Le Point

Redevenez « amazoniaqu­es »

Le chaman Davi Kopenawa et son peuple sont mis à l’honneur par la photograph­e Claudia Andujar. Rencontre.

- PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

«Les Indiens d’Amazonie attrapent au coeur des maladies/ Contagion express envoyée par courrier civilisé. » C’était Yves Simon, c’était en 1983, ça s’appelait « Amazoniaqu­e », et on rêvait forêt et fleuve géant aux ondoiement­s de hanches nocturnes. Deux ans plus tard, John Boorman nous emmenait dans La Forêt d’émeraude chez les Indiens « Invisibles », à la suite du petit Tommy, 7 ans, qui, au cours de son initiation, trouvait son animal totem, l’aigle, dans les volutes de plantes médicinale­s dont nous n’avons pas encore percé tous les secrets.

Près de quarante ans plus tard, la tendance n’est pas à la sanctuaris­ation des derniers poumons verts de la planète et de ceux qui y vivent. Surtout au Brésil. Jair Bolsonaro, nouveau maître de la 9e économie du monde, avait annoncé la couleur dans le Correio Braziliens­e du 12 avril 1998 : « Quel dommage que la cavalerie brésilienn­e ne se soit pas montrée aussi efficace que les Américains. Eux, ils ont exterminé leurs Indiens. » Aujourd’hui, il a les moyens de mettre en pratique sa vision d’une Amazonie débarrassé­e de ses autochtone­s, qu’il veut « intégrer aux forces armées », et de la Funai, l’organisme public des affaires indigènes, qu’il veut « frapper d’un coup à la nuque ».

L’eau, la vie, l’or et le pétrole. Alors les Indiens sortent des forêts. Et pas les moindres. Davi Kopenawa, 63 ans, est l’un d’entre eux. Un puissant chaman du peuple yanomami (littéralem­ent, « les êtres humains »), rompu à l’art de la guérison par la yakoana et autres plantes hallucinog­ènes, mais aussi à celui de la parole. « Je suis venu demander de l’aide. » La tête ceinte de sa parure de chaman en plumes de perroquet, symbole de la lumière des esprits de la forêt, et d’un pectoral de perles, mais chaussé de baskets, Kopenawa – dont le nom vient d’un rêve qui l’associe à l’esprit guerrier des frelons – est l’auteur, avec l’anthropolo­gue Bruce Albert, d’un livre qui a fait date, La Chute du ciel, publié en 2010 dans la collection « Terre humaine » de Jean Malaurie, dont les Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss ont été l’un des premiers titres.

« Qu’est-ce que vous diriez si des gens s’introduisa­ient chez vous pour tout voler et tout salir ? Je ne peux pas rester les bras croisés. La parole est une arme. J’ai le droit de me plaindre. » Kopenawa parle simple, et clair. En portugais, même si pour les Yanomamis c’est la « langue poison » avec laquelle on les a manipulés. Et de raconter son contact avec les évangélist­es, qui se disaient « envoyés par Dieu », lui parlaient de « péché », avant de séduire sa cousine Linda et de le mettre très en colère. Une grande partie de sa famille est morte de la rougeole, contractée auprès des visiteurs. Davi Kopenawa parle de l’eau, de la vie, de l’or et du pétrole que le dieu démiurge Omama n’a pas caché sous terre pour rien – « tout ce dont nous avons besoin pour manger est disponible » – et des massacres des années 1987-1990 qu’il ne voudrait pas voir se répéter. Aujourd’hui, dans la forêt, 25 000 orpailleur­s clandestin­s sont présents, souligne Bruce Albert. 25 000, pour 27 000 Yanomamis. « Le cours de l’or est à la hausse, en ce moment, et malheureus­ement, la vie des Indiens est indexée sur lui. En courbe inversée », déplore t-il. « Il faut empêcher de nouvelles morts. Nous voulons simplement bien vivre là où nous sommes nés », enchaîne Kopenawa, qui connaît bien le monde des Napë, les Blancs. Pour eux, dit-il, la Terre est comme une jeune femme qu’ils veulent tous posséder. Le mot garimpagem, qui a

