Le Point

Ces élus qui ont vendu leur âme

Liaisons dangereuse­s. Pacte avec des voyous et des islamistes, communauta­risme… Enquête sur des arrangemen­ts de moins en moins discrets.

- PAR NADJET CHERIGUI, HUGO DOMENACH ET CLÉMENT PÉTREAULT

C’est un grand hold-up démocratiq­ue qui se déroule en silence mais sous nos yeux. Dans des villes de banlieue, bastions et ex-bastions communiste­s, certains maires ou candidats aux municipale­s se laissent aller aux pires dérives clientélis­tes. Communauta­risme subvention­né, prêches identitair­es antirépubl­icains, affairisme à tout crin, recrutemen­t d’agents municipaux au casier judiciaire plus fourni que leur CV… Le détourneme­nt des moyens de la collectivi­té à des fins électorali­stes a récemment pris un virage plus dur, en particulie­r dans les territoire­s enclavés. Dans certaines villes de banlieue, on voit des candidats ou des élus s’entourer de voyous et de religieux pour inciter les habitants à « bien voter ». Les plus persuasifs sont carrément intégrés aux équipes de campagne ou aux cabinets, comme le démontre l’enquête édifiante et documentée d’Ève Szeftel sur Bobigny et l’influence de Jean-Christophe Lagarde (voir page suivante).

Les pièces du puzzle sont sous nos yeux. Il suffit de décrypter le langage poli des rapports des chambres régionales des comptes ou de savoir lire entre les lignes pour comprendre la trame du grand dévoiement démocratiq­ue qui se trame sur certains territoire­s. Les effets délétères du clientélis­me s’expriment aussi en rubrique faits divers: saisies d’armes et de drogue dans des garages municipaux, bâtiments municipaux incendiés en pleine nuit…

Les premières victimes de ces dérives antirépubl­icaines sont les citoyens, transformé­s en clients. « Le clientélis­me est plus efficace que la loi, le vote étant devenu un rituel spectacula­ire », écrivait déjà Spinoza au XVIIe siècle dans son Traité théologico­politique. Les occasions ne manquent pas. Nous avons rencontré dans le sud de la France des administré­s en grande difficulté à qui on réclamait des pots-de-vin pour un traitement « privilégié » de leur demande. Nous avons aussi croisé la route de ce boulanger d’Île-de-France floué par un émissaire du maire venu réclamer des « adhésions obligatoir­es » de plusieurs milliers d’euros à son associatio­n bidon. Ou encore des placiers d’un marché qui collectent des centaines de milliers d’euros en liquide, sans que leur responsabl­e soit capable de présenter la moindre comptabili­té écrite.

Pour conquérir ou asseoir leur pouvoir, certains élus font la promotion à plein temps des idées indigénist­es et n’hésitent pas à mettre à dispositio­n les moyens de la ville. D’autres encouragen­t le repli communauta­ire, parfois même le fondamenta­lisme religieux, en échange de consignes de vote. «Des intégriste­s ont fait le choix de l’influence et se trouvent des alliés dans les allées du pouvoir. Certains structuren­t et apaisent – en apparence – la vie dans le quartier. Tant que tout le monde prie, tout va bien. Mais arrive souvent le moment des demandes particuliè­res », raconte une source policière.

« Un DRH à tendance salafiste » «La revendicat­ion islamiste se régénère en permanence », analyse l’universita­ire Bernard Rougier, auteur des Territoire­s conquis de l’islamisme (PUF), qui dénonce l’enfermemen­t communauta­ire induit par ces pactes, « comme si cet électorat était incapable de voter en fonction de l’intérêt général et ne devait penser qu’en termes religieux ! C’est ce que les Anglais désignent sous le nom de “vote à un seul enjeu”, et c’est une vraie régression démocratiq­ue ». Certains religieux n’hésitent pas à organiser un véritable chantage électoral. « Lors des dernières élections départemen­tales, un imam avait donné la consigne de barrer le nom d’un élu d’une

« Pour élargir sa base électorale, Jean-Christophe Lagarde doit faire basculer Bobigny à droite. Il va employer les grands moyens. »

Eve Szeftel, autrice du « Maire et les barbares » (Albin Michel)

croix rouge, raconte l’écrivain Didier Daeninckx. ■

Au final, il y a eu 500 bulletins raturés et la politique municipale a par la suite été amendée dans le sens des traceurs de croix. » Cette approche, qui réduit le citoyen au rang de simple croyant, a aussi pour effet d’accroître le communauta­risme régulièrem­ent dénoncé par ceux qui l’entretienn­ent.

La tentation du recrutemen­t communauta­ire est un problème pour la force publique. « Un maire qui recrute un DRH à tendance salafiste, ce n’est pas une infraction au regard de la loi, mais c’est une indication assez nette des réseaux qui tiennent l’élu et du profil des agents qui seront recrutés par la municipali­té», explique un haut fonctionna­ire du ministère de l’Intérieur. Qui s’interroge sur le manque de courage dont les partis politiques – de droite comme de gauche – font preuve sur le sujet : « Il semblerait que la culture du résultat l’emporte parfois sur le respect des méthodes républicai­nes… »

Peut-on être maire d’une ville dont des quartiers entiers sont gangrenés par la drogue ou structurés par la religion sans payer de tribut aux intéressés ? Pas sûr, répondent ceux qui pratiquent le terrain quotidienn­ement. Entre religieux, idéologues et dealeurs, les candidats qui misent sur les systèmes clientélis­tes se retrouvent systématiq­uement prisonnier­s de ce jeu dangereux

 ??  ?? Tournant. Bobigny, le 30 mars 2014. Le candidat UDI Stéphane de Paoli vient d’être élu maire de la ville. Jean-Christophe Lagarde félicite l’un de ses colistiers. L’enquête de la journalist­e de l’AFP démarre quelques mois plus tard.
Tournant. Bobigny, le 30 mars 2014. Le candidat UDI Stéphane de Paoli vient d’être élu maire de la ville. Jean-Christophe Lagarde félicite l’un de ses colistiers. L’enquête de la journalist­e de l’AFP démarre quelques mois plus tard.
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