Le grand entretien
Exclusif. France, écologie, Afrique, réconciliation nationale… Le discret président rwandais a reçu Le Point.
Charismatique, visionnaire, secret, respecté, craint, tyrannique : Paul Kagame est l’un des dirigeants les plus compliqués à cerner de ce XXIe siècle. Et pourtant celui qui dirige le Rwanda depuis près de vingt ans a fait passer son pays, après l’un des pires génocides de l’Histoire, au statut de modèle pour l’Afrique et bien au-delà. Grâce à quoi, et à quel prix ? Le Point s’est rendu à Kigali pour comprendre le « miracle rwandais »…
En 1994, le pays est littéralement ruiné, les banques sont vides, les récoltes pourrissent sur pied et les cadavres de 800 000 à 1 million de victimes, essentiellement des Tutsis, minoritaires dans la population, jonchent les rues et les champs de tout le pays. Une partie des Hutus, ayant largement pris part aux massacres, fuient vers le Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo). Les survivants découvrent leurs proches massacrés, leur maison pillée et leur bétail volé ou tué. Vingt-cinq ans plus tard, le spectacle est tout autre. Il n’y a désormais plus d’ethnies, il n’y a plus de Hutus, de Tutsis ou de Twas, mais 12 millions de Rwandais. Des jeunes qui font la fête sur les toits-terrasses de la capitale, Kigali, d’autres qui ouvrent des incubateurs ou des micro-entreprises en lien avec la nouvelle économie. Les rues de la capitale sont impeccables : une armée de balayeuses se relaient pour les nettoyer. Des échoppes de barbier, de coiffeur, des ongleries, des magasins de déco, des restaurants semblent ouverts toute la journée. Est-ce là que réside le germe du « nouvel homme » que le Rwanda veut faire émerger ? Celui que ses collaborateurs surnomment « The Boss » a reçu Le Point le vendredi 31 janvier pour un entretien de près de deux heures dans les bureaux de la présidence de l’Urugwiro Village, à Kigali.
Paul Kagame est l’homme fort du Rwanda depuis qu’il a mené les troupes du Front patriotique rwandais à la victoire, en 1994. Sa personnalité s’est forgée pendant son exil dans les camps de réfugiés en Ouganda, où sa famille tutsie a fui pour échapper aux pogroms alors qu’il avait 4 ans. Mais le gouffre surprend toujours entre ses critiques qui dénoncent sa volonté de museler les libertés individuelles, et ses thuriféraires, souvent des économistes et experts internationaux encore partagés entre un sentiment de culpabilité postgénocide et une certaine admiration pour un dirigeant africain « moderne ».
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« Entre le Rwanda et la France tant de propos ont été tenus, tant de choses ont été faites…
(…) Si vous regardez le passé, vous ne pardonnez pas. »
L’ancien Premier ministre britannique Tony ■
Blair, un ami proche, le qualifiait de « dirigeant visionnaire ». Plus récemment, Nicolas Sarkozy révélait dans un entretien au Point avoir été « impressionné par Paul Kagame » : « Il en faut, du cran, pour reconstruire un pays comme le Rwanda, décimé par un génocide d’une violence inouïe ! » Avant d’insister sur les qualités du président Kagame : « Il ne correspond peutêtre pas à tous les critères démocratiques, mais je puis affirmer qu’il a une vision pour son pays et pour l’Afrique ! Il sait où il emmène son pays. » On comprend mieux pourquoi, du Gabon, du Togo, du Bénin, du Burundi, du Burkina ou d’ailleurs, les délégations d’officiels venus étudier le « modèle » rwandais se succèdent à Kigali. Le 9 février, Paul Kagame, 62 ans, a été élu par ses pairs africains président du Comité d’orientation des chefs d’État et de gouvernement du Nepad, un organisme chargé des infrastructures du développement à l’échelle du continent. L’homme au franc-parler, parfois peu diplomatique, est décrit par l’écrivain Philip Gourevitch, auteur d’un livre référence sur le génocide au Rwanda, comme un « autoritaire qui s’assume ».
