Arnaud Lagardère, confession inédite
Exclusif. La vérité sur sa dette, sa stratégie, la bataille contre le fonds Amber… Le patron se confie sans tabou sur ses dix-sept ans à la tête du groupe Lagardère.
« Je peux vous garantir que je vais rester encore plusieurs décennies à la tête de mon groupe. »
Ce matin-là, Arnaud Lagardère s’attarde avec sa garde rapprochée. L’heure est grave, rue de Presbourg: le siège parisien du royaume des Lagardère, installé tout en haut des Champs-Élysées, est assiégé de toutes parts. On dit l’héritier ruiné. On moque la stratégie qu’il mène depuis le décès de son père, Jean-Luc, en 2003. On tente de le forcer à céder les rênes de Lagardère. Autrefois, une petite entreprise d’armement, Matra, qui servit de rampe de lancement à la création du futur premier groupe aéronautique mondial, Airbus ; aujourd’hui, un groupe de 28 000 salariés et de 7,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires qui détient les duty free et les boutiques Relay de plus de 200 aéroports, le numéro 3 de l’édition, Hachette, et des médias, dont Paris Match et Europe 1.
Pour Le Point, le chevalier de Lagardère a abaissé le pont-levis de son château en pierre qui défie l’Arc de triomphe. Les lieux méritent une rapide description. Cet hôtel particulier, protégé par une grille en fer, est le domaine réservé des fidèles. Au deuxième étage, Gérard Adsuar, directeur financier, dont le putter de golf est adossé à la fenêtre, et Ramzi Khiroun, le directeur des relations extérieures, qui croule sous les analyses d’Europe 1. Au premier étage, le bureau du big boss. Mis à part la table de réunion et la peinture sombre de Georges Mathieu, rien n’a bougé depuis le décès de son père. On trouve toujours les maquettes d’avions et d’hélicoptères, les photos et les bibelots… « J’ai tenu à garder son bureau presque tel quel », explique Arnaud Lagardère, sourcils épais, vêtu d’un élégant costume bleu marine cintré. Sur le même palier, Thierry Funck-Brentano, cogérant qui, entré en 1968 chez Matra comme stagiaire, se targue, à 72 ans, d’être le plus ancien « Lagardère boy ». Enfin, Pierre Leroy, l’autre cogérant de 71 ans, occupe le rez-dechaussée. La cohabitation entre ces fortes personnalités n’est pas toujours simple. « Le siège de
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Lagardère, c’est une cour avec ses querelles et ses ■ haines qui se dispute la faveur du pouvoir », décrit un ancien du groupe.
Mais ces quatre fidèles font bloc derrière Arnaud Lagardère pour protéger le royaume. Car celui-ci, même s’il reçoit Le Point en homme attentionné, enjoué et décontracté, enchaînant les « Allez ! » et les « Vamos ! » complices, tout en dégoupillant un CocaCola Light, est sous le feu d’une attaque violente lancée par le fonds d’investissement Amber Capital. Fondé par le Français Joseph Oughourlian, 47 ans, ancien de la Société générale et président du Racing Club de Lens, le fonds est, avec 6,7 % du capital, le troisième actionnaire de Lagardère derrière le Qatar (13%) et Arnaud Lagardère lui-même (7,3 %). Il ne cesse de dénoncer la gestion « gabégique » du patron, de pointer la « sous-performance » de l’action de la société et de critiquer la gouvernance, selon lui, défaillante. Le fonds tente de grappiller du pouvoir. Mais il n’a pas réussi à siéger au conseil de surveillance, seul organe qui a le pouvoir d’écarter le gérant commandité, dont le mandat expire en 2021. Le fonds a donc décidé de porter son attaque sur le holding personnel de l’héritier, Lagardère Capital & Management (LC&M). Cette structure qui détient la participation d’Arnaud Lagardère dans le groupe serait « la sangsue d’un management rapace » : elle facture 20 millions d’euros par an à la société Lagardère SCA, dont les salaires annuels d’Arnaud Lagardère (2,8 millions en 2018), de Pierre Leroy et Thierry Funck-Brentano (2,8 millions et 2,6 millions).
