Le Point

Assurance-vie : faut-il encore y aller ?

La baisse du taux des fonds en euros devrait détourner les Français de leur placement fétiche. Pas si sûr !

- PAR LAURENCE ALLARD

Depuis septembre, tout le monde y va de son couplet : le fonds en euros des contrats d’assurance-vie, placement préféré des ménages depuis près de quarante ans, serait bon à jeter au feu. Un investisse­ment qui leur a tout offert, tant ses atouts étaient nombreux. Sa rémunérati­on, tout d’abord, qui dépassa même les 10 % avant de s’amenuiser chaque année depuis dix ans, tout en restant supérieure à l’inflation jusqu’à l’an dernier. Un rendement acquis à jamais, le capital accumulé ne pouvant jamais baisser. Une liquidité, ensuite, quasi totale puisque, à tout moment, l’épargnant peut récupérer sa mise. Une fiscalité, enfin, incomparab­le s’agissant tant des retraits – dès lors qu’il s’est écoulé plus de huit ans depuis l’ouverture du contrat – que de la transmissi­on du capital. Assortie d’un abattement, celle-ci peut s’opérer au profit du bénéficiai­re de son choix en dehors des règles de la dévolution successora­le et ce avec un taux d’imposition qui peut être réduit de moitié… Quel placement pouvait faire mieux !

Les Français, d’ailleurs, ne s’y sont pas trompés. Ils se sont rués sur l’assurance-vie, à tel point que son encours dépasse 1 788 milliards d’euros à la fin de décembre 2019, progressan­t d’année en année sans coup férir. Ils l’ont hissée en tête de leurs placements financiers. De leur côté, les banquiers et les assureurs en ont fait le fer de lance de leur offre commercial­e, n’hésitant pas à se livrer à une surenchère pour être celui ou celle qui afficherai­t le taux de rendement le plus élevé.

Tournant. Et il faudrait que les ménages renoncent à tout cela! Au nom d’un « nouveau » monde, un monde où les taux d’intérêt se sont effondrés, voire sont devenus négatifs ? Cette baisse a en effet trois effets néfastes. Tout d’abord, elle ampute la performanc­e du fonds en euros, ce dernier étant investi pour une très large part en obligation­s d’État qui rapportent peu ou pas du tout. Résultat : le rendement du fonds en euros chute d’année en année, jusqu’à ne plus afficher que 1,8 % en moyenne en 2018 et 1,4 %, voire 1,3 %, en 2019. Et cette tendance va continuer puisque le stock d’obligation­s bien rémunérées que les assureurs ont engrangé dans leur portefeuil­le va en diminuant, remplacé par des titres peu rémunérés. Ce qui a pour conséquenc­e que, même si

les taux d’intérêt venaient ■ à augmenter, le rendement du fonds en euros se redressera­it lentement. En un mot, la galère est loin d’être terminée.

Deuxième effet néfaste, plus inquiétant : cette baisse du rendement fragilise les compagnies d’assurances auprès desquelles le contrat a pu être souscrit. Si les épargnants venaient à retirer massivemen­t leur argent, certaines compagnies pourraient être dans l’impossibil­ité de les satisfaire. D’où les mesures prises. En 2016, le gouverneme­nt Valls fait voter dans la loi Sapin II du 8 novembre 2016 un article 21 qui permet aux assureurs, en cas de crise de liquidités, de limiter provisoire­ment (six mois maximum) les rachats et les arbitrages sur les contrats d’assurance-vie. Aujourd’hui, Bercy accepte que, dans des circonstan­ces exceptionn­elles, tout ou partie de l’épargne mise en réserve (ce qu’on appelle la participat­ion aux bénéfices) par les assureurs et qui appartient aux assurés puisse être assimilée sur le plan comptable par les assureurs en difficulté à des quasi-fonds propres, leur permettant ainsi de satisfaire les ratios de

solvabilit­é exigés par ■

Bruxelles. Sauf que ces réserves, estimées à 55 milliards d’euros, ont été créées pour améliorer les rendements servis les années suivantes et qu’elles sont donc appelées à être distribuée­s. Que nenni ! L’arrêté du Trésor publié en décembre 2019 donnerait huit ans aux assureurs pour restituer cette avance forcée.

Ne voulant pas être réduits à ces extrémités, les assureurs ont décidé de prendre les devants et de baisser plus que nécessaire le rendement 2019. Swiss Life et Generali ont délivré un rendement net de frais de gestion de 1 % en 2019, contre respective­ment 1,50 et 1,75 % net en 2018 ; Allianz, 1,20 % au lieu de 1,70 %. Les assureurs ont aussi décidé de limiter les souscripti­ons aux fonds en euros, voire d’en fermer certains. Generali impose 60 % d’investisse­ment dans des unités de compte et a clos France 2 et Euro Innovalia. Jean-Laurent Granier, président de Generali, réfléchit aussi à rétablir des frais d’entrée. La MACSF a relevé les siens sur ses fonds en euros et, à l’inverse, supprimé les frais d’arbitrage du fonds en euros aux unités de compte.

Premier objectif : faire prendre conscience aux épargnants que la situation n’est pas saine et qu’il leur faut diversifie­r leur contrat. Second objectif : protéger la performanc­e de leurs anciens clients afin qu’ils n’aient pas l’idée d’aller voir ailleurs.

Un certain nombre d’assureurs ont décidé parallèlem­ent de recapitali­ser leurs filiales vie afin qu’elles disposent des fonds propres nécessaire­s pour garantir la liquidité des fonds en euros. C’est le cas de Crédit mutuel Arkéa, de la Société générale et de la Bred, qui ont procédé à une augmentati­on de capital pour renflouer respective­ment Suravenir, Sogécap et Prépar-Vie.

Est-elle menacée ?

Le fonds en euros n’est pas le seul placement qui peut figurer dans cette enveloppe fiscale. L’épargnant peut arbitrer son épargne sur d’autres supports – actions, obligation­s, immobilier, non coté –, en souscrivan­t aux unités de compte que lui propose son assureur au sein du même contrat d’assurance-vie. Arbitrages qui se font en toute neutralité fiscale sans que les gains ou plus-values accumulés soient imposés… Ces placements sont en effet plus risqués, mais, sur le long terme, ils délivrent une performanc­e annuelle toujours positive. L’épargnant peut ainsi profiter des opportunit­és que constitue pour l’immobilier la baisse des taux d’intérêt.

Le gouverneme­nt a aussi simplifié les contrats eurocroiss­ance, qui s’inscrivent à mi-chemin entre le fonds en euros et les unités de compte en offrant une garantie du capital non pas annuelle mais à échéance (huit ans minimum), ce qui permet à l’assureur d’adopter une gestion plus dynamique. Fondé encore sur les taux, le produit ne peut toutefois pas faire de miracles. C’est pourquoi certains assureurs leur préfèrent des produits structurés qui offrent, eux aussi, une certaine garantie tout en étant adossés aux marchés actions.

Les assureurs ne veulent pas non plus tuer la poule aux oeufs d’or. « C’est un placement toujours plus rémunérate­ur que les autres produits liquides sans risque comme le livret A », rappelle Stéphane Dessirier, directeur général du groupe MACSF, qui s’est livré à un calcul : « Si les taux d’intérêt restaient à 0 % pendant dix ans, nous servirions encore du 1,6 % dans dix ans. »

Reste que, si on retire le fonds en euros, l’assurance-vie perd une partie de son attrait en tant que placement. Sur les nouveaux versements, la fiscalité sur les

24%

C’est la part des unités de compte dans la collecte.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France