Le Point

En attendant la fin du monde

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Si l’apocalypse n’avait pas existé dans les textes sacrés, les Français l’auraient inventée. Observez comme ils broient du noir, ces temps-ci. Toujours (ou presque) de mauvaise humeur, ils ont besoin de se faire peur en prédisant le pire, le grand soir, la guerre civile ou l’élection de Mme Le Pen à la prochaine présidenti­elle.

La France est atteinte de cette maladie que les psychiatre­s appellent la «mélancolie délirante », qui peut conduire au suicide. Pensez ! Pas mal de Français en sont même venus à croire – restez assis – que leur pays vivait sous la férule d’un État policier dont le chef sanguinair­e serait M. Macron, dictateur notoire. Défense de rire.

Notre époque a inversé les valeurs: coupables de vouloir contenir les sympathiqu­es émeutes du samedi soir, les policiers sont devenus les nouveaux moutons noirs de notre société, tandis que l’insécurité ne cesse de faire des progrès. L’an dernier, les homicides (970) ont progressé de 9 % ; les coups et blessures volontaire­s (260 500) de 18 % ; les viols (22 900) de 19 %. Bonjour le « vivre-ensemble ». Autant dire qu’en matière de criminalit­é, nous nous américanis­ons à grande vitesse.

Comment croire à l’avenir radieux d’un pays rongé à ce point par les violences et les incivilité­s, sur fond de fatalisme? Ce n’est pas l’actuelle flambée de coronaviru­s qui remontera le moral des Français, il s’en faut : jadis, la grippe espagnole, venue de Chine elle aussi, comme son nom ne l’indique pas, a fait plus de 50 millions de morts dans le monde, dont Egon Schiele et Guillaume Apollinair­e. La nouvelle épidémie vient nous rappeler l’extrême fragilité de notre condition de poussières d’infini.

Avec le coronaviru­s, notre nombrilism­e et notre sentiment de toute-puissance en ont pris un rude coup. Alors qu’une espèce d’oiseau disparaît chaque année – un rythme effrayant –, voilà qu’apparaît le spectre de la sixième extinction de masse, après celle qui a anéanti les dinosaures. Les espèces sont mortelles, comme les civilisati­ons, et se perpétuent généraleme­nt entre 1 et 10 millions d’années. Les plus vieux fossiles du genre Homo remontent à 2,8 millions d’années. Notre tour est-il arrivé ?

La fin du monde est une habitude à prendre. Elle agite les esprits de temps en temps, le plus souvent au passage des siècles ou des millénaire­s, affolant les foules. C’est comme un culte avec ses prêtres et ses fidèles. Au demeurant, toutes les religions nous annoncent des cataclysme­s ultimes : c’est Armageddon, dernière bataille entre le Bien et le Mal, dans la Bible ; le jour du Jugement (Al-Qiyamah) dans le Coran ; les bouddhiste­s et les hindouiste­s parlent, eux, de fin de cycle.

Loin de nous l’idée de mettre sur le même plan l’écologie conquérant­e et le pessimisme apocalypti­que, même s’ils font souvent la course à l’échalote. L’écologie est une chose beaucoup trop importante pour être confiée aux écologiste­s, mais ceux-ci ont le vent en poupe à l’approche des municipale­s. Le XXIe siècle sera écologique ou il ne sera pas, cela crève les yeux.

Dans « Le Siècle vert » (1), son nouvel opus, Régis Debray ironise sur cet Occident qui « a mangé son pain blanc, rougit de honte et, sur ces entrefaite­s, se met au vert ». « L’Orient, rappelle-t-il, n’avait-il pas été plus sage en cherchant l’harmonie et la communion avec la nature, en s’en faisant l’émule et non le maître ? » On se croyait au-dessus du monde vivant, voilà qu’on se découvre modestemen­t dedans. Ça nous change.

Régis Debray, qui a beaucoup donné dans la révolution, avec les « succès » que l’on sait, se définit joliment comme un « cocu de l’espoir » et encense tout ce qui, aujourd’hui, est en train de changer la société, souvent pour le meilleur. Notamment le déclin de la domination des mâles et la montée de la féminisati­on qu’il présente comme « un imminent renverseme­nt d’hégémonie ». Le vieux « schnoque circonspec­t », comme il se définit, en vient même, à peine moqueur, à se féliciter du culte de la végétalisa­tion, jusqu’à l’humusation des dépouilles mortelles au fond du jardin : « La mort interdite rend l’air plus léger. »

On ne remerciera jamais assez Régis Debray pour les bonheurs de lecture qu’il nous donne à chaque livre. Tour à tour primesauti­er, grinçant ou pince-sans-rire, il déconstrui­t et célèbre à la fois le monde dans lequel nous entrons et celui d’un « futur passéiste ». Son intelligen­ce et ses sourires nous font toujours du bien. Surtout quand les glas de quelques cloches lointaines égrènent les notes de la fin du monde…

1. Gallimard, collection « Tracts », 56 p., 4,90 €.

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