ire sérieux, donc, pourtant connu pour sa « tête de clown ». Pas la sienne! Celle de la montre qu’il a imaginée il y a deux ans et qui a fondé sa notoriété. Des yeux ronds comme des billes, une langue rouge émergeant d’une bouche rieuse, le nouveau visage de l’horlogerie russe s’appelle Joker. L’heure tourne dans l’oeil gauche, les minutes dans l’oeil droit, et la langue indique la phase de la Lune.

Près de vingt ans après ses débuts, Konstantin Chaykin est fier de ce triomphe internatio­nal qui voit chacune de ses séries limitées déclinant ce concept se vendre comme des petits pains auprès des collection­neurs. Mais sans doute regrette-t-il que ce succès rejette un peu dans l’ombre son coeur de métier, la création de pendules et de montres ultracompl­iquées qu’il continue de réaliser sur commande.

Cheval au galop. Si la Joker et ses héritières provoquent immanquabl­ement des sourires, sa montre Cinéma fige les regards tant elle est étonnante. Dans la partie basse d’un boîtier rectangula­ire, une lentille grossissan­te dévoile un cheval au galop quand on presse sur un bouton. Un effet d’optique rappelant les prémices du septième art.

À l’inverse, sa prochaine création est tournée vers le futur ou la science-fiction. «Pas de photo!» prévient-il en allumant son écran d’ordinateur. Il travaille sur un projet de garde-temps de forme audacieuse indiquant en parallèle l’heure terrienne et l’heure martienne. « J’aimerais que le premier cosmonaute sur la planète Mars porte ma montre au poignet », confie-t-il sans fausse modestie. Exactement comme lorsqu’on lui demande s’il existe d’autres créateurs horlogers russes possédant son expertise : « Niet. »

Il faut dire que Konstantin Chaykin est le mieux placé pour juger son parcours. Tour à tour opérateur radio, soldat, menuisier et marchand de montres, il a appris les secrets de l’horlogerie dans les livres et en travaillan­t seul à l’établi. «Mes professeur­s ont été mes erreurs», avoue-t-il. Son ambition ? Battre le record établi par Vacheron Constantin avec une pièce unique assurant 57 fonctions. Dans dix ans, la montre mécanique la plus compliquée du monde sera peut-être russe

L’une des idées les plus radicales de l’art moderne a été inventée en 1918 par un artiste russe, Kasimir Malevitch, lorsqu’il peignit tout simplement un carré blanc, très légèrement bleuté sur un fond blanc, bien blanc. L’oeuvre est aujourd’hui visible au MoMA de New York. Il visait ainsi à donner l’illusion des trois dimensions sur la surface de la toile plate. Nombreux sont les artistes à avoir repris cette idée étonnante de l’immaculée monochromi­e. La galerie Gagosian expose une trentaine d’oeuvres qui appliquent ce principe de l’art tout blanc. De Lucio Fontana, et ses « Concept spatial » faits d’une toile blanche fendue (photo), jusqu’aux écheveaux géants de fils de lin de l’artiste américaine Sheila Hicks, qui vit à Paris…

Voyage dans l’outreblanc. De 15 000 euros à 3,5 millions d’euros. Jusqu’au 6 mars, Paris, https ://gagosian.com.

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L’horloger russe Konstantin Chaykin entre deux de ses modèles emblématiq­ues : la Joker (à g.) et la Cinéma (à dr.).
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