Ce « miracle rwandais » ne doit toutefois pas faire oublier qu’il reste beaucoup à accomplir. Dans son rapport de février 2018, Amnesty International pointait « la répression exercée contre les oppositions et des cas de graves restrictions aux libertés ». Autant de critiques que le président rwandais juge « excessives et injustes ». Mais d’autres institutions comme le FMI et la Banque mondiale ne sont pas avares de compliments devant la transformation du pays, au moment où le Rwanda prend la présidence du Commonwealth et accueillera au printemps le prochain sommet de l’institution. Le pays de Paul Kagame n’est pas à un paradoxe près puisqu’il a simultanément réussi à imposer à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie son ancienne ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo… Ce petit pays d’Afrique de l’Est a aussi signé un accord avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Union africaine, pour accueillir des réfugiés évacués de Libye, jusqu’à ce que leur demande d’asile soit traitée. Une intense activité diplomatique et politique qui vise à montrer que, désormais, il faudra compter avec le Rwanda
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Le Point: L’influence de la France diminue en Afrique subsaharienne, au profit, notamment, de la Chine, de la Turquie, ou de la Russie. Est-ce que cela vous effraie ?
Paul Kagame : Nous n’avons peur de personne. [Rires.] Car, au moins mentalement, nous sommes forts. Pas parce que nous sommes un pays puissant, performant dans les technologies mais parce que la voie de notre développement et la politique qui y mène sont clairement tracées. Que ce soit la Chine, la Turquie, les États-Unis, la Russie, nous traitons avec tout le monde. D’ailleurs, la plupart d’entre eux ne sont ni des amis ni des ennemis. Par principe, le Rwanda n’interfère pas dans les affaires intérieures de ces pays, et ceux-ci attendent également notre appui sur plusieurs dossiers. Si nous avons notre point de vue sur ces sujets nous le partageons. Sinon, nous nous taisons. Qu’attendez-vous de la France? Le pardon? Des investissements? Entre le Rwanda et la France tant de propos ont été tenus, tant de choses ont été faites… Aujourd’hui, nous regardons plus vers l’avenir que vers le passé. Or il se trouve que le président Macron est un chef d’État dont le point de vue n’est pas marqué par le passé… Il y a un esprit nouveau. Certains indices révèlent une amélioration des relations entre nos deux pays. Comme la visite de l’Agence française de développement. Des hommes d’affaires à la recherche d’investissements sont aussi venus au Rwanda. Nous avons effectué deux visites officielles en France sur invitation du président Macron. Nous avons maintenant un nouvel ambassadeur, et Louise Mushikiwabo, notre ancienne ministre des Affaires étrangères, dirige l’Organisation internationale de la francophonie. Tout cela est très positif. Si vous regardez le passé, vous ne pardonnez pas. Il y a des choses que vous n’oubliez pas, mais il y en a d’autres que vous pardonnez. [Rires.] On ne peut pas toujours attendre les excuses des uns ou des autres. C’est à tout un chacun de prendre ses responsabilités et de s’excuser s’il l’estime nécessaire. Vous êtes au pouvoir depuis vingt ans. Quels sont les obstacles que vous avez rencontrés pour redresser le Rwanda?
Tout ou presque était un obstacle. Nous avons dû tout reconstruire à partir de 1994. Le pays était complètement dévasté, il n’y avait littéralement plus rien. Mais le premier obstacle a été de rassembler les
« Les Rwandais ne faisaient rien parce qu’ils étaient sous l’emprise de l’assistanat. Actuellement, l’état d’esprit n’est plus le même. »
gens. Des personnes marquées dans leur esprit, dans leur psychologie, qui ont été forcées de penser qu’elles sont différentes et qu’elles n’ont absolument rien à voir les unes avec les autres. Il y avait, d’un côté, les victimes et, de l’autre, les bourreaux. Une immense majorité avait tout perdu. Je dis bien tout. C’est un énorme obstacle. C’est difficile à décrire.
Comment convaincre les uns et les autres de revivre ensemble ? Beaucoup nous ont déclaré : « Mais de quoi parlez-vous ? Comment voulez-vous que je pardonne ? » Nous leur avons répondu que nous avions un avenir et un pays à rassembler et à construire.
