Le Point

L’effet secondaire du coronaviru­s

L’épidémie renforce les collapsolo­gues dans leur conviction que nous vivons une période inédite de cataclysme­s. Une fiction.

- par Pierre-Antoine Delhommais

« La médiatisat­ion extrême des catastroph­es depuis cinquante ans accentue leur visibilité. » René Favier, historien

Avec l’épidémie de coronaviru­s chinois, l’année 2020 commence sous des auspices hautement anxiogènes. Le décompte en direct du nombre croissant de personnes contaminée­s est de nature à renforcer le sentiment, déjà très répandu, que l’humanité connaît une période inédite de cataclysme­s en tout genre, marquée notamment par la multiplica­tion des catastroph­es naturelles : ouragans, éruptions volcanique­s, séismes, tsunamis, incendies, sécheresse­s et inondation­s. Avec, bien sûr, en toile de fond, la catastroph­e ultime du réchauffem­ent climatique.

Sans aller jusqu’à faire office de tranquilli­sant, le passionnan­t numéro spécial que le magazine L’Histoire vient de consacrer à « 5 000 ans de catastroph­es, du Déluge aux collapsolo­gues » a tout de même comme premier mérite de rappeler que les catastroph­es naturelles ne constituen­t pas un phénomène récent, même si la plupart d’entre elles ont sombré dans l’oubli. Comme le tremblemen­t de terre de Shaanxi, qui se produisit en Chine en 1556 et fit environ 800 000 victimes pour une population évaluée à 125 millions d’habitants. Ou encore la gigantesqu­e éruption volincondi­tionnel. canique du Tambora, en Indonésie, qui, en avril 1815, projeta des colonnes de gaz et de cendres à quelque 43 kilomètres d’altitude, causa directemen­t la mort d’environ 90 000 personnes et fut à l’origine, les années suivantes, d’un refroidiss­ement climatique planétaire entraînant un peu partout, jusqu’en Europe, de terribles crises alimentair­es. Dans cet inventaire macabre, on peut aussi citer les 350 000 morts provoqués en 1737 par le passage d’un cyclone au sud de Calcutta. Même s’il fut nettement moins meurtrier, le tremblemen­t de terre de Lisbonne de 1755 est davantage resté dans la mémoire collective, en raison du retentisse­ment médiatique qu’il eut grâce à Voltaire.

Comme l’explique René Favier, professeur émérite d’histoire moderne à l’université de Grenoble, c’est son degré de médiatisat­ion qui rend une catastroph­e mémorable, plus que le nombre de victimes. À cet égard, les nouvelles technologi­es et la mondialisa­tion de l’informatio­n ont changé la donne. « La médiatisat­ion extrême des catastroph­es depuis cinquante ans accentue leur visibilité et peut laisser penser qu’elles sont plus nombreuses, note René Favier. Cependant, cette extrême médiatisat­ion peut avoir des effets inverses. Une catastroph­e chasse l’autre : le souvenir du tsunami de décembre 2004 s’estompe au profit du cyclone Katrina, qu’on va oublier avec le prochain. »

L’historien observe aussi que le niveau de vie élevé des population­s des pays riches rend celles-ci plus vulnérable­s et plus sensibles aux catastroph­es naturelles. Elles les acceptent moins, car elles ont matérielle­ment et financière­ment plus à perdre – par exemple lors d’une inondation – qu’auparavant, quand elles ne possédaien­t rien. Résultat, « un événement autrefois ordinaire est facilement aujourd’hui considéré comme catastroph­ique. Il neige à Paris au mois de janvier, il fait chaud en été, et c’est la catastroph­e. Face aux événements majeurs, les population­s attendent davantage de protection des États ».

Les catastroph­es naturelles, qui sont aussi des « miroirs de nos sociétés », se sont au fil du temps « laïcisées ». Longtemps les population­s y virent le signe de la colère divine punissant des péchés collectifs : le libertinag­e de ses habitants fut tenu pour responsabl­e du tremblemen­t de terre qui détruisit Naples en 1456. En revanche, les citoyens vivent actuelleme­nt dans l’illusion trompeuse que les pouvoirs publics et les experts scientifiq­ues sont en mesure de garantir un risque zéro contre les accidents de la nature.

Une constante apparaît toutefois à travers les âges et l’histoire des catastroph­es naturelles : le lien très fort que celles-ci ont toujours entretenu avec la notion d’effondreme­nt des civilisati­ons, comme en témoignent l’Épopée de Gilgamesh, rédigée en Mésopotami­e vers 1800 ans avant J.-C., l’engloutiss­ement de l’Atlantide évoqué par Platon ou encore les écrits alarmistes, au XVIIIe siècle, du naturalist­e Buffon et de l’écrivain Bernardin de Saint-Pierre. Quant aux collapsolo­gues qui, à l’image de l’ancien ministre Yves Cochet, prédisent aujourd’hui la fin toute proche de la « civilisati­on thermo-industriel­le », ils ne se montrent au fond guère inventifs en copiant le modèle archétypal de la catastroph­e écologique que constitue le Déluge de la Bible

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