La « stratégie du bas vers le haut »
Dans son discours, Marine Le Pen a insisté sur le concept de « localisme municipal ». Pour un parti qui, depuis trois décennies, considérait que le pouvoir se prend par le haut et qui portait un assez profond mépris aux échelons locaux considéréscommesubalternesetpériphériques, il y a là une inflexion majeure. Jean-Marie Le Pen a toujours privilégié les grandes élections nationales (présidentielles de 1988, 1995, 2002, 2007 ; législatives de 1993, 1997) et souvent c’est lors de celles-ci qu’il a réalisé ses meilleurs scores. D’autre part, il soupçonnait les élections locales de produire des baronnies locales qui auraient peu à peu été des concurrences à l’exercice de son autorité. Dans un premier temps, la fille perpétua la stratégie du père, jusqu’aux élections locales de 2014 et 2015. Ses nouveaux « succès » locaux annonçaient son niveau élevé à la présidentielle de 2017 et sa capacité à figurer au second tour. En dépit de la forte dynamique électorale (21,3% au premier tour, 33,9% au second), Marine Le Pen était loin de la barre des 50%. Il s’agit cette fois de construire les conditions d’une «victoire si méritée parce que si complexe à aller chercher ». Pour cela, la présidente du RN décline les grands classiques de son parti : « l’amour de la France », « l’unité nationale », la dénonciation des « vieilles féodalités qui ossifient la politique », « l’arrogante fatuité des prétendues élites », la mondialisation responsable de « la destruction de nos emplois et [de] l’immigration massive », l’insécurité croissante et, bien sûr, la réforme des retraites. Mais, ce qui est nouveau, c’est la substitution d’un mouvement d’en bas au mouvement d’en haut pour prendre le pouvoir. Calendrier électoral oblige : les trois élections à venir avant l’échéance présidentielle sont trois élections locales (municipales, départementales « La mondialisation tend à urbaniser le monde (…) au sein de conglomérats sans âmes. » et régionales). Et Marine Le Pen de bien préciser à ses troupes que « le combat municipal n’est pas une corvée » ! Mais audelà de ces contingences, la candidate éprouve le besoin de préciser qu’une « victoire, ça ne se décrète pas, ça se construit ». Cette construction va du bas vers le haut, du local au national et non l’inverse. L’ardeur de la néophyte de ce type de construction est à nulle autre pareille et le local est paré de toutes les vertus: «Il n’est pas de meilleure école que les municipales. »
Pourquoi cette vertu prêtée au local? Parce que celui-ci permet l’« émergence d’une nouvelle élite », le « respect des particularismes locaux », l’« enracinement », la « proximité », le « mutualisme », l’« économie du partage »… Le localisme lepéniste prend presque des allures de « socialisme municipal », ce courant qui, à l’articulation du XIXe et du XXe siècle, offrit à un courant socialiste qui faisait peur une vitrine présentable. Plus prosaïquement résonne à nos oreilles la stratégie de la droite aux municipales de 1983 qui prétendait « reconquérir la France ville par ville ».
Pour que cette stratégie localiste rencontre un écho, il lui faut des adversaires à combattre et des citadelles à prendre. Les adversaires, au-delà de la litanie habituelle des ennemis du mouvement lepéniste (mondialistes, élites, cosmopolites, eurocrates, immigrés…), sont nombreux : la « métropolisation », les « villesmondes », le « désordre urbain », la « fracture territoriale », les « urbanistes progressistes »… Le poète belge anarchiste Émile Verhaeren est mobilisé pour dénoncer les « villes tentaculaires » et les « plaines mornes et lasses » qu’on ne défend plus… Il reste à savoir si ce lepénisme localiste emportera, dans un monde d’appartenances territoriales en pleine recomposition, davantage la conviction des Français en 2022
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