En disant cela et en le mettant en oeuvre, vous savez au fond de vous qu’il n’y a aucune logique. Mais nombre de personnes qui avaient tout perdu ont pardonné et donné un sens à notre logique. C’est ainsi que nous avons commencé, lentement, à amener les gens à revivre ensemble tout en assurant un minimum de cadre pour la reconstruction. En 1994, il a fallu repenser la sécurité, ramener le meilleur personnel soignant dans des hôpitaux remplis de blessés. Il a fallu rouvrir des écoles, apporter la nourriture. Nous y sommes parvenus avec l’aide de nos partenaires, qui nous ont porté assistance et assuré des financements. Mais il nous fallait aussi investir nous-mêmes pour s’assurer de ne pas être en permanence assistés. Ces obstacles sont encore présents. Le Rwanda connaît depuis cinq ans une croissance économique supérieure à 7 %. À quoi est-ce dû? Y a-t-il un miracle rwandais?
Notre économie se porte bien depuis quinze ans avec une croissance annuelle de l’ordre de 7 à 8 %. Et, selon les chiffres des institutions qui surveillent notre économie, nous atteignons les 10 % en 2019. Je dis tout cela avec beaucoup de prudence, mais, en 2020 et 2021, notre croissance sera supérieure à 8%. Si c’est cela, le miracle rwandais, alors nous devons poursuivre dans cette direction, même si nous ne faisons rien de surnaturel. Comme tous les autres pays du monde, nous sommes affectés par de nombreux facteurs qui ne sont pas sous notre contrôle, tels les prix des matières premières. Mais nous nous concentrons sur l’agriculture, le tourisme, la sécurité, l’amélioration des services, les infrastructures… Après ces secteurs, les autres suivront…
Le changement n’est-il pas d’abord celui des mentalités?
Les Rwandais ne faisaient rien parce qu’ils étaient sous l’emprise de l’assistanat. Si vous donnez le minimum, si vous assurez les besoins de base alors les gens s’en contentent. Actuellement, l’état d’esprit n’est plus le même. Pour obtenir ce résultat, nous avons investi dans la population, dans les jeunes en particulier, dans l’éducation. Nous avons apporté des réponses à la situation sanitaire des Rwandais. Nous avons acquis de nouvelles compétences. Les jeunes sont bien éduqués, ils peuvent se préparer au marché du travail non seulement au Rwanda, mais aussi au marché régional et mondial. Tout cela commence à porter ses fruits. Nous avons fait évoluer notre gouvernance : comprendre ce qui est bon pour les Rwandais, apporter de bonnes corrections,
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regarder les comptes publics, pour constamment ■ formuler des politiques.
Votre modèle est-il inspiré de celui de Singapour?
Oui. L’Afrique tout entière peut s’inspirer de ce pays. Il y a un demi-siècle, il était au même niveau de développement que l’Afrique. Quand vous allez à Jakarta, à Singapour, en Malaisie, en Corée, vous êtes saisi par ce que vous voyez. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux.
Qu’est-ce que l’Afrique peut apprendre de l’Asie?
Énormément ! Comment investir dans les infrastructures, dans les technologies, la sécurité, l’éducation, le commerce, comment attirer l’investissement, etc. Mais avant tout, il faut commencer par investir dans les gens. Le reste suivra. En fin de compte, la façon dont vous investissez ce capital humain sera déterminant. Ce qu’il faut, c’est donner une chance équitable à tous. Et non pas qu’un seul groupe profite de tout. Le Rwanda est régulièrement cité en exemple dans la lutte contre la corruption. Comment en êtes-vous arrivé là, et, surtout, comment avezvous fait pour que les Rwandais adhèrent à votre approche de la question ?
