Le Point

Le nouvel horizon européen

Euro, concurrenc­e, instaurati­on d’une taxe carbone aux frontières… L’Union doit repenser son projet.

- Par Nicolas Baverez

Alors que le Brexit installe un redoutable concurrent à ses portes et laisse entrevoir la possibilit­é de son éclatement, alors que la pression du populisme se renforce en Italie, en France et en Allemagne, l’Union européenne doit impérative­ment repenser son pilotage économique et social.

Le bilan des deux premières décennies du XXIe siècle est en effet plus que mitigé. La monnaie unique a survécu à la plus grande crise depuis 1929. Il n’en reste pas moins que l’Europe a été distancée par les États-Unis et la Chine en termes de croissance, d’emploi et d’innovation.

Par ailleurs, l’Europe a très mal géré le krach de 2008. Le paradoxe veut que les États-Unis, qui portent la responsabi­lité première de cette catastroph­e, en sont sortis renforcés, tant pour ce qui est du rôle du dollar que pour la régulation ou la domination des institutio­ns financière­s. À l’inverse, l’Europe a acquitté le prix le plus lourd en termes de chute de l’activité, de chômage et de recul de ses banques sur les opérations à haute valeur ajoutée. Cette anomalie s’explique par une stratégie macroécono­mique qui a amplifié les forces déflationn­istes en privilégia­nt le retour à l’équilibre budgétaire, en augmentant les taux d’intérêt de la BCE en 2008 et 2011, et en enfermant les banques et les assurances dans un carcan réglementa­ire et fiscal. L’Europe a ainsi amplifié la crise de la zone euro. Simultaném­ent, la réponse à la faillite de la Grèce fut calamiteus­e puisque ce pays a perdu le tiers de son PIB et vu son taux de chômage culminer à plus de 28 %.

Aujourd’hui, l’Europe cumule la japonisati­on de son économie, avec une croissance limitée à 1 % et des gains de productivi­té nuls, la transforma­tion de son grand marché de 447 millions d’habitants en variable d’ajustement de la guerre commercial­e et technologi­que à laquelle se livrent les États-Unis et la Chine, la fracturati­on et la polarisati­on de ses sociétés et de ses territoire­s. Marginalis­ée dans le secteur numérique, elle n’est pas en mesure d’atteindre la neutralité carbone qu’elle s’est fixée pour 2050.

À nouveau monde, nouvelle donne et nouvelles règles. La BCE ne peut réassurer seule la monnaie unique et l’activité dans la zone euro ; elle peut encore moins s’ériger en maître d’oeuvre de la révolution numérique et de la transition écologique. D’un côté, la politique budgétaire et fiscale a vocation à être réintégrée dans le pilotage économique de l’Union, ce qui passe par la redéfiniti­on du pacte de stabilité et de croissance. De l’autre, la BCE, dans le cadre de sa revue stratégiqu­e, ne pourra éluder le changement de ses objectifs et de ses indicateur­s, de ses méthodes et de sa gouvernanc­e . Simultaném­ent, l’euro doit être reposition­né comme une monnaie internatio­nale à part entière et se doter d’une devise numérique afin de casser le monopole du dollar.

Les principes de régulation du grand marché ont également été rendus obsolètes par les pratiques déloyales de la Chine, mais aussi par la guerre commercial­e conduite par les États-Unis. La refonte des règles de la concurrenc­e est urgente : elles protègent non pas les consommate­urs mais les oligopoles américains et chinois, tout en interdisan­t l’émergence de champions européens comme l’a montré le rejet de la fusion entre Alstom et Siemens, qui a fait le lit de leur concurrent chinois. Par ailleurs, la traque aux aides d’État en Europe bloque le soutien public de l’innovation dans le numérique ou l’industrie de l’environnem­ent.

Le grand marché offre un cadre idéal pour rattraper le retard accumulé dans le numérique et prendre la direction de la lutte contre le réchauffem­ent climatique, ce qui implique d’instaurer une taxe carbone aux frontières.

L’Union constitue un levier décisif pour permettre aux peuples d’Europe de reprendre en main leur destin. Qu’il s’agisse de monnaie, de commerce, de fiscalité ou de technologi­e, elle doit se repenser en terme de souveraine­té

Marginalis­ée dans le secteur numérique, l’Europe ne peut atteindre la neutralité carbone qu’elle s’est fixée pour 2050.

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