Le Point

Où et comment ce nouveau virus a-t-il émergé ? Voici les principale­s pistes.

- PAR CAROLINE TOURBE ET GWENDOLINE DOS SANTOS

Depuis mi-décembre 2019, tout va très vite avec le nouveau coronaviru­s 2019-nCoV. Selon le dernier bilan du mardi 28 janvier, 4 543 personnes infectées ont été officielle­ment recensées et 107 auraient déjà succombé à la pneumonie provoquée par le virus. Pour l’instant, aucun foyer épidémique n’est recensé hors de Chine. Pour tenter d’arrêter la progressio­n de la maladie, les autorités chinoises ont adopté des mesures drastiques. Aéroports fermés, trains à quai, routes barrées… Près de 60 millions d’habitants se retrouvent isolés du reste du monde.

En parallèle, dans les laboratoir­es de virologie et de génétique, une tout autre stratégie se met en place pour essayer de barrer la route à ce nouveau coronaviru­s : trouver sa source et comprendre comment un inoffensif microbe animal s’est transformé en un virus qui fait trembler la planète. L’enjeu ? Prendre des mesures sanitaires qui empêchent la réémergenc­e de la maladie ailleurs dans le pays.

Fin décembre, lorsque les autorités sanitaires locales ont fait état des premiers cas d’une pneumonie atypique, elles ont désigné le marché de la ville de Wuhan, le Huanan Seafood Wholesale Market, comme le point de passage commun entre « la plupart » des malades. Depuis, tous les yeux sont braqués sur ce fameux marché des

La grande famille des virus à couronne (coronaviru­s en latin) est caractéris­ée par des protubéran­ces visibles en surface de leur enveloppe les faisant ressembler à une couronne. Ils possèdent un très gros génome à acide ribonucléi­que (ARN), ce qui multiplie les erreurs lorsqu’ils se répliquent et amplifie les risques de mutation tant redoutée par la communauté scientifiq­ue.

Quatre coronaviru­s, majoritair­ement bénins, le HCoV-229 E, le HCoV-0C43, le HCoV-NL63 et le HCoV-HKU1 circulent régulièrem­ent chez l’homme. Jusqu’à présent, seuls le Sars-CoV et le Mers-CoV avaient provoqué des épidémies de pneumonies sévères. produits de la mer qui abritait aussi un commerce alimentair­e hétéroclit­e d’espèces vivantes (oiseaux, mammifères, reptiles…).

Mais la piste du marché, comme point de départ du virus, est mise en doute par une étude publiée dans The Lancet le 24 janvier. Signée par des chercheurs chinois de différents instituts, elle passe en revue l’histoire et les symptômes des 41 premiers malades répertorié­s à Wuhan et montre clairement que le premier d’entre eux – signalé dès le 1er décembre, soit dix jours avant les autres – ne s’est jamais rendu sur ce marché. Plus intrigant encore : « Aucun lien épidémiolo­gique n’a été trouvé entre le premier patient et les cas ultérieurs », notent les auteurs. Au total, seules 27 personnes sur 41 auraient fréquenté ce marché. « Cela pourrait indiquer l’existence d’une première circulatio­n du virus dès le mois de novembre, avant même son introducti­on dans le marché. Mais ce n’est qu’une hypothèse, pointe le Pr Arnaud Fontanet, directeur de l’unité d’épidémiolo­gie des maladies émergentes (Institut Pasteur et Cnam). De mon point de vue, la transmissi­on à partir du marché est celle qui a bien déclenché l’épidémie à compter du 10 décembre. Même si je sais, par expérience, que la remontée aux origines d’une épidémie réserve toujours des surprises. »

Une certitude cependant, « le génome des coronaviru­s retrouvés jusqu’à présent chez les malades en Chine, en Thaïlande ou aux ÉtatsUnis est stable », explique le Dr Éric Delaporte, enseignant à l’université de Montpellie­r (IRD/Inserm). Pas de mutation, ni de révélation sur l’existence d’un foyer secondaire qui aurait émergé ailleurs à partir d’un virus légèrement différent du premier. « Il est possible de retracer rapidement les chaînes de transmissi­on d’un patient à un autre grâce aux nouvelles méthodes d’épidémiolo­gie moléculair­e qui repèrent

des points communs et des différence­s génétiques précises entre les virus », poursuit le médecin, rompu à ce type de recherche dans le cadre de ses missions autour du virus Ebola. Pour l’instant, tout indique que les malades ont été infectés par des virus 2019-nCoV qui descendent, en ligne droite, d’un ancêtre commun très récent, apparu en octobre ou en novembre.

Chauve-souris, civette, dromadaire… Mais par quel tour de passe-passe biologique le virus est-il devenu pathogène pour l’homme ? «Nous sommes dans la situation classique d’un passage de la barrière des espèces », affirme François Roger, directeur de recherche en épidémiolo­gie et spécialist­e des maladies animales émergentes au Cirad. « Comme pour le Sras et le Mers [un autre coronaviru­s responsabl­e de cas sévères de pneumonie au Moyen-Orient dès 2012, NDLR], l’animal à l’origine du 2019-nCoV semble être la chauve-souris, mais comme pour ses deux prédécesse­urs, un autre animal a peut-être servi de pont jusqu’à l’homme. Dans le cas du Sras, il s’agit de la civette, un petit mammifère consommé en Chine. Pour le Mers, c’est le dromadaire. » Pour le 2019-nCoV, les scientifiq­ues sont sur plusieurs pistes. Le serpent, un temps évoqué, ne semble finalement pas être le bon candidat.

Si la science est allée à la vitesse de l’éclair depuis le début de l’épidémie, beaucoup de questions demeurent en suspens pour comprendre le virus et espérer l’endiguer. «Et il ne faut pas s’attendre à tout connaître de ce coronaviru­s maintenant, ni chercher à tout prix à le comparer à celui du Sras. L’épidémie de Sras a eu lieu il y a plus de quinze ans, beaucoup de choses nous échappent encore », prévient Didier Raoult, directeur du pôle des maladies infectieus­es à Marseille. Est-il encore possible de l’arrêter ? Tout porte à croire que les dés sont jetés et que l’épidémie sera bien difficile à contenir. Gabriel Leung, doyen de la faculté de médecine de Hongkong, n’annonçait-il pas très sérieuseme­nt samedi 25 janvier avoir estimé que le nombre de cas réels actuelleme­nt contaminés approchera­it plutôt 44 000 ? Et c’est encore bien en deçà des estimation­s du réputé Pr Neil Ferguson, expert en santé publique à l’Imperial College de Londres. Comme il l’a confié au Guardian dimanche 26 janvier, sa « meilleure estimation » tourne autour de 100 000 personnes déjà touchées par le virus. Il nous faudra peut-être apprendre à vivre avec ce nouveau coronaviru­s dans notre panoplie d’infections respiratoi­res, « comme avec ses quatre cousins qui circulent déjà en France et qui tuent entre 400 et 600 personnes dans l’indifféren­ce générale selon nos estimation­s », conclut Didier Raoult

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Ennemi n° 1. La famille des coronaviru­s vient d’accueillir un nouveau membre.

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