« Bave de crapauds ». Amber a fait récemment condamner Arnaud Lagardère pour avoir cessé de publier les comptes de son holding depuis 2010. S’il a fait appel de cette décision, il a dû verser une somme de 2 000 euros d’astreinte pendant trente jours. L’été dernier, le Financial Times a publié un article alarmiste faisant état, pour Arnaud Lagardère, d’une dette personnelle de « 204 millions d’euros » fin 2017, alors que ses actions valaient moins. Ce qui revenait à le mettre en situation de faillite personnelle virtuelle… S’estimant victime d’une « campagne de déstabilisation », Lagardère réclame à Amber 84 millions d’euros pour avoir fait baisser le cours de son action. « En général, je ne réponds pas aux attaques pour ne pas me lancer dans une partie de ping-pong sans fin, je ferme les yeux et passe à autre chose. Mais je considère qu’aujourd’hui cela va trop loin. Le groupe est victime d’une forme d’injustice et de trop nombreuses fake news circulent sur son état de santé, regrette Arnaud Lagardère. Mes banquiers ont subi des pressions pour lâcher Lagardère. En vain. J’ai des accords anciens et pérennes, notamment avec le Crédit agricole qui a toujours été fidèle au groupe, à mon père et à moi-même. »
Depuis toujours, sa légitimité de dirigeant fait débat. « Les critiques sur le fait que je sois un fils de, j’ai appris à vivre avec, j’en soupe depuis l’enfance », lâche-t-il, un brin désabusé, à 58 ans. En sixième, quand cet élève moyen décroche 18 sur 20 en maths à la surprise générale, ses camarades de Janson-de-Sailly font courir la rumeur que la professeure a reçu des places pour les 24 Heures du Mans… Arnaud, Georges, André Lagardère, qui a obtenu un DEA de Paris-Dauphine, ne serait qu’un héritier. Bref, un rentier qui vit sur la bête… Il est souvent raillé, dans les dîners parisiens, où son image de dilettante lui colle à la peau. La mise en scène de sa vie avec sa femme Jade, mannequin belge de 29 ans, n’a rien arrangé… Thierry Funck-Brentano, directeur de la communication, range soigneusement les articles médisants dans un dossier. Son nom ? « Bave de crapauds ». « Les entreprises familiales et leur transmission à la génération suivante, tout le monde trouve cela formidable quand il s’agit de la boulangerie du coin. Mais si c’est une grande entreprise, c’est plus compliqué… C’est comme si on avait du mal à digérer la réussite en France », grogne Arnaud Lagardère.
En s’exprimant dans Le Point, il tient à rétablir sa vérité : « En 2003, quand je prends la suite de mon père, Lagardère est un groupe qui est majoritairement dans le secteur des hautes technologies et des médias. Il fallait tout réinventer… C’est ce que j’ai fait, avec la sortie d’EADS (Airbus) où nous étions minoritaires et la vente des magazines, dont je pensais, à juste titre, que c’était un marché en fort déclin. J’ai basculé le groupe sur deux métiers pérennes où nous avons les moyens d’être leader mondial : l’édition et le travel retail. Si je n’avais pas effectué ce mouvement stratégique, le groupe Lagardère serait mort. Nous avons depuis quinze ans cédé pour 9 milliards d’euros d’actifs et réalisé 4 milliards de plus-values : on peut dire que le verre est au quart vide, mais la réalité, c’est qu’il est aux trois quarts plein. » Arnaud Lagardère est un grand fan des livres de John Grisham, cet auteur américain à succès qui fait souvent le portrait de héros courageux et solitaires partant en guerre contre un puissant système. Peut-être s’identifie-t-il un peu aux personnages… La vie d’Arnaud Lagardère est un roman. La voici racontée, en neuf épisodes, et avec son témoignage.