donné garimpeiro – chercheur d’or – ne signifie-t-il pas « faire des trous » ? Davi a vécu à la ville (« la ville est une bagarre », dit-il) avant de retourner dans la forêt. « Qu’apprenez-vous à l’école ? » s’interroge-t-il, prophétisa­nt à tous, Indiens et non-Indiens, deux possibilit­és d’avenir tout aussi peu enviables : « Ou nous mourrons brûlés, ou nous mourrons noyés. »

«L’arc et la flèche» de la parole. Candidat à la députation fédérale en 1988, Kopenawa a obtenu, en mai 1992, la reconnaiss­ance, garantie par un décret présidenti­el, d’un territoire de 96 650 kilomètres carrés à l’usage exclusif des Yanomamis. Mais il refuse désormais de s’engager en politique, où il n’a « pas d’amis ». Il croit davantage en « l’arc et la flèche » de la parole pour faire changer les choses. Partout où il peut le faire, de la tribune de l’ONU à la Fondation Cartier, où se tient l’exposition de photos de la grande Claudia Andujar, rescapée de la Shoah, qui, pendant près de cinquante ans, a photograph­ié les Yanomamis dans leur vie quotidienn­e. Clichés saisissant­s de vie et de beauté, aux effets puissants décuplés par la gélatine dont elle enduit son objectif pour restituer la dimension métaphysiq­ue de l’univers yanomami. Aujourd’hui, Claudia et Davi parcourent la planète ensemble. « Mon peuple est là, vous ne lui avez jamais rendu visite mais l’image des Yanomamis est ici, à Paris, conclut Davi Kopenawa. C’est important pour vous et pour moi, pour vos fils et vos filles. » Pour ne pas qu’advienne, comme dans la chanson d’Yves Simon, le « paradis zéro en Amazonie »

Exposition « La Lutte yanomami », Fondation Cartier, Paris. Jusqu’au 10 mai. À lire : La Chute du ciel, de Davi Kopenawa et Bruce Albert (Plon, collection « Terre humaine », en format poche).

« Qu’est-ce que vous diriez si des gens s’introduisa­ient chez vous pour tout voler et tout salir ? Je ne peux pas rester les bras croisés. La parole est une arme. J’ai le droit de me plaindre. » Davi Kopenawa

 ??  ?? Humaniste. Le chaman Davi Kopenawa, porteparol­e des Indiens yanomamis, menacé de mort au Brésil. Photograph­ié ci-dessus à Paris, le 29 janvier.
Humaniste. Le chaman Davi Kopenawa, porteparol­e des Indiens yanomamis, menacé de mort au Brésil. Photograph­ié ci-dessus à Paris, le 29 janvier.
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La grande photograph­e brésilienn­e Claudia Andujar, qui milite pour la cause des Indiens yanomamis depuis les années 1970, les a photograph­iés dans leur vie quotidienn­e. Ses clichés sont à découvrir à la Fondation Cartier. En haut, « Susi Korihana thëri au bain, pellicule infrarouge, Catrimani, Roraima, Brésil, 19721974 ». En bas, « Invité orné de plumules de vautour pape ou de faucon pour une fête, photograph­ié en surimpress­ion, Catrimani, Roraima, 1974 ».
Témoignage. La grande photograph­e brésilienn­e Claudia Andujar, qui milite pour la cause des Indiens yanomamis depuis les années 1970, les a photograph­iés dans leur vie quotidienn­e. Ses clichés sont à découvrir à la Fondation Cartier. En haut, « Susi Korihana thëri au bain, pellicule infrarouge, Catrimani, Roraima, Brésil, 19721974 ». En bas, « Invité orné de plumules de vautour pape ou de faucon pour une fête, photograph­ié en surimpress­ion, Catrimani, Roraima, 1974 ».
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