Nous avons vite compris que la corruption était un obstacle à notre reconstruction. Que c’était la population qui en payait le prix fort. Nous devions faire comprendre au peuple que la corruption est grave. Elle est souvent le fait de personnalités qui se disent haut placées, de fonctionnaires, de dirigeants, parfois même de membres du gouvernement. La population subissait cette corruption et personne ne pensait qu’elle était source de bienfaits. On y avait recours parce qu’il n’y avait pas d’autre choix. C’est pourquoi nous avons mis en place des règles et des politiques claires pour lutter contre cette corruption et veiller à ce qu’il n’y ait pas d’impunité. Qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé, de l’achat de médicaments ou de tout autre service pour les populations, il n’est pas nécessaire de payer un agent pour avoir le « droit à ». Et l’exemple doit venir d’en haut. Ainsi, dans le gouvernement, tout le monde doit payer pour l’éducation de ses enfants au même titre que l’ensemble des citoyens. Nous renforçons cette culture d’abord dans ce premier cercle, puis dans toute la société. Chaque centime que nous dépensons pour le développement de notre pays va là où nous le voulons et pas dans des circuits parallèles. Les Rwandais en ont vite vu les avantages. Cela a aussi permis de changer leur état d’esprit.
En Afrique de l’Ouest, le franc CFA va être abandonné au profit de l’eco. L’Afrique devraitelle saisir ce moment pour créer une monnaie commune?
Qu’elle relève de l’histoire coloniale, que ce soit une bonne chose ou non, le plus important aujourd’hui est que ces dirigeants ont décidé de changer le cours de leur histoire récente pour aller vers ce qu’ils jugent meilleur pour eux. En revanche, ce choix devrait dépendre des populations de la zone et de leurs dirigeants. J’observe un point positif à tout ce processus, c’est que s’unir, c’est exister pour la région, c’est très important, pour renforcer les économies. C’est déjà positif de penser au présent et à l’avenir.
Vous avez fait de l’environnement un sujet majeur de votre politique. Pourquoi cela vous est-il apparu comme une priorité ?
Cela fait plus de dix ans maintenant que nous avons commencé à organiser ces politiques environnementales. Notre slogan est: «Cleaner, Greener and Accountable » (Propre, vert et responsable). Encore une fois, il faut remonter à 1994 pour comprendre. Nous avions hérité d’un conflit qui a complètement détruit le pays, divisé le peuple, tout était au point mort. Les Rwandais avaient besoin de tout nettoyer spirituellement et symboliquement. On a tout simplement regardé comment cela se passe dans la vie quotidienne de chacun : en général, le matin on nettoie notre maison. Je me suis dit : pourquoi nous ne traitons pas ce pays comme notre propre maison ? Pourquoi nous ne nous réveillons pas un matin ou tous les matins et nous nettoyons ? Vous êtes d’accord que pour le nettoyage, vous n’avez besoin de rien, il faut juste de la volonté et avoir le courage de le faire ! C’est ainsi que nous avons commencé. Une large partie des déchets qu’on ramassait était les bouteilles en plastique que tout le monde jetait frénétiquement après consommation.
En même temps que bien des pays développés vous avez déclaré une véritable guerre au plastique.
Cela fait douze ans que nous avons pris des mesures contre le plastique sous toutes ses formes. Nous avons examiné froidement le danger que représentent les déchets plastique. Il ne suffit pas de décréter cela, il a fallu également penser aux solutions. Elles devaient être crédibles et représenter des occasions pour le business. Notre tragédie a aussi eu un effet « positif » pour développer ce genre de politique. Je ne le dis pas pour être cynique. Mais lorsque vous partez de zéro, voire au-dessous, vous avez l’obligation de ne pas répéter les erreurs du passé. Nous avons donc décidé d’essayer des politiques qui ont du sens pour notre avenir.
La question de l’environnement a-t-elle compté dans la réconciliation des Rwandais? A-t-elle été prise en compte dans la reconstruction de l’identité nationale ?
Absolument. Malheureusement, c’est à travers notre
« Nous serons peut-être le premier pays africain à accueillir le Championnat du monde de cyclisme. »
tragédie que nous avons repensé ces questions. Je ne dis pas que ce qui est arrivé est bien. Je souligne le fait que ça nous a aidé à changer de cap et à renforcer la paix entre des personnes qui avaient tout perdu et étaient divisées. Avoir un environnement propre permet de retrouver la confiance en soi et dans les autres. L’environnement est aussi facteur de nouveau départ sur des bases saines. Et, comme je le dis en amont, les gens veulent aussi assainir leur esprit, avoir une meilleure psychologie. En 1994, nous cherchions des ambitions et des défis communs qui pouvaient rassembler la population : les questions environnementales furent essentielles.