Mon père, ce héros
Le 14 mars 2003, Jean-Luc Lagardère décède à 75 ans à la suite d’une opération de la hanche qui a mal tourné. Trois jours après, son fils s’installe dans son bureau. Le microcosme raille : « Arnaud n’a que 41 ans. » Pourtant, il gère alors les médias du groupe, après avoir fait ses armes aux États-Unis dans la filiale Grolier, un éditeur d’encyclopédies, coaché à distance par Philippe Camus, via le logiciel vidéo CU-SeeMe, ancêtre de Skype. «Je me préparais à prendre la suite de mon père depuis l’âge de 19 ans. Si Jean-Luc ne m’en a jamais parlé ouvertement, n’a jamais abordé le sujet en me prenant entre quatre yeux, c’était malgré tout évident. J’allais lui succéder, c’était comme un accord tacite entre nous», confie l’héritier.
Il a été éduqué selon les préceptes inscrits dans les Mémoires de Louis XIV. Pour l’instruction du Dauphin, dans lesquels le Roi-Soleil enseigne à son fils l’art de gérer les finances et de se méfier de ses ennemis. « Pour Jean-Luc Lagardère, Arnaud était plus un successeur qu’un fils », se lamente un proche. Après le divorce de ses parents, Jean-Luc Lagardère et Corinne Levasseur, en 1975, Arnaud et son père semblent indissociables. « J’avais 14 ans et j’ai personnellement demandé à ce que mon père obtienne la garde exclusive, en accord avec ma mère, se souvient Arnaud Lagardère. Mon père était mon idole. Pour moi, il incarnait le sport et les 24 Heures du Mans. Imaginez un gamin qui a des posters des Rolling Stones dans sa chambre et qui vit avec Mick Jagger. C’était mon cas. Nous avions des rapports fusionnels. Je le dis souvent : “Lui, c’est moi, et moi, c’est lui.” Je n’ai jamais cherché à me construire en opposition à lui. »
Pourtant, le premier acte de l’héritier est de déroger aux ordres posthumes de son héros. Celui-ci avait caché dans un coffre-fort une lettre à décacheter après son décès. L’industriel l’a rédigée en 1992, l’année où il frôle la catastrophe à la suite de la débâcle de La Cinq, se décide de fusionner Matra et Hachette et de passer la société sous le régime de la commandite. Lagardère prône dans sa missive un triumvirat pour lui succéder, composé d’Arnaud qui serait président, de Philippe Camus pour les médias et de Noël Forgeard pour l’aéronautique. Mais son fils refuse de respecter l’écrit. Camus est conforté dans son poste de coprésident exécutif d’EADS, placé hiérarchiquement au-dessus de Forgeard, qui ronge son frein chez Airbus. « Il y avait cette guerre fratricide entre les deux. J’ai choisi le plus fidèle », avance le gérant. Ce faisant, le fils du capitaine d’industrie, qu’on disait fragile, assoit son pouvoir. Mais la succession patrimoniale s’enlise, car le président Chirac tient à offrir à son ami Noël Forgeard la coprésidence d’EADS. Malgré les pressions de Francis Mer, alors ministre des Finances, qui le convoque à 7 heures du matin, lui soufflant la fumée de ses gitanes à la figure, Arnaud Lagardère ne cède pas face à Bercy. Sa belle-mère, l’ex-mannequin brésilien Bethy, reçoit l’hôtel particulier de la rue Barbet-de-Jouy et une somme d’argent. Lui hérite des titres de son père et des deux haras.
