Quand les Français demandent des comptes
Selon une enquête pour la Banque de France, le chômage n’est plus au centre des préoccupations économiques des Français. C’est désormais l’état des finances publiques qui les inquiète le plus.
Personne n’a oublié, certainement pas François Hollande, que l’ancien président avait fait de l’inversion de la courbe du chômage une condition sine qua non pour briguer un second mandat. Au moins aura-t-il tenu cette promesse et renoncé, avec une hausse de 18,8 % du nombre de chômeurs durant son quinquennat, à se représenter. Échaudé par cette douloureuse expérience vécue en tant que secrétaire général adjoint de l’Élysée puis ministre de l’Économie, Emmanuel Macron s’est toujours abstenu non seulement de faire de l’amélioration du marché de l’emploi un préalable pour être candidat en 2022 mais aussi d’en faire le critère numéro un pour juger son bilan économique.
Il pourrait presque commencer à le regretter au vu de la nette embellie observée sur ce front, avec un recul de 9,3 à 8,3 % du taux de chômage depuis son arrivée à l’Élysée. Même si, lorsqu’on sait par exemple que celui-ci se situe en moyenne à 6,2 % dans l’ensemble de l’Union européenne, cette performance reste modeste, il est tout de même surprenant de constater que la cote de popularité d’Emmanuel Macron ne bénéficie pas davantage de la décrue d’un chômage que les Français plaçaient il y a deux ans encore au premier rang de leurs préoccupations.
Au-delà de la logique qui veut qu’un mal devienne moins menaçant dès lors qu’il s’éloigne, cette forme d’ingratitude apparaît aussi comme la conséquence du penchant naturel et structurel des Français à se montrer insatisfaits de leur sort. Plutôt que de saluer les bonnes nouvelles économiques, ils préfèrent trouver de nouveaux sujets de mécontentement. Selon les résultats d’un sondage Kantar-Sofres publié par la Banque de France, le pourcentage de Français faisant de l’emploi un sujet économique prioritaire a baissé de 4 points en un an. La plus forte diminution concerne toutefois l’inflation (–7 points) : celle-ci se trouve reléguée fin 2019 au quatrième rang des thèmes jugés primordiaux par les Français alors qu’elle se situait fin 2018 en première position, ce qui faisait écho aux préoccupations du mouvement des Gilets jaunes sur le pouvoir d’achat.
Quoi qu’en dise l’opposition, les mesures en faveur de ce dernier prises par le gouvernement, qui se sont traduites par un fort gain de pouvoir d’achat en 2019 (2,3 % en moyenne par habitant), ont à l’évidence permis de faire retomber la pression dans ce domaine.
Mais comme elles ont été aussi très coûteuses (17 milliards d’euros), c’est désormais la situation des finances publiques qui arrive en tête des sujets économiques qui préoccupent le plus les Français. Le franchissement par la dette du seuil psychologique des 100 % du PIB n’est sans doute pas étranger à cette prise de conscience citoyenne tardive mais salutaire. Voilà aussi, dans l’optique de la prochaine élection présidentielle, de quoi faire réfléchir Macron qui, intarissable sur tous les sujets, se montre étonnamment muet sur l’évolution de nos comptes publics.
Le résultat le plus déroutant de l’enquête de la Banque de France se trouve toutefois dans la réponse à cette question posée dans le sondage : « De manière générale, vous intéressez-vous beaucoup, assez, peu ou pas du tout à l’économie ? » Il se trouve seulement une très courte majorité (54 %) de Français qui se disent « intéressés » par l’économie. Il faut en déduire que les 46 % qui se disent « pas intéressés » ont la chance de vivre dans un monde merveilleux où les problèmes de pouvoir d’achat, de fins de mois, de chômage et de ras-le-bol fiscal n’existent pas.
Peut-être faut-il y voir une relation de cause à effet, mais les Français avouent aussi volontiers leur manque de compétences en économie : 31 % d’entre eux jugent leur niveau de connaissances faible, 54 % l’estiment moyen et 15 % seulement le considèrent élevé. Ce que, avec sa capacité à propager des « fake
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Le fait de ne pas s’intéresser à l’économie n’empêche pas les Français d’avoir des idées tranchées sur les réformes.
news » et ses propositions économiques délirantes, le mouvement ■ des Gilets jaunes avait déjà amplement illustré. Comme il avait également démontré que le fait de ne pas s’intéresser à l’économie et d’en méconnaître les mécanismes de base n’empêche pas du tout les Français d’avoir des opinions personnelles bien précises sur la réalité supposément cachée des grands indicateurs économiques : 53 % de Français affirment que les prix ont augmenté de plus de 2 % en 2019, alors qu’ils ont progressé de 1,4 % selon l’Insee. Pas plus d’ailleurs que cela ne les empêche d’avoir des avis tranchés sur l’efficacité des réformes mises en oeuvre par le gouvernement : 60 % des Français sont persuadés que la suppression de l’ISF a détérioré la situation économique du pays. Il faut plutôt être convaincu à 100 % de la pertinence de cette remarque du Prix Nobel d’économie Jean Tirole, selon laquelle « le manque de culture économique est très coûteux pour notre nation »
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