Environnement Toujours le grand flou
« Dans les grands partis, ils sont tous à la rue. EELV compris ! » Membre du Haut Conseil pour le climat mis en place par Emmanuel Macron pour évaluer sa politique, Jean-Marc Jancovici est un homme en colère. Comme la majorité des scientifiques, il regarde avec inquiétude la courbe des émissions de gaz à effet de serre grimper au niveau mondial, et n’amorcer en France qu’une baisse timide, bien en deçà des objectifs imposés par l’urgence : pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 et limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, nous devrions diviser par six ou par sept le niveau de nos émissions. Pourtant, le gouvernement vient de revoir à la baisse ses objectifs : l’essentiel des efforts est désormais reporté à la période 2024-2028. Quand nos voisins européens, dont l’électricité est encore largement carbonée, obtiennent des résultats rapides en remplaçant leurs centrales à charbon par des énergies renouvelables ou des centrales au gaz, la France, dont l’électricité (grâce au nucléaire) est à 93 % bas carbone et dont les émissions par habitant sont inférieures à la moyenne européenne, rechigne à actionner d’autres leviers. Dans le bâtiment, qui représente 19 % de nos émissions totales, certains experts plaident, en coulisse, pour des mesures coercitives, comme l’interdiction à la location des logements mal isolés tout en avançant aux propriétaires concernés 100 % du montant des travaux. Mais le coût serait considérable… Dans le domaine des transports, de loin le plus émetteur (31 % des émissions), de nombreuses voix s’agacent de l’inefficacité d’une fiscalité indexée sur les émissions des véhicules. « Tous les gains réalisés sont annulés par la croissance de la part de marché des SUV », alerte Jérémie Almosni, chef du service transport et mobilité à l’Ademe. « Un rapport d’émissions, ça se trafique. Mais on ne peut pas trafiquer une balance », souligne Nicolas Meilhan, auteur d’un rapport de France Stratégie qui préconise d’imposer un malus en fonction du poids du véhicule, y compris s’il est électrique, couplé à un bonus pour l’achat de véhicules légers, sobres en énergie. Autre condition : produire ces voitures en France, où l’électricité qui alimente les usines n’émet ni CO2 ni particules… Mais les résistances restent vives, en Europe, contre une taxe carbone aux frontières. « Le gouvernement n’a toujours pas tranché entre son souhait clientéliste de réduire la part de nucléaire, pour flatter EELV, et l’impératif scientifique de faire baisser les émissions de CO2 », regrette Jean-Marc Jancovici. Les totems qui occupent le débat public, comme la sortie du glyphosate ou l’interdiction en 2040 des emballages en plastique, n’auront quasi aucun effet sur le climat… Mais ils détournent d’autres sujets : comment repenser nos filières d’approvisionnement, nos mobilités ? À quelle action donner la priorité, en fonction des objectifs poursuivis ? Faute de les avoir clairement définis, aucun parti n’a encore la réponse
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sés ; la gauche non plus car cela revient à s’attaquer aux mutuelles », déplore François Ecalle. Plus classiquement, il reste beaucoup de marge pour augmenter le recours aux médicaments génériques, augmenter encore le recours à l’ambulatoire sans nuit passée à l’hôpital. Mais l’expérience montre que couper dans les dépenses est plus facile à dire qu’à faire. Quand on interroge les politiques sur ce qu’il convient de sabrer, la réponse est rarement précise, surtout depuis les Gilets jaunes. Car derrière chaque euro d’argent public, il y a un bénéficiaire qui n’entend pas renoncer à sa perfusion.
Communautarisme
Pour en finir avec les accommodements
S’il est un point où le débat politique reste passionné, c’est bien celui portant sur le communautarisme. Le président a, semble-t-il, longuement hésité avant de se décider à employer le terme de « communautarisme », qui renvoie bien souvent à son acception anglo-saxonne du modèle multiculturaliste, « qui n’est pas le modèle auquel je crois, quand bien même on a voulu parfois me caricaturer derrière celui-ci », s’est défendu Macron dans
certains militants décoloniaux- indigénistes, le ■ communautarisme ne saurait être considéré par elle comme un problème prioritaire.
À droite, même s’il existe quelques élus locaux qui tiennent des discours contraires à leurs actes, le sujet semble beaucoup plus consensuel. Parmi les différentes initiatives, celle de Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, qui a déposé en novembre 2019 une proposition de loi visant à interdire les listes communautaristes aux municipales. Le Sénat a par ailleurs constitué, à l’initiative du groupe LR, une commission d’enquête sur le développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, conduite par la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio (rapporteure).
Dans les collectivités locales dirigées par la droite, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, a fait porter à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à écarter les candidats fichés pour radicalisation des listes aux municipales. L’élue, qui a déploré la mise au placard du plan Borloo, a encouragé la recherche universitaire à lui livrer un inventaire clair et précis de l’activisme politico-religieux en Île-de-France. Ce fut l’un des objets de la recherche dirigée par Bernard Rougier, professeur à Paris, qui a publié début janvier Les Territoires conquis de l’islamisme (PUF), fruit d’un travail cofinancé par la Région. Cet ouvrage alerte sur la crédulité de certains élus face à des militants d’un islam politique, minoritaire, mais très actif. Pour le chercheur, il s’agit là de l’un des noeuds du problème : « Certains candidats jouent le court terme électoral contre le long terme républicain et s’appuient imprudemment sur les notables religieux locaux. Mais des “amitiés intéressées” ne peuvent suffire pour savoir ce qui se passe dans les mosquées et dans les quartiers de leur commune. Les élus doivent savoir ce qui se passe chez eux par leurs propres canaux s’ils veulent maîtriser la situation», explique Bernard Rougier. Son ouvrage aurait pu s’intituler « Choses à ne pas faire lorsque l’on est élu »… « C’est en traitant leurs électeurs comme des croyants, et non comme des citoyens, que certains candidats construisent un vote musulman», remarque l’auteur, pour qui il ne peut y avoir de lutte efficace contre le communautarisme sans une connaissance fine du tissu local. Mais la seule connaissance ne suffit pas, il faut aussi accompagner et former les élus « afin de leur permettre de faire la différence entre une demande légitime et un agenda islamiste, leur permettre de distinguer les croyants sincères des activistes politiques ». Accepter des accommodements religieux au titre de la discrimination positive, « c’est la négation même de l’État républicain », car l’État doit considérer l’autre dans son universalité et non comme le membre d’une tribu…
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« C’est en traitant leurs électeurs comme des croyants que des candidats construisent un vote musulman. » B. Rougier