Le lapin d’Amsterdam
En ce 31 mai 2012, les actionnaires d’EADS se pressent à l’hôtel Okura, à Amsterdam. Ils actent le changement de gouvernance de la maison mère d’Airbus. En vertu d’accords passés pour pacifier le climat, l’Allemand Bodo Uebber laisse la présidence du conseil d’administration à Arnaud Lagardère. Mais ce dernier a fait faux bond. Certains murmurent qu’il est à Roland-Garros, pour ne pas manquer un match de son ami Richard Gasquet. « C’est faux, archifaux, je n’ai pas séché pour aller à Roland-Garros. D’ailleurs, je ne mets presque plus jamais les pieds à Roland-Garros. C’est tout simple. J’ai tenu, à l’époque, à laisser Bodo Uebber présider cette assemblée générale qui ne me semblait pas essentielle. » Autre option : le fils du stratège de Matra n’est pas fan d’aéronautique. «J’adore les avions», rétorque l’intéressé, qui montre la maquette d’un A350 offerte lors de son départ d’EADS, en 2013. Cette année-là, Lagardère cède ses 7,5 % du capital dans EADS et verse un généreux dividende aux actionnaires… Y compris à lui-même, puisque cela lui permet de réduire sa dette à 303 millions. « Il faut arrêter de dire que mon désendettement a téléguidé ma stratégie. C’est une contre-vérité. Il faut souligner aussi que notre politique de distribution de dividendes a toujours été approuvée à plus de 95 % par les actionnaires. Personne ne peut donc s’en plaindre, aujourd’hui », se défend-il. Je n’ai pas trahi la volonté industrielle de mon père. Jean-Luc aurait également vendu les parts que nous détenions dans EADS. » Reste que la vente s’effectue à un cours de 35 euros. L’action vaut plus de 135 euros aujourd’hui ! Un ancien tacle : « S’il n’avait pas quitté l’aéronautique, il serait le roi du pétrole. » Réponse de Lagardère : « Mais c’est notre départ qui l’a fait
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décoller! Nous étions verrouillés dans un noyau ■ dur avec l’État français et l’État allemand et c’est ce déverrouillage qui a provoqué la flambée de l’action. »
« Viens, tonton Nono, te cache pas ! »
Arnaud prend des bûches et Jade s’esclaffe: « Il a de belles petites fesses. » Arnaud allume le feu, cuit des steaks et se fait chambrer par sa belle-mère Maïté: « Viens, tonton Nono, te cache pas ! » Diffusé en 2012 sur la chaîne belge RBTF puis sur Internet, le documentaire La Belle, le milliardaire et la discrète écorne sérieusement l’image d’Arnaud Lagardère. Après l’avoir visionné, Funck-Brentano a ragé, son patron ne lui avait rien dit… «Il avait une image très correcte, les premières années. Puis cette vidéo a tout compliqué », soufflet-il. « Je regrette beaucoup d’avoir participé à ce documentaire qui m’a probablement fait beaucoup de mal en termes d’image. Je me suis fait piéger, les intentions des promoteurs de ce documentaire étaient mauvaises », déclare son patron. Son image de dilettante, de jouisseur, est née.
Pour Jade Foret, la belle brune aux yeux bleus, de 1,82 mètre, qu’il rencontre en 2011 alors qu’elle n’a que 20 ans, l’amoureux semble prêt à tout. « Arnaud dirige-t-il encore Lagardère ? » s’interroge alors le quotidien La Tribune. « Arnaud a un rythme d’instituteur. Il fait des petites journées et prend toutes les vacances scolaires », persifle un ancien. Téléphone portable allumé la nuit, tête-à-tête réguliers avec les dirigeants… le gérant assure au contraire avoir « un emploi du temps bien rempli », celui « d’un médecin de garde qui serait mobilisable 24 heures sur 24. Je ne suis pas dans la gestion des opérations au quotidien, car nous sommes un groupe décentralisé. Mais dès qu’il y a un problème d’envergure, c’est pour moi ».
Sacrés réseaux sociaux !
« Arnaud nous a plantés. » Les cadres de Lagardère n’ont pas oublié son absence au séminaire de Rome, à l’automne 2014. Si le patron fait son mea-culpa dans une vidéo, les huiles ne digèrent pas ce nouveau lapin. « Il aurait pu prendre un jet privé et faire une brève apparition », dit l’un d’eux. À Rome, des managers découvrent stupéfaits leur patron sur les photos Instagram du vingt-quatrième anniversaire de Jade au milieu de ballons et devant un gâteau en forme de sac Chanel ! « Je ne suis pas allé au séminaire de Rome pour une raison personnelle importante. Et je tiens à préciser que non, ce n’était pas à cause de l’anniversaire de Jade », se défend-il.
