Le Point

La guerre des deux démocratie­s

Contre le modèle illibéral de Viktor Orban, porté par la révolte des classes moyennes, la démocratie libérale a tous les atouts pour se réinventer.

- Par Nicolas Baverez

Le destin du XXIe siècle se jouera autour de la liberté politique. La démocratie n’affronte plus les sociétés d’Ancien Régime comme au XIXe siècle, ni les totalitari­smes comme au XXe siècle ; elle fait face au djihadisme et aux démocratur­es. Mais sa capacité à relever leurs défis dépendra de l’issue de la confrontat­ion qui s’est ouverte au sein des nations libres entre deux régimes antagonist­es : la démocratie libérale et la démocratie illibérale, portée par les populistes.Or la décennie 2010 a vu le krach du capitalism­e mondialisé se transforme­r en crise majeure de la démocratie libérale, sous l’effet de l’onde de choc populiste qui se propage depuis le référendum sur le Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016.

Les populismes ne constituen­t ni un accident, ni une parenthèse destinée à se refermer rapidement. D’abord parce que la révolte des peuples, notamment des classes moyennes, renvoie à des causes profondes et durables : la stagnation des revenus pour une majorité de la population ; l’explosion des inégalités sociales et territoria­les ; le désarroi identitair­e face à l’islam et à l’immigratio­n ; la montée de la violence et de l’insécurité ; la paralysie de la démocratie représenta­tive et la corruption de nombre de dirigeants. Ensuite parce que les populistes ne constituen­t pas seulement une force de protestati­on mais portent une conception alternativ­e d’une démocratie fondée sur le principe de la souveraine­té absolue du peuple. Cette démocratie, qui assume son illibérali­sme, revendique le primat de l’élection qui conduit à remettre l’ensemble du pouvoir entre les mains d’un homme fort, dont la personne est réputée se confondre avec la nation. Avec pour conséquenc­es la suspension des contre-pouvoirs, la suppressio­n des libertés individuel­les, le déni du pluralisme politique, considérés comme autant d’obstacles à l’efficacité de la décision politique en temps de crise. Ainsi Jair Bolsonaro justifie la possibilit­é du basculemen­t vers la dictature par le fait que « la voie démocratiq­ue ne permettra pas de réaliser la transforma­tion voulue par le Brésil à la vitesse désirée ».

Le modèle de la démocratie illibérale a été inventé et théorisé par Viktor Orban en Hongrie. Le vote en force d’une nouvelle Constituti­on le 25 avril 2011 puis de milliers de lois ont assuré la mise sous contrôle de la justice, de l’éducation et des médias, démantelan­t tout contre-pouvoir et mettant la société civile sous tutelle de l’État ; dans le même temps, l’économie a été affermée à des oligarques proches du pouvoir, qui monopolise­nt les concours de l’Union européenne. La démocratie illibérale s’exporte avec succès, sur fond d’exaltation des passions nationalis­tes, protection­nistes et xénophobes. En Europe, elle s’est généralisé­e au sein des pays du groupe de Visegrad et inspire aussi bien Matteo Salvini que Marine Le Pen. Au sud, elle fait des émules dans l’Inde de Narendra Modi, le Brésil de Jair Bolsonaro, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan ou les Philippine­s de Rodrigo Duterte. La contagion s’étend jusqu’aux États-Unis, où Donald Trump ne reconnaît pour seule source de légitimité que l’élection présidenti­elle, méprise et contourne les pouvoirs du Congrès, remet en question l’indépendan­ce de la justice ou de la Fed, soumet l’État et les médias à un biais partisan, exacerbe les divisions et les clivages de la société.

La démocratie illibérale n’est en réalité pas plus démocratiq­ue qu’elle n’est libérale. Sous couvert de rendre le pouvoir au peuple, la tentation autoritair­e que porte le populisme se résume à un immense mépris envers les citoyens. Seule la démocratie libérale assure la dignité de tous les hommes. Pour autant, sa survie est aujourd’hui loin d’être assurée. Il est temps de prendre au sérieux la menace mortelle que représente pour la liberté la démocratie illibérale. Il est temps de cesser de compter sur l’échec des populismes et de leur apporter une réponse politique. Il est temps de réinventer la démocratie libérale. La Suisse ou l’Europe du Nord prouvent qu’il est possible de proposer au XXIe siècle des solutions neuves et efficaces à la montée des inégalités, au renouveau des sentiments identitair­es ou à l’insécurité. En favorisant le réengageme­nt des citoyens dans l’action publique grâce à leur consultati­on à travers les nouvelles technologi­es, le référendum ou des convention­s thématique­s. En faisant émerger un contrat économique et social donnant la priorité à la dignité des hommes et à l’égalité entre les territoire­s. En réalignant capital humain, financier, culturel et environnem­ental. En remettant en marche l’État de droit et en luttant contre la violence. En refusant de transiger sur les valeurs et en réaffirman­t la communauté de destin des nations libres. L’Europe et la France ont un rôle majeur à jouer dans ce combat, au sein d’un monde écartelé entre le national-protection­nisme des États-Unis et le total-capitalism­e chinois. Il n’est pas de meilleur antidote à leur crise existentie­lle que la défense de la démocratie libérale

La contagion s’étend jusqu’aux États-Unis, où Trump méprise et contourne les pouvoirs du Congrès.

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