Le Rwanda a établi une offre touristique haut de gamme et semble se tenir à l’écart des grands flux touristiques…
Oui, pour une raison : notre pays est petit. Quand vous êtes petit, il faut augmenter la valeur de votre offre. Et aussi protéger les merveilles à voir comme les gorilles du parc national du Virunga, car ce sont les derniers survivants de l’espèce dans cette région répartie entre l’Ouganda, la République démocratique du Congo et nous. Ce petit endroit est le seul au monde à les préserver ; si nous décidons d’ouvrir cet endroit à un plus grand nombre de visiteurs, le parc risque d’être rapidement détruit. Mais si vous êtes sélectif, alors vous pouvez offrir un produit de grande valeur, les gens viennent et apprécient d’autant plus nos efforts de préservation d’un patrimoine mondial. C’est ce que nous essayons de maintenir dans le parc national de l’Akagera [une réserve naturelle au nord du pays], où se trouvent les Big Five [les cinq mammifères les plus gros : le lion, le rhinocéros, le buffle, l’éléphant et le léopard]. Nous avons vite compris qu’il est primordial d’augmenter la valeur des sites en les rendant exclusifs. Les résultats sont déjà là avec des visites en constante progression.
Dans votre cabinet, dans votre gouvernement, dans l’administration et même dans les institutions internationales (Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie), les femmes sont très présentes. Ce mouvement a-t-il été facile à imprimer et bien perçu dans votre pays?
Permettez-moi tout d’abord de souligner que nous n’en faisons pas assez. Sur cette question nous sommes idéalistes, mais réalistes. Les femmes dans notre société ne sont pas assez valorisées. Parfois c’est à cause de la culture, du niveau d’éducation, de la volonté des familles, etc. Cet état d’esprit conforte beaucoup de Rwandais dans l’idée qu’il n’y a aucune raison de soutenir la promotion des femmes. Pourtant, il y a 52 % de femmes au Rwanda. Comment un pays peut-il croître en laissant de côté ou loin derrière 52 % de sa population ? Ça n’a pas de sens. La même chance doit être donnée aux femmes qu’aux hommes, et ce dès l’enfance.
Encouragez-vous les jeunes Rwandais à quitter leur pays pour étudier, travailler ou habiter en Asie, aux États-Unis ou en Europe?
Nous investissons dans l’ensemble du système éducatif afin que les étudiants se sentent à l’aise ici, pour y vivre et rester. Mais soyons réalistes, nous n’avons pas tout ce que nous voulons sur place. Donc nous instaurons des bourses pour encourager les étudiants à acquérir d’autres compétences ailleurs : en Afrique, en Asie, aux États-Unis, en Europe. Beaucoup reviennent, d’autres restent dans leur pays d’accueil, mais la majorité garde des liens forts avec le Rwanda. Il faut que le système s’autorégule avec ceux
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qui partent, ceux qui rentrent et ceux qui ■ restent.
Comment voyez-vous le Rwanda dans dix ans? Laissez-moi vous donner quelques repères : ces vingt dernières années, notre pays a connu d’énormes transformations. Nous avons réussi à sortir des millions de personnes de la pauvreté, nous avons réduit les inégalités dans la capitale ainsi que dans les zones rurales. Donc, d’ici à 2030, je veux croire que nous verrons encore plus de transformations se produire là où se trouvent encore des populations démunies. Nous parlons ici de perspectives, de planification, de transformation pour améliorer le niveau de vie. Il y a un autre indicateur qui est important pour nous, c’est l’espérance de vie. Entre les années 2000 et aujourd’hui, savez-vous que la durée de vie au Rwanda est passée de 49 à 67 ans ?
Certaines institutions internationales vous accusent de tronquer les chiffres sur la pauvreté…
Je m’en moque. Puisque vous êtes à Kigali, allez où vous voulez et demandez aux Rwandais, eux peuvent vous répondre. Croyez-moi ou pas. Le reste, c’est juste de la politique.
Avez-vous peur de l’islam radical ?
Plusieurs pays de la région sont touchés, donc nous sommes tous concernés. Nous ne sommes pas vraiment à l’abri, car certains de ceux qui sèment la terreur sont parfois présents au Rwanda et veulent en faire une base arrière. Nous surveillons ces mouvements de près. Personne n’est à l’abri. Nous faisons très attention.
