Le procès de Trump pervertit la démocratie
Les démocrates ont détourné la Constitution à des fins partisanes. Mais, à neuf mois de la présidentielle, ils n’ont pas fait bouger les lignes.
De toutes les initiatives qu’une démocratie libérale peut prendre pour se protéger, la plus radicale, et la plus contradictoire, est la destitution d’un président régulièrement élu au suffrage universel. Le Congrès des États-Unis, que la Constitution de 1787 a doté de cette arme suprême, ne devrait l’utiliser qu’avec parcimonie, de la façon la plus consensuelle possible. Lorsqu’au contraire il la place au service d’intérêts partisans, la crédibilité des institutions en est affectée.
Le procès de Donald Trump qui vient de s’ouvrir au Sénat, à la suite de la décision de la Chambre des représentants de le mettre en accusation pour abus de pouvoir et entrave à la marche du Parlement, est vicié. À neuf mois de l’élection présidentielle du 3 novembre, la procédure mêle une dose massive de politique à un examen des faits qui devrait être impartial. Elle a été instrumentalisée par l’opposition démocrate pour tenter d’affaiblir les chances du chef de l’État d’obtenir un nouveau mandat.
Certes, les turpitudes du président ne donnent guère prise au doute. Les démocrates l’accusent d’avoir exercé un chantage sur l’Ukraine pour qu’elle ouvre une enquête à charge contre l’un des prétendants démocrates à la Maison-Blanche, le sénateur Joe Biden. L’ancien conseiller de Trump à la sécurité nationale, John Bolton, vient de confirmer que le président américain avait temporairement bloqué l’octroi d’une aide de près de 400 millions de dollars afin de faire pression sur Kiev.
La tentative de tricherie de Trump est flagrante. L’action est vile et répréhensible, est-elle pour autant criminelle ? Pour le moins, l’affaire se discute. La Constitution américaine précise que le président peut être destitué s’il est convaincu de « trahison, corruption, ou autres crimes et délits majeurs ». En l’espèce, il n’a violé aucune loi fédérale. Et s’il faut commencer à juger tous les présidents qui cherchent à actionner des leviers de politique étrangère pour contribuer à leur réélection, on n’a pas fini.
Qui plus est, le tribunal chargé de juger Trump est le Sénat, composé de politiciens et non de magistrats professionnels. Les 100 sénateurs deviennent, pour l’occasion, à la fois juges et jurés, sous la présidence du chef de la Cour suprême, John Roberts. Dans l’ambiance d’extrême bipolarisation qui caractérise la politique américaine depuis quelques années, un procès contradictoire et dépassionné est impossible dans une enceinte purement politique. La démocratie américaine, après trois années de présidence Trump, n’avait vraiment pas besoin de ça.
Donald Trump est le troisième président des États-Unis à subir le déshonneur d’un procès en destitution, après Andrew
La tentative de tricherie est flagrante. L’action est vile et répréhensible, est-elle pour autant criminelle ?
Johnson, au XIXe siècle, et Bill Clinton, en 1998. Mais il est le premier à avoir été mis en accusation par les élus d’un seul parti – et encore, pas de tous, puisque certains élus démocrates se sont abstenus. Cela ne frappe pas la procédure d’illégitimité, mais ouvre certainement la voie à la contestation. Les démocrates ont échoué à rallier le moindre élu républicain à leur cause. Comme une majorité des deux tiers est requise au Sénat, la procédure n’a aucune chance d’aboutir. Cela ne fait qu’ajouter à la confusion.
La ligne de défense de Trump, qui consiste à nier avoir lié l’aide à l’Ukraine à l’ouverture d’une enquête, est de moins en moins crédible. Mais l’accusation ne l’est pas non plus lorsqu’elle soutient, comme l’a fait le président de la commission des lois de la Chambre des représentants, Jerrold Nadler, que la destitution de celui qui était devenu un « dictateur » s’imposait. De telles outrances ne font que donner du grain à moudre à Trump lorsqu’il se pose en victime d’une prétendue « chasse aux sorcières ».
Des élus de l’aile gauche du Parti démocrate réclament la destitution du président depuis son élection en 2016. Avant même son investiture, leurs voix se faisaient entendre. Lorsque la procédure constitutionnelle devient un moyen de remettre en cause une élection, la perversion de la démocratie est patente.
Le procès de Trump est devenu le défouloir d’élus démocrates qui considèrent le président en exercice comme un être moralement méprisable, qui ne mérite pas d’exercer sa charge. Mais ce théâtre politico-judiciaire n’a, pour l’instant, aucunement modifié les lignes de l’élection présidentielle. Le soutien de Trump parmi les électeurs, à 45 %, n’a même pas frémi. Si les dirigeants démocrates veulent vraiment mettre un terme à son séjour à la Maison-Blanche, il serait temps pour eux de penser à autre chose
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On touche là aux limites de l’apparente conversion des ■
Français au libéralisme, car c’est bien vers l’État qu’ils se tournent massivement pour résoudre non seulement les grands problèmes internationaux, comme le réchauffement climatique, ou de société, comme les tensions communautaires, mais aussi plus directement économiques : 63 % des Français considèrent par exemple qu’il revient à l’État plutôt qu’aux entreprises (37 %) d’apporter des solutions à la question du pouvoir d’achat. Des entreprises privées ultraprofitables d’un côté, un État hyperinterventionniste de l’autre : il est difficile de ne pas voir dans cette double aspiration une dimension légèrement contradictoire, voire un brin schizophrène, le signe en tout cas que les Français, à l’image de leurs dirigeants, restent profondément et douloureusement tiraillés entre libéralisme et étatisme, avec le malaise social et les difficultés économiques qui en résultent
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Bernardo chez son psychanalyste.