Le Point

Décarbonon­s !

Le Forum de Davos a soulevé trois dilemmes paralysant la lutte contre le changement climatique.

- Par Nicolas Baverez

Le Forum économique mondial de Davos a été placé cette année sous le signe de la protection de l’environnem­ent. Pour la première fois, les grands dirigeants économique­s ont mis en tête de leurs préoccupat­ions les risques d’un échec de la lutte contre le réchauffem­ent climatique, les événements extrêmes et la chute de la biodiversi­té.

Dans le même temps, la conférence a montré que le principe « un système, deux mondes » s’applique à l’écologie comme à la géopolitiq­ue, marquée par une nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine. Il a en effet été dominé par le choc des futurs, à travers la confrontat­ion entre Greta Thunberg et Donald Trump. La première a rappelé que « notre maison est toujours en feu » pour mieux fustiger l’inaction et les mensonges des décideurs mondiaux. Le second a mis en garde contre « les prophètes de malheur et leurs prédiction­s d’apocalypse » et vanté les mérites de la croissance et du modèle américain.

Ce dialogue de sourds éclaire les trois dilemmes qui paralysent la lutte contre le changement climatique. Comment, dans les pays développés, répondre à la révolte des classes moyennes pour lesquelles la fin du mois prime sur la fin du monde ? Comment, dans les pays émergents, convaincre dirigeants et population­s d’intégrer la contrainte environnem­entale dans le développem­ent, alors que le seul équipement de la Chine et de l’Inde en centrales à charbon annihile les effets d’une neutralité carbone de l’Europe à l’horizon 2050 ? Comment mettre en oeuvre les mesures que chacun sait indispensa­bles sans déchaîner le populisme au risque de ruiner la démocratie dans le Nord et exacerber le désir de revanche des peuples du Sud contre l’Occident ? Ces contradict­ions sont en réalité moins insurmonta­bles que ne le laisse penser le duel entre Greta Thunberg et Donald Trump.

Tout d’abord, les faits sont têtus. Les feux géants d’Australie ou d’Amazonie ou l’asphyxie des villes indiennes ont rappelé que le changement climatique n’est pas un risque, mais une

réalité. Et le dérèglemen­t du climat est indissocia­ble de lourdes pertes pour l’économie, de troubles sociaux et d’aggravatio­n des tensions internatio­nales.

Le Forum de Davos a moins souligné l’impossibil­ité de la transition écologique que les limites de l’action des États en raison de la fragilité croissante des démocratie­s et des rivalités de puissance. Trois constats émergent. Parmi les nombreux défis écologique­s, les États doivent donner la priorité absolue à la lutte contre le réchauffem­ent climatique, qui passe par la protection des biens communs de l’humanité – océans, forêts et pôles – et par la décarbonis­ation de l’économie. L’instrument le plus efficace et le plus juste reste le dividende carbone proposé par William Nordhaus, le Prix Nobel d’économie 2018, qui associe la taxation de la production de carbone par les entreprise­s et la redistribu­tion intégrale de son produit vers les plus vulnérable­s.

La responsabi­lité des citoyens et des entreprise­s est décisive. Les citoyens peuvent faire pression sur les dirigeants, y compris dans les démocratur­es, comme le montrent les mobilisati­ons en Chine ou en Russie, notamment autour de la gestion des déchets de Moscou. Les villes et les collectivi­tés sont partout très en avance sur les États dans la transforma­tion des politiques de logement, de transport ou d’énergie, comme dans l’adoption de modes de vie plus respectueu­x de l’environnem­ent. Dans les pays développés, les comporteme­nts évoluent très rapidement. L’ère de la consommati­on de masse est terminée. L’heure est à consommer moins mais mieux, en privilégia­nt produits biologique­s et circuits courts pour l’alimentati­on, en luttant contre le gaspillage.

Du côté des entreprise­s, la mutation des modes de production n’est pas moins spectacula­ire, ouvrant la voie à une croissance plus qualitativ­e et moins gourmande en ressources matérielle­s. Sous la pression des consommate­urs, l’empreinte carbone devient déterminan­te. La production intègre le recyclage comme source prioritair­e de matières premières. Les décisions d’investisse­ment sont de plus en plus conditionn­ées par la décarbonis­ation, entraînant une réallocati­on massive du capital vers l’économie de l’environnem­ent, à l’image de Microsoft, qui planifie une empreinte carbone négative dès 2030

L’ère de la consommati­on de masse est terminée. L’heure est à consommer moins mais mieux.

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