Pour les Français qui vous connaissent peu, qui êtes-vous, Paul Kagame? Un habitant du monde, un Africain, quelqu’un qui a été marqué par son passé, l’histoire, la tragédie?
Tout d’abord, je suis un être humain. Mais les circonstances et la nature font que je suis un être humain différent de vous… Plusieurs événements – tous compliqués – ont également eu un impact profond sur moi. Tout cela dépend de l’endroit où vous êtes né, de ce qui s’est passé dans votre vie. Mais vous pouvez décider dans la vie de faire le bien ou le mal. Vous pouvez décider d’être honnête, vous pouvez décider d’être mauvais envers les autres, d’être égoïste, généreux. Mais j’essaie toujours consciemment d’être du bon côté de ce que l’humanité peut nous apporter. Je ne pense pas avoir tout réussi, mais j’essaie. Pourriez-vous encore être président du Rwanda en 2030 ?
Cela dépendra de beaucoup de facteurs, des circonstances, de l’environnement dans lequel le pays va évoluer. Personnellement, je veux un jour, peut-être, dans l’avenir, me reposer et vivre de mes autres occupations. Je n’exerce pas le pouvoir comme un petit soldat dans mon bureau, je ne suis pas en mission. Peut-être qu’il est temps que d’autres personnes se présentent et aident le pays à grandir.
Quel héritage souhaitez-vous laisser à votre pays, à l’Afrique et au monde?
Chaque année, je fais le bilan de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai accompli et de ce à quoi j’ai participé. Si, au cours de ma vie, j’ai pu contribuer à résoudre de nombreux problèmes qui ont affecté le Rwanda, qui m’ont affecté personnellement et qui ont affecté le continent, je pourrais alors affirmer que ce serait là mon héritage.
On dit que vous adorez le foot. Êtes-vous plutôt Arsenal ou PSG ?
J’aime le sport en général, le football en particulier. Je ne peux pas classer les équipes, mais il y a bien sûr Arsenal que je suis depuis plus de trente ans ! [Rires.] Ensuite, il y a le PSG, qui est devenu un partenaire récemment. Ils ont de très bons joueurs. Je serais ravi d’assister à un match à la prochaine occasion qui se présentera. Mais il y a aussi toutes les autres équipes, Barcelone, Madrid, la Juventus. Je jouais au basket-ball, quand j’étais jeune. Je regarde encore des matchs mais je ne joue plus. Je pratiquais aussi le volley-ball, mais maintenant, à mon âge, je ne peux plus y jouer. Quand j’ai du temps, j’essaie de faire du tennis.
Votre pays s’est lancé dans une campagne de promotion inédite avec les équipes de football d’Arsenal et du PSG. L’investissement en vaut-il la peine ?
Oui, absolument, c’est formidable. L’investissement que nous avons fait avec Arsenal a donné de bons résultats. Nous constatons une augmentation du nombre de visiteurs britanniques. Je pense que nous avons probablement gagné pas moins de cinq fois ce que nous avons dépensé. Pour le Paris Saint-Germain, nous n’avons pas encore de chiffres. Le partenariat vient tout juste d’être signé.
Et le cyclisme?
Le cyclisme est un sport très important pour notre pays. Les gens viennent de France, des États-Unis pour des compétitions, ils en organisent dans tout le pays. Nous sommes candidat pour organiser le prochain Championnat du monde, qui doit se tenir en 2025. Nous serons peut-être le premier pays africain à accueillir cette compétition mondiale.
Vous faites du sport un outil de «soft power», comme le Qatar et l’Arabie saoudite?
Oui, le sport est un outil de soft power, parce qu’il connecte les gens. C’est ça, la beauté du sport. Quand les gens pratiquent un sport, ils ne se posent pas de question sur qui vous êtes, d’où vient votre famille, etc., et, à la fin, tout le monde est heureux d’être ensemble, qu’on perde ou qu’on gagne
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« Je n’exerce pas le pouvoir comme un petit soldat dans mon bureau, je ne suis pas en mission. »