Sacrés réseaux sociaux ! Ils jouent souvent des tours à l’héritier. Un ancien se plaint : « Il a toujours été très permissif avec Jade. » Quitte à laisser sa femme mannequin publier des clichés pour des pubs de bikinis ou de lingerie… Sur son compte Instagram (5 800 abonnés, contre 787000 pour sa femme), Arnaud Lagardère rend un jour hommage à l’écrivaine Toni Morrison et un autre jour à ses enfants. « J’assume le mélange des genres. À quoi cela sert-il de se cacher ? Être actif sur les réseaux sociaux, c’est vivre avec son temps. Aux États-Unis, un patron qui poste des photos sur Instagram, cela ne choque personne, c’est même bien vu et trendy. En France, apparemment, c’est plus compliqué… Mais regardez mes posts, je suis beaucoup moins actif que Trump… »
L’été dernier, pourtant, on a cru assister en direct au divorce du PDG. Quand un internaute demande à sa femme si elle est célibataire, elle répond « oui ». Les rumeurs de séparation ont déjà provoqué des accidents de crème solaire quand Jade dément : « Hé non, je ne suis pas célibataire. » « Non, je ne divorce pas ! confirme son mari. Et s’il y avait divorce, cela n’aurait aucun impact sur l’avenir de l’entreprise. Je suis très heureux dans mon couple. C’est vrai que Jade est très jeune, elle a 29 ans… Alors, certains ne comprennent pas. Mais elle me donne une seconde jeunesse. J’ai trois jeunes enfants, en plus de mes deux grands fils. Je suis un homme heureux. Il n’y a rien de scandaleux à cela. Et rassurez-vous, être heureux ne nuit absolument pas à mon travail. Bien au contraire. »
« Twilight », la pépite d’Hachette
Disparaître. C’est le titre du thriller qu’Arnaud Lagardère dévore en ce moment. Régulièrement, on lui envoie des cartons de livres. Alors, quand les Cassandre du groupe ont prédit la fin du livre, il n’y a pas cru. « Dès 2004, il a eu le courage de miser sur l’édition avec le rachat du britannique Hodder Headline », se félicite Arnaud Nourry. Quand le patron d’Hachette reçoit en 2005 un coup de fil de Time Warner, pressé de céder ses livres, il vole aux États-Unis et annonce à son boss : « C’est 500 millions de dollars. » « Il m’a dit oui tout de suite. C’est probablement la plus belle acquisition de Lagardère depuis 2003 », se réjouit Nourry. Il tombe sur une « énorme pépite » : les droits mondiaux de la série
« Non, je ne divorce pas ! Et s’il y avait divorce, cela n’aurait aucun impact sur l’avenir de l’entreprise. »
Twilight. « Il se vendait 17 millions d’exemplaires par tome rien qu’aux États-Unis et on a perçu d’énormes royalties, qui ont fait bondir les résultats d’Hachette de 200 à 300 millions d’euros », jubile Nourry.
« En dépit de l’avènement du numérique, le modèle économique de l’édition n’a pas fondamentalement changé, analyse Arnaud Lagardère. La France a une place particulière à défendre sur le terrain culturel, c’est ce que nous faisons avec Hachette. » Quand Amazon tente de retirer aux éditeurs le pouvoir de fixer le prix des livres, en 2014, « Arnaud Lagardère n’a pas faibli et nous avons sauvé le livre », révèle Nourry. Aujourd’hui, il dirige le troisième éditeur mondial, avec des maisons aussi prestigieuses qu’Hachette, Hatier, Grasset, Fayard, Stock, Larousse, Le Livre de poche, et l’éditeur d’Astérix (Éditions Albert René). Son rêve : racheter le géant de la littérature américaine, Simon & Schuster.
La défaite du sport
Le maillot du premier trophée ATP de son « pote » Richard Gasquet, le kimono de Teddy Riner, un maillot jaune de Lance Armstrong… Le bureau d’Arnaud Lagardère est un musée du sport. Enfant, il skie, joue au tennis et nage après l’école. Il pratique même le marathon après son terrible accident au volant d’une Matra Murena, en 1981. En 2006, il le clame
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haut et fort : Lagardère sera le leader mondial ■ du marketing sportif ! Il achète à prix d’or, 865 millions d’euros, l’agence Sportfive, qui gère les droits télé de clubs et de fédérations de football. «Il fallait croître par acquisitions. Mais, au bout de trois ans, Arnaud s’est lassé. Il faisait même capoter certains rendez-vous. C’est un gâchis colossal dont il est le seul responsable », accuse un ancien. Lagardère perd les contrats de la Fédération française de football et du PSG. Pire, Olivier Guiguet et Stéphane Schindler, évincés du groupe en 2011, raflent à leur ex-employeur la commercialisation des droits de l’Euro 2016… S’ensuit la perte des deux derniers grands contrats, la Coupe d’Asie (AFC) et celle d’Afrique (CAN).
«Ce n’est évidemment pas un succès. Je n’en suis pas très fier et j’assume les erreurs d’exécution. Mais nous n’avons pas eu de chance, la crise financière qui a éclaté en 2008 nous a cloués au sol. Les sponsors et les financeurs du sport ont brutalement réduit leurs dépenses. Ensuite, les fonds souverains sont arrivés et ont mis de gros moyens sur la table », se défend Arnaud Lagardère. Amber pointe la lenteur de la cession de la branche sport, dont Lagardère n’a pour l’heure obtenu que 80 millions. « En nous disant publiquement “vendez vite”, l’activiste complique toutes nos cessions… Forcément, les acheteurs se frottent les mains, attendant qu’on baisse les prix », répond le gérant, qui a englouti plus de 1 milliard d’euros dans le sport.
Les Relay de croissance
Arnaud Lagardère le dit haut et fort: «Quand j’ai repris les rênes du groupe, notre activité de travel retail était balbutiante. Avec Relay, nous étions essentiellement dans la distribution de presse. En seize ans, j’ai fait de Lagardère le numéro 4 mondial de ce secteur. » Aujourd’hui, cette branche pèse 3,6 milliards d’euros, la moitié du chiffre d’affaires de la société. « Nous sommes sur un marché de 100 milliards de dollars. Les consommateurs, des passagers, viennent directement à nous ! » se réjouit Dag Rasmussen, son patron. Sous sa houlette, les vieux Relay des gares ont été dépoussiérés. De Rome à Atlanta en passant par Hongkong et la Chine, où la société a multiplié les acquisitions, ils vendent désormais des jouets, des souvenirs, de l’alimentation… Les Relay complètent le réseau de duty free, de restaurants et d’enseignes d’aéroports gérés par Lagardère. « Entre 2010 et 2018, nous avons doublé nos ventes et quadruplé notre rentabilité », s’enthousiasme Dag Rasmussen. Reste à le faire savoir. Lagardère va organiser une journée investisseurs à la mi-mars. Une minirévolution.
Les déboires d’Europe 1
Enfant, Arnaud rejoint son père les vendredis aprèsmidi à Europe 1, avant de filer en Normandie. La radio est, avec Paris Match et Le Journal du dimanche, son « environnement sacré » de médias. Il a vendu le reste : les magazines et les éditions étrangères de Elle en 2011 ; les 20 % de Canal + France en 2013 ; dix revues, dont Première, en 2014 ; Elle France et Télé 7 jours au Tchèque Daniel Kretinsky, en 2018 ; les chaînes télé, dont Gulli, à M6, en 2019. Il ne lui reste plus que les salles de spectacles (Bataclan, Folies Bergère, Casino de Paris…), valorisées à 50 millions, et Lagardère Studios (Joséphine, ange gardien, C dans l’air…), estimées
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« Le sport n’est évidemment pas un succès. Je n’en suis pas très fier et j’assume les erreurs d’exécution. »